L'infirmière Magazine n° 400 du 01/01/2019

 

L’INFIRMIÈRE DE DEMAIN

DOSSIER

ADRIEN RENAUD  

Accélération des innovations technologiques, montée en flèche des maladies chroniques, enjeux de santé publique…, l’infirmière de demain gagnera en compétence et en autonomie.

La journée d’une infirmière en 2035

À quoi ressemblera le quotidien d’une infirmière en 2035 ? Petit saut dans le futur avec Christelle, une soignante qui ressemble par bien des aspects aux IDE de 2018, mais qui ne possède pas tout à fait les mêmes outils…

18 mai 2035, 9 h. Christelle franchit la porte du centre pluridisciplinaire de cardiologie où elle travaille depuis un an. Elle salue ses collègues, puis jette un œil à l’écran qui lui permet de rester en relation avec ses 1 854 patients. Le chatbot maison converse avec eux en permanence pour évaluer leurs symptômes, et seuls ceux qui nécessitent une intervention humaine sont portés à son attention. Ce matin, 17 téléconsultations infirmières sont prévues.

Christelle s’assied derrière la console de télémédecine et établit la connexion avec le premier patient. Toute la matinée, elle ajustera les traitements, prescrira des examens et enverra des ordonnances électroniques. Une seule fois, elle devra appeler son collègue médecin pour un cas que l’intelligence artificielle (IA) du logiciel, qui l’assiste en permanence, ne lui permet pas de résoudre seule. Entre deux patients, elle repense à sa tante Karine, infirmière diplômée dans les années 2000, qui craignait que la technologie ne déshumanise le métier. Au vu du fou-rire qu’elle vient d’avoir avec une patiente, elle peut dire que ce n’est pas le cas. Avant de partir déjeuner, Christelle contrôle le logiciel de distribution des médicaments par drone qui permet d’envoyer à chaque patient ce dont il a besoin. Elle ne reviendra pas dans les locaux avant demain matin et elle doit s’assurer que ses prescriptions seront exécutées correctement par la machine.

Puis elle embarque dans une voiture autonome qui la conduit à ses réunions de l’après-midi. La première d’entre elles concerne son projet de recherche : elle doit réfléchir à l’essai clinique qu’elle coordonne avec un médecin et une psychologue sur la prise en charge de la cardiopathie ischémique. Objectif : mettre au point un simulateur qui permettra de former les étudiants en santé sur la question. Puis, elle file au CHU, pour le staff hebdomadaire de coordination avec le service de cardiologie. Elle y discutera, avec ses collègues venus de toutes les disciplines, des cas des patients hospitalisés dans son centre. 18 h. Le véhicule autonome dépose Christelle chez elle. Elle se dit que si Karine faisait un beau métier, le sien l’est au moins autant.

Intelligence artificielle, robots… Amis ou ennemis de l’infirmière ?

La technologie sera dans les prochaines années l’un des principaux moteurs du changement dans la profession infirmière. S’achemine-t-on vers une concurrence entre la machine et le soignant ou va-t-on, au contraire, vers une collaboration permettant de diminuer la pénibilité du métier ?

De septembre 2016 à février 2018, dans les Ehpad de la Mutualité française de Loire et de Haute-Loire, des chercheurs ont observé la manière dont les résidents atteints de troubles cognitifs réagissaient à l’introduction d’un petit robot doté d’IA(1), baptisé Paro. Et les résultats ont été paradoxaux. D’un côté, les chercheurs ont noté que l’appareil, qui prend l’apparence d’un adorable bébé phoque au pelage blanc, s’est révélé un bon allié des soignants, permettant dans certaines situations de « canaliser la crise », de « consoler, déclencher la parole », de faire en sorte que « des souvenirs resurgissent »… De l’autre, ils ont remarqué que certains professionnels se sont parfois sentis « dépossédés d’une part centrale de leur activité : la relation au soigné ».

