Deux ans après l’introduction de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, le CNSPFV(1) en pointe les paradoxes, ainsi que les résistances des professionnels.
Nous sommes confrontés à une situation difficile », résume le Pr René Robert, chef du service de réanimation médicale du CHU de Poitiers (86). Fin novembre, avec une douzaine d’experts, ce médecin a présenté les conclusions du groupe de travail sur la sédation profonde et continue jusqu’au décès qu’il préside au sein du CNSPFV. Et le bilan est mitigé. Au total, 2 775 procédures de ce genre ont été dénombrées en 2017, à parts égales entre hôpital, Ehpad et médecine de ville. La demande, qu’elle émane du patient ou des soignants, s’est soldée par une mise en œuvre effective dans 80 à 95 % des cas. Mais ces résultats sont difficilement extrapolables, puisque seuls 10 % des établissements et 4 % des généralistes ont répondu à l’enquête. Pascale Gabsi, psychologue en unité de soins palliatifs (USP), évoque des « situations très confuses » et une « résistance importante des équipes ». « Les médecins de soins palliatifs ont bien du mal à ce que la fin de vie se termine brutalement par une sédation profonde et continue », confirme Claire Nihoul-Fékété, chef honoraire du service de chirurgie pédiatrique viscérale de l’hôpital Necker. Elle dénonce l’ambivalence intrinsèque de la loi, qui fait « se dresser les médecins les uns contre les autres ». Introduite en février 2016 par la loi Claeys-Leonetti, la sédation profonde et continue jusqu’au décès est définie comme le droit du patient en fin de vie à « dormir pour ne pas souffrir ». Le texte prévoit deux cas de figure : en cas de « souffrance réfractaire aux traitements » et quand le patient demande l’interruption des traitements vitaux, au besoin via ses directives anticipées.
Fruit d’un compromis délicat, la sédation profonde et continue a été jugée trop audacieuse par certains défenseurs des soins palliatifs, qui y voient un risque d’euthanasie voilée, et trop timorée par les tenants d’une position plus franche. Les recommandations de la HAS(2), publiées en février 2018, ont plutôt joué la carte de l’encadrement strict de la loi. Au point que Véronique Fournier, présidente du CNSPFV, s’était élevée contre des règles jugées « trop restrictives et dissuasives ».
Aujourd’hui, le CNSPFV n’est guère plus convaincu des mérites de la loi Claeys-Leonetti et pointe de nombreux « paradoxes » sur le terrain. Les subtilités du cadre légal suscitent des malentendus entre patients et équipes de soins palliatifs, réfractaires à tout “faire mourir”. Beaucoup de demandes restent sans réponse, y compris dans le cadre des directives anticipées. Le groupe de travail invite ainsi à mieux sensibiliser les soignants sur le droit des patients à bénéficier de cette sédation. Il suggère de reconnaître les réticences de certains soignants, afin d’éviter que les patients ne soient « otages de la position des professionnels » et garantir une prise en charge effective dans tous les services concernés ainsi qu’en médecine de ville. « Il restera toujours une ambiguïté idéologique mais la situation est largement améliorable », reconnaît le Pr Véronique Fournier. Dans un communiqué, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) a, pour sa part, réaffirmé « l’engagement » des équipes de soins palliatifs dans la mise en œuvre des pratiques sédatives.