Dans de nombreuses structures, les infirmières sont amenées à travailler, en bonne entente, avec des collègues de différentes professions. Focus sur ces duos de choc.
À Montfermeil, au sein du seul établissement public hospitalier de Seine-Saint-Denis à pratiquer la réadaptation cardiaque, une infirmière et une kinésithérapeute exercent en binôme étroit pour permettre aux patients de retrouver un second souffle.
Dans le gymnase de l’hôpital de jour de réadaptation cardiaque du groupement hospitalier intercommunal Le Raincy- Montfermeil (93), une douzaine de patients pris en charge après un infarctus s’activent sous l’œil attentif de Corinne Lemaire, infirmière, et de Sandrine Robillard, kinésithérapeute. Depuis 2013, date de création de « l’HDJ cardio », les deux soignantes exercent en binôme en parfaite harmonie. « Pendant l’activité physique, nous partageons les mêmes tâches : nous surveillons la façon dont les patients respirent, vérifions leur tension, les pulsations, contrôlons leur poids… Cela se fait de façon très naturelle », assure Corinne Lemaire. L’identité professionnelle de chacune reste toutefois préservée. « Si je sais qu’un patient est diabétique et qu’il commence à se sentir mal, j’appelle Corinne pour qu’elle fasse une Dextro », illustre Sandrine Robillard. L’IDE peut de même effectuer des petits soins spécifiques, vérifier les cicatrices des personnes ayant subi un pontage…
Une fois intégrés, après le test d’effort réalisé par le cardiologue, les patients passent trois demi-journées par semaine dans le service, six semaines durant. Au programme : gymnastique, vélo ou tapis de marche, relaxation, éducation thérapeutique et entretiens individuels. « Notre but est qu’ils aient une activité physique et qu’ils arrêtent de fumer », résume Sandrine Robillard.
Entre l’infirmière et la kinésithérapeute, la concertation est une constante. C’est ensemble qu’elles décident quels patients débuteront leur séance par le vélo ou par la gymnastique, plus douce, et son niveau d’intensité. En outre, chacune ayant effectué un bilan de départ avec le patient - quand c’est matériellement possible, elles l’interrogent de concert -, les professionnelles croisent leurs informations pour personnaliser au mieux l’activité. « C’est important car nos groupes sont très hétérogènes : au niveau des âges, des états de santé, des pathologies associées… De plus, les intégrations se font au fil de l’eau », pointe la kinésithérapeute. Les patients ne délivrent pas, de surcroît, le même type d’information à chacune. La présence d’une prothèse de hanche ou d’arthrose sera, par exemple, souvent davantage évoquée avec cette dernière. « Coordonner l’ensemble est donc vraiment essentiel », insiste l’infirmière. Deux fois par mois, une réunion de synthèse est une occasion supplémentaire d’échanger sur les dossiers.
Autre temps partagé par le duo au bénéfice du patient, avec cependant plus ou moins de régularité : l’éducation thérapeutique. Une discipline à laquelle s’est d’ailleurs formée toute l’équipe de l’HDJ(1). « Nous avons créé tous les supports en collaboration », précise Sandrine Robillard. Alors que l’IDE dispense les bases du suivi en cardiologie, explique les traitements et donne divers conseils, la kinésithérapeute cherche, quant à elle, à faciliter la poursuite d’une activité physique bien adaptée. Toutes deux se rendent enfin, chaque année, à un congrès national sur la réadaptation cardiaque, ce qui renforce leur culture commune.
Le binôme éprouve un immense plaisir à travailler de la sorte. « À l’hôpital, en général, quand les kinés arrivent, les infirmières sortent. C’est chacun son tour ! », regrette Corinne Lemaire. « Dans un service classique, les infirmières sont occupées ailleurs. Ici, on est regroupées et, en cas de doute, on peut s’appuyer sur une autre compétence », confirme Sandrine Robillard. Ce confort de travail et cette sécurité accrue sont également perçus par les patients, qui se sentent pris en charge dans leur globalité. « Cette approche optimise les compétences. Il ne s’agit pas juste d’une bonne entente entre deux professionnelles au cœur de métier différent, mais vraiment d’un binôme fonctionnel. Ce n’est pas non plus l’infirmière “à la place de” la kiné et inversement, mais une réelle coordination. En HDJ de réadaptation, cela se révèle très pertinent », constate Claudine Prétot, cadre supérieure de rééducation, pour qui cette formule ambulatoire « va dans le sens de l’avenir ».