Les blouses blanches oscillent donc entre espoir et inquiétude face aux évolutions technologiques à venir. Et l’ascenseur émotionnel n’est pas près de s’arrêter car, bien qu’il fasse figure de prouesse en termes d’IA et de robotique, Paro n’est qu’un objet rudimentaire : le petit phoque se contente de tourner la tête quand on l’appelle, de manifester de l’affection, de la joie, du mécontentement en fonction du comportement du patient… Un jeu d’enfant en comparaison de ce que seront capables de réaliser les appareils qui peupleront le quotidien des soignants dans les prochaines années.

Des progrès pour les médecins…

Tous les aspects de la pratique soignante sont en effet concernés par l’IA, à commencer par l’exercice médical. Les publications scientifiques comparant la fiabilité des diagnostics effectués par un ordinateur à celle du jugement des médecins se multiplient, et elles se soldent bien souvent par la défaite de l’être humain. Pour ne citer qu’un exemple : en mai dernier, la revue Annals of Oncology annonçait qu’une IA avait correctement identifié 95 % des mélanomes dans une collection de cent images, quand un panel de 58 dermatologues n’en reconnaissait que 87 %. S’agit-il pour autant de substituer le médecin à l’IA ? « L’IA permettrait d’améliorer et sécuriser la prise de décision en assistant le médecin dans son processus de dialogue et dans la proposition thérapeutique, en donnant accès aux connaissances les plus actuelles dans un domaine », a expliqué Salima Benhamou, chef de projet Département travail emploi compétences à France stratégie, lors d’une conférence à la Paris HealthCare Week 2018 sur les enseignements du rapport « Intelligence articficielle et travail » de France stratégie(2). On peut s’attendre à une élévation du niveau de compétence car il faudra challenger l’IA et ne pas se laisser conduire par une prise de décision venant de celle-ci ». Mais l’aide au diagnostic n’est qu’un des domaines d’application de l’IA à la médecine. Celle-ci peut également être utilisée pour modéliser les tumeurs, ou encore pour prédire la réponse des patients à certains traitements, par exemple. Autant d’avancées qui concernent principalement les médecins, mais qui ne sont pas sans conséquences pour les infirmières. À terme, celles-ci peuvent en effet s’attendre, grâce aux progrès thérapeutiques, à avoir à prendre en charge moins de patients atteints de formes sévères ou avancées de diverses maladies.

… et pour les infirmières

Les infirmières doivent également se préparer à partager les couloirs hospitaliers avec des robots, comme c’est déjà le cas dans certains établissements japonais, où le robot Hospi entre dans les chambres pour distribuer les médicaments. Elles bénéficieront probablement de l’assistance de programmes les aidant à expliquer leurs traitements aux patients. « On pourra avoir des programmes d’information sur la prise en charge du diabète, par exemple, ce qui fera économiser du temps aux infirmières », prévoit le Pr Bernard Nordlinger, chirurgien à l’hôpital Ambroise-Paré (AP-HP), qui a coordonné avec le député et mathématicien Cédric Villani un ouvrage récent sur l’apport de l’IA à la santé(3). « L’IA pourrait encore favoriser le travail en équipe, une plus grande coordination entre professionnels par le biais de plateformes connectées, selon Salima Benhamou. Les professionnels de santé pourraient gagner en autonomie du fait de l’accès à de meilleures pratiques de prise en charge, via une déviation des tâches et une montée des compétences pour les IDE et les AS. »

Autre exemple de présence de l’IA cité par Bernard Nordlinger : les urgences. En améliorant la gestion du flux de patients entrant et celle des lits d’aval, en fournissant une aide à la décision sur les examens à réaliser, l’IA pourrait, selon le PU-PH, libérer du temps pour les infirmières et leur permettre de se concentrer sur ce qui est selon lui l’essentiel : le contact humain. Car, pour lui, il n’est pas question de songer à remplacer l’infirmière par la machine. « Ce n’est pas un robot qui va aller voir un patient le matin pour l’aider à calmer ses angoisses », assure-t-il.

