FORMATION
RECHERCHE
Se documenter pour mieux cerner une prise en charge et y faire face au quotidien peut aussi être à l’origine d’un travail de recherche passionnant. Pour réaliser une revue de la littérature de qualité, l’important est d’avoir la méthode et les bons outils.
La pratique clinique infirmière ne cesse de s’étendre avec les progrès médicaux, l’évolution de certaines pathologies, les nouvelles modalités de prise en charge, comme l’ambulatoire, mais aussi du fait d’enjeux médico-économiques forts. Ces évolutions amènent, d’une part, les infirmières à interroger la pertinence de leurs pratiques à partir de la littérature scientifique mais aussi à proposer des innovations qui répondent à ces différents enjeux. D’autre part, l’exercice infirmier, quel que soit le domaine d’activité, nécessite de mettre à jour régulièrement ses connaissances pour accomplir des soins exemplaires. Aussi, il est important d’interroger la littérature pour savoir si le sujet a déjà été traité et, si oui, comment, et quelles en étaient les conclusions. Autrement dit, la revue de littérature permet de réaliser un état des lieux à un instant donné des savoirs sur un thème de recherche. L’intérêt est de surcroît personnel puisque cet exercice pousse à ébranler ses certitudes et donne l’occasion de se confronter à d’autres points de vue. Mais comment s’y prendre pour rechercher des connaissances issues de la littérature scientifique et utiles à la pratique ?
Cet article a pour objectif d’exposer la méthodologie d’une recherche documentaire scientifique, rigoureuse et pertinente pour identifier les écrits qui répondent à la question que l’on se pose. Il est illustré d’un exemple émanant d’une recherche financée dans le cadre du Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) de 2010, « Développement d’une échelle d’évaluation du risque de constipation des patients hospitalisés (ERCoPH) ».
Toute recherche documentaire nécessite rigueur et méthode pour identifier les connaissances sur un sujet précis et comporte différentes étapes à respecter, développées plus loin : définir la question de départ ; choisir les mots-clés pertinents ; sélectionner les bases de données pertinentes ; utiliser les équations de recherche et la bonne syntaxe ; sélectionner les articles et en faire une lecture critique.
La recherche bibliographique est un processus intellectuel qui débute d’un questionnement, d’une problématique de terrain, d’un manque de compréhension au sujet d’une situation précise. L’exemple choisi est celui de la problématique de constipation des patients hospitalisés. En effet, il s’agit d’un problème récurrent, fréquent et aux conséquences parfois graves parmi cette population.
→ Dans la pratique clinique, Berger et al. (2010) ont démontré la difficulté, tant pour le patient que pour le soignant, à communiquer sur le sujet particulier de la constipation. C’est pourquoi, l’utilisation d’une échelle d’évaluation du risque de constipation du patient hospitalisé (ERCoPH) a été envisagée pour faciliter la communication avec le patient sur ce sujet tabou et permettre à l’infirmière de mettre en place des actions préventives dès l’admission de la personne en hospitalisation.
→ La première étape a été de formuler la question de départ et de la transformer en question de recherche documentaire. Pour cela, il est possible pour des sujets cliniques de s’aider de la méthode PICO (population, intervention, comparaison, outcomes ou résultats attendus), ou de la méthode QQOQCP (qui, quoi, où, quand, comment, pourquoi) pour d’autres types de questions.
→ Pour l’étude ERCoPH, la méthode PICO (P : Patient hospitalisé ; I : Échelle d’évaluation, C : constipation, O : risque de constipation) a été utilisée. Cette méthode est une aide à l’élaboration de la question de recherche et facilite l’identification des mots-clés nécessaires à la recherche bibliographique. La méthode QQOQCP, elle, est une méthode d’analyse d’une question par des questions ouvertes et n’est donc pas adaptée dans cet exemple précis. La méthode retenue a permis de poser la question : existe-t-il, dans la littérature, des échelles permettant à l’infirmière de repérer les patients à risque de constipation dès son admission en hospitalisation ?
À partir de la question que l’on se pose, les mots-clés les plus pertinents sont choisis pour interroger les bases de données bibliographiques les plus adaptées. Ils sont traduits en anglais, langage scientifique privilégié.
→ Pour l’étude ERCoPH, les mots clés choisis sont : les mots-clés (français) : constipation, outil, échelle, évaluation ; keywords (anglais) : constipation, tools, scales, assessment.
→ L’étape suivant vise à sélectionner les bases de données bibliographiques les plus pertinentes par rapport à la question posée. Le chercheur peut alors choisir d’en interroger plusieurs en fonction de la question posée. En effet, il en existe de nombreuses, explicitées dans l’ouvrage d’évelyne Mouillet (1) comme par exemple :
• Google : ce moteur de recherche dit généraliste très connu et simple dans son utilisation est peu fiable quant à l’exigence d’indexation des articles. À éviter absolument car il y a beaucoup d’erreurs de références ;
• Google Scholar : il permet d’effectuer des recherches ciblées dans les domaines scolaires et universitaires, (mémoire, thèses, etc.) ;
• PubMed : spécialisé en biologie et en médecine, il diffuse des articles de recherche publiés dans des revues dites indexées, c’est-à-dire enregistrées dans la plus grande base bibliographique Medline. Très utilisé pour des questions principalement cliniques ;
• Cairn : ce portail Internet publie et diffuse des revues de sciences humaines francophones et sociales dont l’accès est payant ;
• BDSP : c’est une banque de données en santé publique d’accès libre ;
• Cinahl (Ebsco) : il indexe des articles de périodiques dédiés aux sciences paramédicales (payant) ;
• Persée : pour consulter des milliers de publications en sciences humaines et sociales, histoire, droit (gratuit) ;
• PsycInfo : une base de données en psychologie et domaines connexes, sciences infirmières (payant) ;
• Lilacs : il répertorie la littérature scientifique et technique en trois langues.