Aujourd’hui, afin que les patients gardent le bénéfice du programme, le duo souhaiterait maintenir un lien avec eux. « Nous aimerions les recontacter quelques mois après pour voir où ils en sont, s’ils ont continué une activité physique, les freins éventuels, s’ils ont été réhospitalisés… », détaillent les deux soignantes. Une piste sérieusement envisagée mais qui achoppe encore sur la question du temps. FLORENCE RAYNAL
Le travail en duo infirmière-éducatrice est au cœur de l’activité de l’unité d’accueil rapide et de court séjour du Csapa Clemenceau, à Gagny (93), qui accueille dix sortants de prison ayant une addiction. Une approche qui vise à les aider à freiner leurs consommations.
C’est à la suite de stages effectués ici, au centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie Clemenceau, que j’ai découvert le travail en binôme IDE-éducatrice et c’est ce que j’ai apprécié », se souvient Noémie Toure, infirmière, qui a ensuite intégré ce Csapa sis à Gagny (93). Un avis partagé par Prune Guénon, éducatrice spécialisée, qui exerce dans l’unité d’accueil rapide et de court séjour pour sortants de détention et polyconsommateurs de psychotropes. « Contrairement à bien des structures, il n’y a ici aucun clivage entre le médical et l’éducatif. Nous avançons ensemble avec un même objectif : que les résidents réduisent leurs consommations », assure-t-elle. La mission du duo est ainsi de mettre en place avec les usagers, chacune à partir de ses compétences, une démarche de soins et de réinsertion sociale. « Le travail en binôme porte sur le cure et le care. L’IDE assure l’interface entre le médical et le socio-éducatif. Elle est la pierre angulaire de l’activité pluridisciplinaire et de la déclinaison quotidienne des projets individuels de soin des résidents. Les éducateurs restaurent les compétences et droits sociaux, évaluent la conduite addictive, participent à la continuité des soins des usagers et à l’observance thérapeutique », résume Agathe Bouillet, directrice du Csapa.
Chaque matin, avant les activités, Noémie Toure prépare les piluliers afin que Prune Guénon - ou un autre éducateur, la structure fonctionnant vingt-quatre heures sur vingt-quatre - distribue aux résidents leurs médicaments. Seuls les traitements de substitution aux opiacés (TSO) sont donnés par l’infirmière. Le dimanche cependant, jour sans présence médicale, cette tâche revient à l’équipe éducative. Pour permettre les soins, des démarches sociales s’imposent. Dans ce cadre, l’infirmière et l’éducatrice peuvent accompagner ensemble un résident à un rendez-vous médical, à l’hôpital. « Je coordonne la partie médicale avec le médecin et elle s’occupe du volet social, de la réouverture des droits à la Sécurité sociale, du dossier d’aide médicale d’État. Intervenir en binôme évite des blocages », se réjouit l’infirmière. Les échanges d’informations sont permanents entre l’IDE et l’éducatrice, référente de plusieurs résidents. « C’est important car nous percevons des choses différentes », relève Prune Guénon. Un résident aura par exemple plus de mal à dissimuler un abus à l’infirmière qu’à l’éducatrice, du fait des tests urinaires réalisés. Au-delà du contrôle, « ceux-ci sont un moyen de parler avec le patient de sa consommation, des difficultés rencontrées », précise l’IDE, qui l’oriente dans ce cas vers son référent. « On tente alors d’aborder le sujet mais sans rien forcer, pointe l’éducatrice. On ne va pas à la confrontation. En revanche, en réunion d’équipe pluridisciplinaire(1), on étudiera les stratégies à adopter sur lesquelles médical et éducatif peuvent s’entendre. »
Le duo exerce dans le cadre du respect du secret partagé. « Je ne transmets que ce qui peut favoriser un bon suivi », explique Noémie Toure. L’infirmière peut ainsi informer l’éducatrice de l’arrêt des TSO par un résident. « Cela génère souvent de la fatigue ou de l’irritabilité. Le savoir permet d’éviter des conflits », remarque Prune Guénon. De même en est-il des effets secondaires de certains traitements. « On s’appuie beaucoup sur le médical pour comprendre le comportement des résidents et adapter nos pratiques », poursuit-elle.
L’IDE passe aussi beaucoup de temps dans l’espace éducatif. Outre mieux saisir les exigences éducatives, « cela lui permet de mieux connaître les résidents, de renforcer les liens et de faciliter la parole », estime Prune Guénon. Les éducateurs bénéficient, quant à eux, d’exposés en interne visant à leur transmettre des connaissances sur les traitements, la pharmacocinétique… et se forment même aux Trod(2). Le duo co-anime aussi des ateliers : alimentation, bien-être… L’équipe réfléchit enfin à développer des séances d’éducation thérapeutique et un programme de réalité virtuelle. « À l’aide d’un casque, on projette des images permettant de confronter un résident à des situations à risque pour lui, comme le plonger dans une ambiance de bar pour voir son comportement et travailler autrement sur son addiction à l’alcool », décrit l’éducatrice. Mais, quelle que soit l’activité, c’est d’abord dans la relation et le prendre soin que, pour le duo, réside l’essentiel du travail. FLORENCE RAYNAL
Dans les services de soins palliatifs d’un établissement parisien, médecins et infirmières travaillent en étroite collaboration. Témoignages.