Le grand remplacement aura-t-il lieu ?

Irremplaçables, les infirmières ? Elles semblent en tout cas moins directement menacées que certaines fonctions plus facilement substituables par la machine : administration, secrétariat, codage des actes, manipulation radio, etc. Mais imaginons qu’un jour, un chatbot soit parfaitement capable d’expliquer son traitement à un patient souffrant d’insuffisance rénale chronique et de répondre à toutes ses questions. Dans un contexte de pression financière permanente, le caractère intrinsèquement humain de l’exercice infirmier le protégera-t-il des suppressions de poste ? Que pèsera l’empathie infirmière au regard des économies substantielles que l’on pourrait faire en réduisant les effectifs et en allouant les sommes économisées à d’autres priorités ?

« Nous n’avons pas de garanties », répond Jean-Patrick Lajonchère, directeur de l’hôpital Paris-Saint-Joseph. Dans le livre coordonné par Bernard Nordlinger et Cédric Villani déjà cité, celui-ci est pourtant l’auteur d’un chapitre dans lequel il défend l’idée selon laquelle le travail infirmier est difficilement substituable par la machine, car « la nécessité d’interaction humaine dans le champ du soin est omniprésente ». D’ailleurs, une susbtitution totale entre humain et IA est pour l’heure exclue, a rappelé Salima Benhamou. « L’IA ne peut intégrer qu’imparfaitement la qualité de prise en charge d’un patient et les modalités de prévention. Elles relèvent d’un processus d’une grande complexité, liée à la relation fortement médiée entre un patient et une équipe soignante, et à la nécessité de prendre en compte un ensemble de dimensions, un environnement socio-économique spécifiques à chaque patient. »

Jean-Patrick Lajonchère conseille à tout le monde de prendre le sujet de l’IA en main, afin de « ne pas laisser croire qu’il s’agit d’un thème réservé aux médecins et aux mathématiciens. Si une profession arrive à s’emparer d’un sujet, à le faire sien, elle en fera ce qu’elle veut », estime-t-il. L’appel est lancé.

Évolution des compétences : l’infirmière de demain, une super-infirmière

Entre universitarisation de la formation, spécialisation de l’exercice et pratiques avancées, les compétences des infirmières sont en train d’évoluer. Et c’est une tendance qui n’est pas près de s’arrêter.

Qu’il semble loin le temps des manifestations infirmières de 1988, quand les blouses blanches avaient dû batailler pendant plusieurs mois contre le décret Barzach qui donnait la possibilité aux non-bachelières de présenter le concours infirmier ! Aujourd’hui, le diplôme infirmier est solidement ancré au grade universitaire de licence. On pourrait espérer plus, et c’est justement ce qui est en train d’arriver. Car les compétences infirmières sont en train de s’élargir à grande vitesse.

« On voit déjà le futur qui se dessine avec les pratiques avancées, ou encore avec le rôle accru de l’infirmière dans la vaccination, et j’appelle de mes vœux une poursuite de cette tendance, indique Patrick Chamboredon, président de l’Ordre national des infirmiers. Et compte tenu des enjeux auxquels devra faire face le système de santé, « l’infirmière est de plus en plus appelée à tenir un rôle de pivot au centre de la prise en charge du patient et de son parcours de santé, constate déjà Stéphane Moiroux, infirmier en établissement médico-social dans le canton de Genève, en Suisse. Elle doit communiquer, traduire les informations des uns et des autres, professionnels ou non, au sein de ce groupe (patient compris) de personnes œuvrant à l’amélioration ou au maintien de l’état de santé du patient. Cela sera d'autant plus vrai que le grand défi de l’infirmière dans les prochaines années se situera auprès des patients chroniques ou en situation de complexité. Bref, l’infirmier comme “organe” ou “ordinateur” de la coordination et de la gestion des flux d’informations autour d’une prise en charge. » Patrick Chamboredon résume : « On voit bien que de nouveaux besoins émergent et que le temps médical est compté : les infirmiers pourraient être en première ligne sur de nombreux points. ». Reste à savoir lesquels et comment atteindre cet objectif.

