L'infirmière Magazine n° 400 du 01/01/2019

 

SYNDROME FIBROMYALGIQUE

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

ALINE BABIN*   ALICE GAIFFE**  


*cadre supérieure de santé de pôle
**psychologue clinicienne à la consultation d’évaluation et de traitement de la douleur chronique, CH de Salon-de-Provence

Depuis 2017, le CH de Salon-de-Provence (13) utilise les thérapies cognitives et comportementales (TCC) pour traiter la fibromyalgie. Un syndrome douloureux, assez fréquent, qui oblige les soignants à réfléchir à une prise en charge non médicamenteuse.

Les sociétés occidentales ont vu se développer un certain nombre de pathologies découlant d’une hygiène de vie inadaptée : troubles cardiovasculaires ou musculosquelettiques, diabète, obésité, douleurs chroniques… La douleur ne se définit plus aujourd’hui comme un élément ou une conséquence d’une pathologie mais comme une vraie maladie chronique. En effet, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) la décrit comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable en réponse à une atteinte tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite en ces termes »(1). En France, la loi du 9 août 2004 a inscrit la lutte contre la douleur dans ses 100 objectifs de santé publique. Les thérapeutiques médicamenteuses classiques ne s’avérant pas toujours efficaces, les professionnels de santé ont naturellement été amenés à rechercher des thérapeutiques alternatives, à travers une amélioration de l’hygiène de vie. C’est notamment le cas du syndrome fibromyalgique, qui se caractérise par des douleurs diffuses et particulièrement aiguës sur certains points.

Errance médicale et diagnostique

La fibromyalgie est un syndrome porteur de nombreux handicaps, tant sur le plan médical et psychologique que socioprofessionnel. En raison de l’augmentation croissante de la prévalence, de l’incompréhension des professionnels selon les modèles diagnostiques classiques et de l’inefficacité des traitements médicamenteux, le syndrome fibromyalgique pose la question des limites de notre modèle médical symptomatique.

→ Comment prendre en charge ces patients qui vivent une errance médicale et diagnostique et chez qui aucun des traitements proposés n’est suffisant ? Si, en France, 31,7 % des individus indiquent souffrir de douleurs chroniques (depuis plus de trois mois), indique la Haute Autorité de santé (2), la prévalence de la fibromyalgie est difficile à évaluer en l’absence d’un consensus clair sur les éléments diagnostiques de ce qui est considéré par certains comme une maladie et par d’autres comme un syndrome. De plus, aucun des traitements proposés n’a d’efficacité significative sur la douleur, alors que la consommation de médicaments est trois fois supérieure à celle des autres douleurs chroniques (J. Cabane, voir bibliographie p.40), la difficulté à traiter médicalement la fibromyalgie tient à son caractère bio-psychosocial.

Une volonté institutionnelle

Le CH de Salon-de-Provence a mis en place en 2017 un programme de thérapies cognitives et comportementales (TCC) pour sortir de cette impasse thérapeutique, en complément des missions de l’équipe qui se placent déjà dans une perspective bio-psychosociale. Labellisée par l’agence régionale de santé (ARS) depuis 2012, la structure douleur chronique, qui compte deux médecins algologues, une infirmière douleur, une psychologue et une secrétaire, prend en charge des patients douloureux chroniques externes adressés par leur médecin traitant ou des spécialistes. Elle traite majoritairement les lombalgies chroniques, la fibromyalgie, l’algoneurodystrophie et les céphalées/migraines.

→ Quelle que soit la pathologie, la consultation initiale est assurée par le médecin algologue qui dirige ensuite le patient vers une prise en charge pluridisciplinaire, soucieuse de répondre au plus près à ses besoins : l’infirmière douleur assure la prise en charge non médicamenteuse par la mise en place du neuro-stimulateur transcutané (Tens), par des séances de mésothérapie et de relaxation ; la psychologue réalise l’accompagnement psychologique individuel des patients en souffrance, anime des groupes de parole et les ateliers collectifs TCC.