Diplômée depuis le mois de juillet, Nada Hegab a choisi d’emblée, comme premier exercice professionnel, les soins palliatifs et exerce dans un établissement parisien. « J’ai eu un coup de cœur pour les soins palliatifs car c’est le type de service où je retrouve vraiment ma vision du soin telle que je l’imaginais quand je me suis engagée dans le concours des études infirmières », explique la jeune femme. En soins palliatifs, les équipes de jour sont composées de trois IDE, trois aides-soignantes et deux médecins pour quatorze chambres individuelles. La nuit, il y a un médecin, une IDE et une aide-soignante. Des soignants qui échangent au quotidien de façon très différente de ce qui se fait dans les services de soins aigus. « C’est un vrai travail d’équipe, souligne Nada Hegab. Je n’ai vu cela nulle part ailleurs dans les autres services où j’ai été en stage. » Dans ce service, les IDE ne sont pas affectées à des chambres en particulier mais à l’ensemble du service. Une première infirmière arrive à 7 h le matin pour recevoir les transmissions de l’équipe de nuit. Les deux autres IDE prennent leur poste à 8 h et commencent les soins. À 10 h, l’ensemble de l’équipe se retrouve avec le médecin pour faire un point sur les événements de la nuit. Puis, les IDE et les aides-soignantes s’occupent des toilettes, tandis que le médecin va voir chaque patient. Un nouveau point est organisé avec toute l’équipe après le repas. « Ces deux temps d’échanges programmés sont très importants, explique Nada Hegab. On transmet au médecin si on a constaté des douleurs, de l’anxiété, des difficultés avec la famille. Il y a aussi des discussions informelles tout au long de la journée. » La nuit, un médecin est présent en permanence pour les six services, en lien avec les équipes infirmières de chacun. Au-delà de l’organisation spécifique de ce type de service, la relation entre médecins et IDE y apparaît plus collégiale qu’ailleurs. « Dans mon service, les IDE sont vraiment prises en compte, raconte Nada Hegab. Dans toutes les décisions prises par le médecin, y compris les prescriptions, leur point de vue est écouté. C’est un vrai travail d’équipe au service du bien-être du patient. »
Une vision confirmée par la Dr Dorit Warnike, qui fait partie de l’équipe de nuit. « Les équipes infirmières et aides-soignantes sont mon regard sur le patient, raconte ce médecin . Je trouve que nous travaillons vraiment main dans la main. Même si la décision reste médicale, nous échangeons beaucoup sur les conduites à tenir car les IDE connaissent bien leurs patients. En fonction de la charge de travail de chacun, nous pouvons aussi faire des soins ensemble, cela peut aller jusqu’à la toilette mortuaire. »
En soins palliatifs, les questionnements éthiques surgissent également très fréquemment. « Le travail avec le médecin va au-delà de lui rapporter simplement des évolutions de douleur, explique Nada Hegab. Nous parlons aussi des demandes de sédation profonde, des formulations par les patients de demande d’euthanasie, des patients ou des familles qui ne sont pas au clair avec ce que permet la loi. Nous échangeons aussi sur quoi dire dans ces cas et comment le faire. » Dans le service, le soutien mutuel dans l’équipe semble aussi très important, en particulier en cas de difficulté avec les familles qui ont la possibilité de rester en permanence au chevet de leur proche. « Il y a forcément des situations qui nous touchent et c’est important d’en parler ensemble » ajoute Dorit Warnike. Un temps de groupe de parole libre, de trente à quarante-cinq minutes, animé par une psychothérapeute extérieure est, par ailleurs, institué une fois par semaine avec les soignants qui le souhaitent. « On peut y parler de l’organisation du service ou d’une expérience personnelle, par exemple une soignante qui fait un contre-transfert sur un patient. On décortique tout cela ensemble, décrit Nada Hegab. Le fait que le médecin y participe encourage vraiment une certaine cohésion de l’équipe. Tout le monde y a sa place, c’est un temps d’échange très libre où on sent une écoute forte des uns et des autres. Ces réunions permettent surtout qu’on connaisse mieux le travail de chacun et qu’on se comprenne mieux. » Des temps de formation communs sont également organisés avec toute l’équipe. Un modèle à suivre. VÉRONIQUE HUNSINGER
Au centre cardiovasculaire du CHU de Poitiers (86), les IDE et les manipulateurs radio échangent leurs rôles tout au long de la journée. Polyvalents, ils forment aussi une équipe soudée et motivée.