Objectif recherche

« L’un des leviers majeurs, c’est l’intégration universitaire pour laquelle on se bat depuis plusieurs années », indique Ludivine Gauthier, qui présidait encore aux destinées de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi) quand nous l’avons interrogée. Bien sûr, les pratiques avancées avec leur grade master sont un pas dans la bonne direction, mais l’étudiante veut voir plus loin.

« Il faudrait évoluer vers l’infirmier clinicien, comme au Canada : un infirmier généraliste capable de faire du premier recours et qui sait rediriger le patient si la situation sort de sa zone de compétence. » Autant dire que les orientations prévues dans les textes régissant la pratique avancée à la française, pour l’instant au nombre de trois (maladies chroniques, oncologie, néphrologie), ne satisfont pas totalement Ludivine Gauthier. Ce qui ne l’empêche pas de se projeter dans l’avenir.

C’est aussi le cas d’Isabelle Fromantin, infirmière spécialiste des plaies et docteure en sciences qui exerce à l’Institut Curie et mène ses activités de recherche à l’université Paris-Est Créteil. Un parcours hors du commun, que cette soignante voudrait rencontrer plus fréquemment. « Je n’ai pas envie de rester une exception, clame l’infirmière. La recherche n’est pas une promotion professionnelle, mais certaines infirmières ont une expertise. Or, on ne peut pas avoir une expertise sans faire de la recherche. »

De nouveaux actes

Il n’est d’ailleurs pas besoin de faire de la recherche pour envisager une extension des compétences infirmières. Les Iade, par exemple, qui ont déjà leurs spécificités dans le métier, se verraient bien exercer de nouvelles responsabilités. « Nous pourrions intervenir en péri-opératoire sur la prise en charge de la douleur, l’évaluation de l’état de santé ou encore les autorisations de sortie de salle de réveil », se prend à rêver Emmanuel Barbe, vice-président du Syndicat national des infirmiers anesthésistes (Snia).

Et les Ibode ne sont pas en reste. « On peut imaginer que nous serons amenées à jouer davantage un rôle d’assistante opératoire, à faire de nouveaux gestes au bloc comme des interventions de contrôle, des ablations de matériels, mais aussi à jouer un rôle en pré ou post-opératoire, par exemple sur le suivi des pansements », indique Brigitte Ludwig, présidente de l’Union nationale des infirmières de bloc opératoire diplômées d’État (Unaibode).

La quête infinie

Mais attention, il faut bien se souvenir que la quête de nouvelles responsabilités est infinie. Au Québec, qui fait figure de leader des pratiques avancées avec ses infirmières praticiennes et cliniciennes spécialisées, la bataille n’est, par exemple, pas terminée. Non seulement la province voudrait quadrupler le nombre de ses infirmières praticiennes spécialisées, mais l’un des combats de la profession y est ce que Luc Mathieu, nouveau président de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), appelle « la pleine occupation du champ d’exercice ».

« Il y a dix-sept actes réservés que les infirmières peuvent exercer au Québec, et nous ne les effectuons pas tous pleinement, comme par exemple l’évaluation de la santé physique et mentale », détaille Luc Mathieu. Rappelons qu’au Québec, les infirmières sont déjà autorisées à vacciner les enfants sans la supervision d’un médecin, et que leurs prérogatives en ce qui concerne la prescription médicamenteuse sont très étendues. En matière d’extension du champ des compétences, la route est encore longue.

Sortie de courbe : quand le virage ambulatoire sera terminé…

Entre l’essor des soins à domicile, le développement de la télémédecine et la complexification des parcours, un nouveau rôle pour l’infirmière est en train d’émerger. Et si l’on ne sait pas encore de quoi demain sera fait, on sait que l’IDE devra mettre les mains dans le cambouis de l’organisation des soins.