Le chercheur est le pilote de sa recherche. Au début, il va identifier quelles sont les bases de données les plus adaptées en examinant leurs fiches techniques et très vite limiter son choix à deux ou trois bases.
Pour des questions cliniques, seront privilégiées les bases de données comme PubMed, Cochrane Library mais aussi Cairn, Cinhal, BDSP. Pour des revues systématiques, des plateformes comme ScienceDirect, Ebscohost… Pour des questions en lien avec la psychologie, l’étude de comportement ou santé mentale, PsycInfo, PsycArticles, Persée sont plus adaptées.
→ Une fois la ou les base (s) de données choisies en regardant leur fiche technique, il s’agit de vérifier si elle possède un thesaurus de vocabulaire contrôlé et dynamique qui corresponde à une définition des termes choisis permettant d’extraire les articles traitant du sujet. Un thesaurus est « une liste de termes normalisés attribués par un groupe d’experts pour l’analyse de contenu thématique des documents d’information à l’intérieur d’un catalogue ou d’une base de données »(1)
→ Pour ERCoPH, la base de données PubMed a été privilégiée car elle aborde de manière complète les domaines en sciences de la vie, médecine et sciences biomédicales. Elle regroupe la majorité des références existant dans le domaine médical et doit être interrogée en langue anglaise.
Les mots-clés ont été traduits en anglais à partir du site HeTop(2) permettant de s’assurer qu’ils sont répertoriés dans le thesaurus de référence de PubMed nommés MeSH (Medical Subject Headings).
Les équations sont utiles pour construire différentes combinaisons de recherche et accéder aux articles les plus pertinents. Pour cela, les opérateurs booléens (and, or, not ou except) ou (et, ou, non ou sauf) sont nécessaires car ils affinent l’équation de recherche. Parfois, il est possible d’ajouter des filtres lorsque le nombre d’articles est trop important. Par exemple, on peut choisir de se limiter uniquement à ceux publiés les cinq dernières années, en accès libre, et cibler un type de population, comme les enfants, etc.
Une fois les étapes précédentes réalisées, il s’agit de sélectionner les articles les plus pertinents pour répondre à la question de départ et d’en faire une lecture critique(3). Une synthèse permettra de revisiter sa pratique professionnelle ou de poursuivre une innovation ou une recherche.
→ Les résultats pour ERCoPH : le moteur de recherche consulté a été PubMed. Différentes équations de recherche ont été utilisées avec des opérateurs booléens et une limite sur les dix dernières années du fait du nombre peu important d’articles dans ce domaine sans restriction et avec un accès aux textes en intégral. Une bibliographie doit être à jour des publications les plus récentes. Si les résultats sont peu nombreux ou insuffisants pour justifier la question, le chercheur élargit alors la période de sa recherche bibliographique (sur les dix dernières années ou limiter si la littérature récente est abondante). Certains textes anciens peuvent être utiles car fondamentaux (en psychologie, on pourra citer Freud…).
((“constipation”[MeSH Terms] OR “constipation”[All Fields]) AND (“risk”[MeSH Terms] OR “risk”[All Fields])) AND (“nursing”[Subheading])
Modalités de sélection : en lien avec l’utilité et l’utilisation des échelles à disposition dans la pratique infirmière.
Nombre d’articles retenus : 24 sur 85
La recherche documentaire est indispensable à la pratique infirmière, pour sa reconnaissance, son expertise et pour des soins exemplaires. Il s’agit d’une activité qui demande de la rigueur et nécessite de s’y former.
Il existe pour cela différents ouvrages, notamment celui de évelyne Mouillet, ou pour les étudiants, celui de Nathalie Favre et Céline Kramer (5), des articles publiés sur le sujet et des formations qui permettent de mieux s’approprier la démarche comme le diplôme universitaire sources d’information et recherche bibliographique de l’ISPED.
1- Mouillet É. La Recherche bibliographique en médecine et santé publique. Guide d’accès. 2e édition. Elsevier. 2010. 208 p.
3- Augustyniak C., Berger V., « La lecture critique d’articles scientifiques », L’Infirmière Magazine, 2018, p. 48.
5- Favre N. et Kramer C. La recherche documentaire au service des sciences infirmières et autres professions de santé, Édition Lamarre. 2016. 206 p.
1. Clarifier le sujet de la recherche en utilisant la méthode PICO.
2. Déterminer les mots-clés, les traduire en anglais si nécessaire.
3. Choisir les moteurs de recherche appropriés au sujet (il en existe de nombreux).
4. Utiliser les bases de données et leur thesaurus.
5. Élaborer des équations de recherche (combinaison des mots-clés entre eux) pour interroger la ou les bases de données.
6. Sélectionner les articles pertinents à partir du titre, puis du résumé et, pour les articles conservés, lire le texte dans son intégralité et en faire une lecture critique.
7. Enfin, réaliser la synthèse de votre revue de littérature.
Dans certains cas, le chercheur peut décider de réaliser une revue systématique sur un sujet particulier. Une revue systématique permet au chercheur de dresser un état des connaissances le sujet précis qui le concerne, de collecter l’ensemble des recherches disponibles réalisées ou en cours de réalisation. Ainsi, le chercheur analyse les différentes méthodes de recherche et adapte sa question de recherche ou adopte le schéma qui correspond le mieux à sa propre étude (4). Les bases de données peuvent être, par exemple, Clinical Research, Cochrane Library…
4- Fortin M.-F., Gagnon J. Fondements et étapes du processus de recherche : méthodes quantitatives et qualitatives, Chenelière Éducation, Montréal, 2010.