L'infirmière Magazine n° 400 du 01/01/2019

 

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Il était une fois une histoire de mots et de maux qui arrivent sans crier gare et qui viennent tout bousculer. Ce matin, je vais chez cette dame que je croise habituellement une fois l’an pour sa prise de sang.

C’est une dame d’une cinquantaine d’années, active et dynamique.

Aujourd’hui, c’est la quatrième fois que je me rends chez elle. Quatre fois en peu de temps. Elle avait téléphoné pour une prise de sang urgente il y a quelques semaines, puis une autre tout aussi urgente peu de temps après, puis une autre en vue d’un scanner. Aujourd’hui, elle fait sa première prise de sang avant sa première chimiothérapie. Elle me raconte que l’oncologue l’a convoquée il y a deux semaines pour lui annoncer le diagnostic. Elle est venue au rendez-vous avec son mari et le médecin les a fait asseoir dans son bureau. Il a expliqué calmement les résultats et le verdict est tombé : des mots pourtant choisis avec soin mais qui lui ont transpercé le corps.

Les paroles rassurantes du médecin, la main chaude de son mari dans la sienne n’ont pas suffi à la protéger du gouffre qui s’ouvrait sous ses pieds. « Vous avez un cancer. » Quatre petits mots qui ont balayé sa vie en une seconde. Elle est sortie du cabinet sans trop savoir ce qui l’attendait. Elle ne faisait que se répéter : « Vous avez un cancer. » Elle est rentrée chez elle, a voulu reprendre le cours de sa vie mais les mots lui revenaient sans cesse. Son mari, ses enfants, ses amies tentaient de la rassurer mais elle n’arrivait pas à intégrer ce qui lui arrivait, comme si les quatre mots restaient coincés, comme s’ils bloquaient toute forme de pensée. Ce n’est qu’en allant voir son médecin quelque temps après que les mots ont pris sens. Elle est entrée dans le bureau, a regardé son médecin et lui a dit : « J’ai un cancer. » Les mots étaient sortis d’un coup mais elle s’est mise à pleurer doucement. En pleurant, en mettant des mots sur ses maux, elle a compris ce qui lui arrivait, ce qui l’attendait aussi. Lorsque le diagnostic tombe, c’est comme un tsunami. L’annonce reste gravée à tout jamais et au-delà, la personne se souvient surtout de la manière dont est faite l’annonce. Cette dame se rappellera peut-être d’une discussion posée avec son médecin, une discussion qui l’aidera dans son combat mais qu’en est-il de ceux dont l’annonce du diagnostic est faite à la va-vite ? Comment peuvent-ils prendre conscience de leur maladie si, dès le début, personne ne les aide à mettre des mots sur leurs maux ?