Les révolutions technologiques et notamment la numérisation font qu’on ne peut plus être infirmier aujourd’hui comme il y a vingt ans. » Telle est en tout cas le constat de Mathieu Girier, directeur des ressources humaines (DRH) du centre hospitalier intercommunal de Créteil (Chic) et vice-président de l’Association pour le développement des ressources humaines dans les établissements sanitaires et sociaux (Adrhess). « On va assister à une aspiration des infirmiers vers le haut », prédit-il.

Mais dans un système de soins en mutation, cette direction ascendante peut se traduire par de multiples configurations pour les infirmiers. Le fameux virage ambulatoire aboutira notamment à une situation où le soignant arpentera de moins en moins les couloirs de l’hôpital : sous la pression du développement des soins à domicile, on le trouvera davantage chez le patient (voir l’interview p. 26), mais aussi au téléphone, derrière une console de télémédecine, en réunion de coordination interprofessionnelle…

La coordination sauvera l’infirmière

La coordination est certainement l’une des voies les plus prometteuses. « Le profil d’une infirmière contient des qualités qui lui permettent d’effectuer des missions de coordination, que ce soit dans les services hospitaliers ou dans les territoires », estime par exemple Ludivine Gauthier, ex-présidente de la Fnesi.

Et dans un contexte où les réformes des retraites à venir laissent imaginer un allongement de la durée des carrières, ces perspectives d’activité non postée, davantage orientée vers le parcours que vers le soin lui-même, sont à même de redonner une attractivité à un métier qui en a besoin. Car d’après le président de l’ONI, Patrick Chamboredon, « on observe des durées de carrières assez courtes, de l’ordre de dix ans ». Il est donc essentiel de donner des perspectives d’évolution de carrières aux infirmières, et les métiers de la coordination font partie des pistes.

1- Lire L’Infirmière magazine, n° 399 (décembre 2018), p. 13.

2- « Intelligence artificielle : quel impact sur les conditions de travail ? », jeudi 31 mai 2018.

3- Santé et intelligence artificielle, sous la direction de Bernard Nordlinger et Cédric Villani, CNRS Éditions, octobre 2018.

DÉFINITION

L’intelligence artificielle, qu’est-ce que c’est ?

Pour tout savoir sur l’intelligence artificielle, on ne saurait que trop conseiller le dernier livre de David Gruson(1), récent co-pilote d’un rapport pour le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) sur les enjeux du numérique. Cet ancien directeur général de CHU y définit l’IA comme « la science dont le but est de faire faire par une machine des tâches que l’homme accomplit en utilisant son intelligence ». L’IA serait donc une simple affaire de programmation informatique, si elle ne se singularisait pas, d’une part, par la complexité des algorithmes qu’elle utilise, et d’autre part, par la quantité de données qu’elle ingurgite pour aboutir à ses résultats.

1- Voir bibliographie p. 26.

TRAVAIL DE GROUPE

Et le patient dans tout ça ?

L’infirmière de demain évoluera dans un environnement où le patient aura davantage voix au chapitre, que ce soit au niveau de ses droits individuels (protection des données de santé, etc.), ou de sa place dans le système de soins (enseignement, représentation administrative…).

« Les infirmières sont les professionnelles qui sont les plus proches des patients, et nous voulons contribuer avec elles à l’amélioration des soins », indique le Québécois André Néron, enseignant à l’École de santé publique (ESP) de l’Université libre de Bruxelles (ULB) et lui-même patient chronique. « Lorsque nous travaillons sur l’amélioration de la sécurité des soins, par exemple, nous disons : “Incluez-nous dans vos groupes de discussion !” » »

Et de prévenir : « Il ne s’agit pas de travailler contre les professionnels de santé mais avec eux. »

AILLEURS

L’Afrique en route vers l’infirmière augmentée

Dans de nombreux pays africains, la pénurie médicale place l’infirmière à des responsabilités bien plus importantes qu’en France.