David Czerwinski et Victor Galluchon ne partagent pas qu’un enthousiasme communicatif. Ils ont beau être de formation différente, leur quotidien est identique. L’un est IDE depuis vingt-cinq ans, l’autre a été diplômé manipulateur radio en 2016, et ils exercent tous les deux au sein du centre cardiovasculaire du CHU de Poitiers, inauguré début 2017. « Il y a cinq salles du plateau technique où nous exerçons en binôme : deux salles de coronarographie, deux de rythmologie et une salle hybride », détaillent-ils. Une aide-soignante, qui se partage entre deux salles, complète l’équipe. « On échange à chaque intervention : celui qui était en salle passe dans le bureau, et vice-versa », explique David Czerwinski.
Cette organisation, choisie par l’encadrement pour assurer la polyvalence des agents, implique que chacun se forme au métier de l’autre. « Les infirmiers nous ont beaucoup accompagnés au début, se souvient Victor Galluchon. Il a fallu apprendre à doser les médicaments, à les injecter, etc. Maintenant, ces gestes sont devenus beaucoup plus naturels. » C’est surtout en rythmologie que les soins infirmiers demandent une grande précision, car les interventions concernent un nombre grandissant de pathologies et sont donc très variées : exploration, stimulation cardiaque, cautérisation, etc. « Cela demande un investissement intellectuel et technique supérieur, reconnaît David Czerwinski, qui travaille en coronarographie depuis dix ans, après dix années passées en soins intensifs cardiaques. Je tire donc mon chapeau aux manipulateurs radio, qui ont su s’adapter à tous ces protocoles, alors que ce n’est pas leur métier à l’origine. »
Savoir s’adapter : cela semble être la clé pour travailler dans ce service. Les binômes ne sont pas fixes, il faut donc apprendre à travailler avec tous les membres de l’équipe. Les salles couvrent deux spécialités, en plus d’interventions complexes en salle hybride (qui combine angiographie classique et imagerie 3 D). De nouvelles procédures sont régulièrement introduites, qui impliquent de nouveaux gestes et matériels, avec lesquels les agents doivent se familiariser. « Mais comme nous nous connaissons bien, nous n’hésitons jamais à faire appel à notre collègue si on a un doute ou une question », apprécie Victor Galluchon. Des fiches mémo sur les différents protocoles ont également été rédigées et sont disponibles sur tous les ordinateurs des salles.
Au final, cette organisation en binôme permet une meilleure gestion des imprévus. « C’est plus facile au quotidien, pour la communication entre nous, de savoir de quoi l’autre parle. Et, en cas de souci, on peut unir deux cerveaux pour réagir au mieux », se félicite le manipulateur radio. Cependant, en cas d’urgence, chacun reprend sa place, celle où il a le plus de compétences. « C’est toujours la qualité des soins qui prime. Quand c’est nécessaire, nous oublions la logistique et l’organisation pour être le plus efficace possible, souligne David Czerwinski. Il n’y a pas de lutte d’ego, étant donné que nous partageons nos tâches habituellement. » Malgré leur grande polyvalence, le manipulateur radio sera toujours plus à l’aise pour régler un problème sur une des nombreuses machines du plateau, et l’IDE pourra mieux s’occuper des injections.
L’écueil, de l’aveu des deux hommes, serait d’augmenter encore le nombre d’actes sur lesquels ils peuvent être mobilisés. « Aujourd’hui, nous savons tout faire, mais nous ne pouvons pas être experts en tout, il y a trop de connaissances à assimiler, confie l’infirmier. Mais si l’on nous confiait encore plus de protocoles, nous serions rapidement perdus. » Se poserait alors la question d’étoffer les équipes ou de sectoriser les activités.
En attendant, l’IDE et le manipulateur radio peuvent compter sur l’esprit d’entraide qui prévaut dans toute l’équipe. « Quand on a fini notre journée dans une salle, on va spontanément aider les collègues », témoigne Victor Galluchon. Cette dynamique, ils ne sont pas prêts à l’abandonner pour un poste plus classique. « C’est prenant, cela demande de s’investir au niveau personnel, mais c’est vivant, motivant et stimulant. Je ne me vois plus travailler autrement », conclut David Czerwinski. LISETTE GRIES
1- Outre le médecin cardiologue et la cadre supérieure de rééducation, l’équipe comprend une IDE, deux kinésithérapeutes, deux psycho-motriciennes, une diététicienne et un éducateur d’activités physiques adaptées.
1- L’équipe comprend en particulier une médecin addictologue, une pharmacienne, une infirmière, un psychologue et des éducateurs.
2- Test rapides à orientation diagnostique.