→ Au Cameroun, en République démocratique du Congo, au Mali, pour ne citer que quelques exemples, il est très fréquent de voir des structures accueillant des centaines de patients par jour dirigées par une infirmière… ou plutôt par un infirmier, car la profession a dans ces pays un statut social tel qu’elle attire davantage les hommes que sous nos latitudes.

Et cette tendance n’est pas près de s’arrêter. Les nouvelles technologies, et en particulier la télémédecine, vont en effet permettre aux infirmiers africains d’effectuer dans des zones reculées des actes techniques spécialisés tels que des échographies, des électrocardio-grammes, etc.

→ Cette révolution est d’ailleurs déjà à l’œuvre : plusieurs projets sont en cours, comme le logiciel de télémédecine Bogou, actuellement expérimenté dans une quinzaine de pays. Celui-ci permet à l’infirmier ou à tout autre professionnel de santé enregistré d’envoyer des images ou des vidéos, même lorsque la connexion internet est mauvaise (ce qui est fréquemment le cas en Afrique). Il propose également des plateformes de discussions où les professionnels de santé peuvent échanger à propos des cas posant difficulté.

Les promoteurs de Bogou assurent qu’il réduit la facture des soins pour les patients en leur évitant des déplacements inutiles, et qu’il améliore les prises en charge en les rendant plus rapides. Autant d’affirmations qui restent à démontrer, mais une chose semble certaine : la technologie permet, en Afrique au moins, d’effectuer un pas de plus vers l’autonomie et l’affirmation de la profession infirmière dans le monde.

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

→ Santé et intelligence artificielle, sous la direction de Bernard Nordlinger et Cédric Villani, CNRS Éditions, octobre 2018.

→ Le médecin, la machine et moi. L’intelligence artificielle nous soigne déjà, David Gruson, Éditions de l’Observatoire, novembre 2018.

→ « Man against machine : diagnostic performance of a deep learning convolutional neural network for dermoscopic melanoma recognition in comparison to 58 dermatologists », H. A. Haenssle, C. Fink, R. Schneiderbauer and coll., Annals of Oncology, Vol. 29, Issue 8, 1 August 2018, pp. 1836-1842.

→ La pratique infirmière avancée. Vers un consensus au sein de la francophonie. Étude réalisée par le Sidiief par Diane Morin, infirmière, Ph.D., Sidiief, 2018.

Sur le net

→ « Intelligence artificielle et travail », Rapport 2018, France stratégie, bit.ly/2E28JgZ

→ « Médecins et patients dans le monde des data, des algorithmes et de l’intelligence artificielle », Livre blanc, Conseil national de l’Ordre des médecins, janvier 2018. bit.ly/2EF0WTq

→ Dossier de l’Inserm sur l’intelligence artificielle à retrouver sur le site : www.inserm.fr/ information-en-sante/ dossiers-information intelligence-artificielle-et-sante.

→ Rapport sur l’application des lois de financementde la Sécurité sociale, Cour des comptes. Chapitre V : « Le virage ambulatoire du système de santé : de nouvelles transformations à engager, en ville comme à l’hôpital », octobre 2018. bit.ly/2C8lQLZ

INTERVIEW LAURENT ALEXANDRE CHIRURGIEN-UROLOGUE, AUTEUR ET CHEF D’ENTREPRISE

Vers la concurrence des cerveaux

Laurent Alexandre est urologue et s’attache à décrire le futur de la médecine au fil de ses livres (dernier ouvrage paru : La Guerre des intelligences, JC Lattès, 2017) ou de tribunes dans la presse (Le Monde, L’Express…). Il expose pour L’Infirmière magazine sa vision de l’évolution du métier d’infirmière.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Les descriptions du futur du système de santé font souvent une grande place au métier de médecin et éludent fréquemment celui d’infirmière. Pourquoi ?

LAURENT ALEXANDRE : Parce que les infirmières sont moins médiatiques que les docteurs. Qui connaît aujourd’hui une infirmière célèbre ? Y a-t-il des infirmiers qui ont des tribunes dans les journaux ? C’est une profession qui n’a pas de porte-parole, un corps social muet.

L’I.M. : Vous dites souvent que le médecin de demain sera l’infirmière d’aujourd’hui. Que va donc devenir l’infirmière ?

L.A. : Le niveau de la médecine baisse, et parallèlement nous assistons à une montée en gamme des infirmiers : des cursus spécialisés sont en train de se développer, des passerelles sont en train de naître. En 2035, il n’y aura que peu de différences entre le médecin qui signera le document PDF élaboré par l’IA d’une part, et l’infirmière qui appliquera ce même PDF d’autre part.

L’un comme l’autre seront soumis au diktat de l’IA, car ils seront l’un comme l’autre incapables de décrypter les milliards de données sur lesquels elle se fonde.

L’I.M. : Va-t-on vers une concurrence entre IDE et médecins ?

L.A. : Oui. Le continent médical et le continent infirmier sont en train de se rapprocher à grande vitesse, et ils vont se rentrer l’un dans l’autre. Cela sera douloureux, notamment pour l’égo des docteurs.

L’I.M. : Dans le monde que vous décrivez, l’infirmière et le médecin vont se retrouver sur le même créneau. Le marché du travail ne risque-t-il pas d’être saturé ?

L.A. : Tout dépend du niveau auquel on se place. On manquera de personnes au plus haut niveau de compétence, et on se dirige vers une concurrence des cerveaux terrible. En revanche, ce sera très difficile pour les soignants « ordinaires ».

L’I.M. : Si l’IA menace les médecins, la robotique ne menace-t-elle pas les infirmières ?

L.A. : La robotique apportera des changements à plus longue échéance. Nous avons aujourd’hui des automates capables de réaliser une tâche sur une chaîne de montage, par exemple, mais les robots intelligents qui peuvent exécuter des tâches variées de manière autonome ne sont pas encore prêts. Aujourd’hui, les métiers de la santé qui se trouvent le plus menacés sont des métiers comme celui de radiologue.

Plus les métiers sont manuels, moins ils sont remplaçables, du moins dans l’immédiat. Il ne faut pas oublier que les robots de Boston Dynamics, que l’on voit sur YouTube et qui font des choses incroyables, coûtent 1,5 million de dollars pièce.

L’I.M. : Les progrès médicaux et les diagnostics plus précoces vont-ils diminuer la sévérité des pathologies, et diminuer les besoins en soins infirmiers ?

L. A. : Oui, mais pas demain matin. Il faut aussi se souvenir que la société vieillit, et qu’il y aura davantage de maladies à soigner dans le troisième ou le quatrième âge. Il faut toutefois souligner qu’on s’oriente vers davantage de soins à domicile, et vers moins de soins à l’hôpital.

L’I.M. : Quel conseil donneriez-vous à une jeune IDE pour se préparer aux évolutions à venir ?

L. A. : Il faut se souvenir que si l’infirmière n’est pas menacée à court terme par la robotique, elle peut demain se retrouver en concurrence avec les médecins. Qui, du couple infirmière-IA ou du couple médecin-IA, sera le plus adapté ? La réponse n’est pas forcément en faveur des médecins. Il me semble tout de même intéressant pour les infirmiers de s’orienter vers un PhD (doctorat, NDLR) ou un MBA (école de commerce, NDLR) pour entrer dans le management des soins. Aux États-Unis, on voit des infirmières qui font Harvard, et dans l’armée américaine, certaines infirmières ont le grade de général. C’est vers ce genre de double cursus que je m’orienterais si j’étais un jeune infirmier.

PROPOS RECUEILLIS PAR A. R.