→ L’équipe est également sollicitée pour des avis auprès des patients hospitalisés qui pourront ensuite être suivis en consultation. Cette structure fait partie du réseau douleur Paca, qui se réunit une fois par trimestre afin d’échanger sur les expériences et les pratiques de chacun. En 2017, la consultation douleur chronique a ainsi recensé 735 consultations réalisées par les médecins algologues, 498 par l’IDE douleur et 319 par la psychologue.

Protocole spécifique et pluridisciplinarité

L’enjeu principal d’une prise en charge par TCC est de modifier les réactions comportementales et émotionnelles face à une pathologie quelconque et de retrouver une maîtrise sur celle-ci. La douleur chronique est très souvent vécue comme une injustice, décourageant souvent les patients qui se sentent alors impuissants et se déconditionnent physiquement, ce qui aggrave le vécu douloureux en retour. L’intérêt est donc d’autonomiser les patients et de leur redonner un contrôle sur leur condition physique et de fait, sur leur quotidien. Un protocole TCC spécifique à la fibromyalgie a ainsi été construit par l’équipe de la structure douleur chronique qui a expérimenté un premier programme de deux mois, dont les résultats - très encourageants - mettent en évidence l’aspect thérapeutique de la dynamique de groupe.

→ Ce programme TCC s’organise autour des deux grands axes de travail, l’axe cognitif et l’axe comportemental, auxquels a été ajouté un versant éducatif. Si le volet éducatif est assuré par le professionnel de santé compétent dans le domaine concerné, les volets cognitif et comportemental sont sous la responsabilité de la psychologue. Les médecins algologues interviennent dès lors sur le versant éducatif concernant la physiopathologie de la fibromyalgie, les traitements médicamenteux et la gestion des troubles du sommeil. La psychologue aborde la question des représentations sociales de la douleur et de la composante psychologique en jeu dans la fibromyalgie (histoires de vie complexes, traumatismes, violences, etc.). Enfin, l’IDE présente les différents traitements non médicamenteux efficaces dans cette pathologie (acupuncture, Tens, massage, balnéo, hypnose…) et leurs indications. Cette pluridisciplinarité est nécessaire et bien accueillie par les patients, puisqu’elle donne du crédit à l’ambition d’une prise en charge globale.

→ L’inscription à ce protocole se fait en consultation individuelle, les patients de la consultation douleur, une fois reçus par le médecin algologue, se voient proposer la participation au programme. Au préalable, les professionnels s’assurent que le patient a mentalement bien intégré la réalité de la fibromyalgie, et qu’il soit en demande de thérapies alternatives de gestion de la douleur. Le programme est présenté oralement lors de la consultation et l’inscription se fait en fonction des dates et des disponibilités. Environ trois sessions sont proposées sur une année car l’équipe alterne avec un programme TCC adressé aux patients souffrant d’autres types de douleurs chroniques (céphalées, arthrose, spondylarthrite ankylosante, lombalgies chroniques, etc.). Le programme se déroule sur huit semaines à raison d’une séance collective par semaine, réunissant dix patients.

Organisation des séances

→ Lors de la première séance sont présentés à la fois l’équipe et le contenu du programme. On y aborde la définition des TCC, l’historique, les indications, les intérêts et l’efficacité dans la prise en charge de la douleur chronique. Quatre questionnaires sont ensuite renseignés par les patients pour évaluer leur qualité de vie (la composante émotionnelle par le questionnaire Hospital Anxiety Depression Scale, la qualité de sommeil grâce au questionnaire EFSMG, la peur de la douleur avec le questionnaire Tampa et les répercussions de la douleur dans les activités quotidiennes par le QIF).

Patients et psychologue établissent ensemble un projet de soins personnalisé qui précise les objectifs en fonction des difficultés du patient (la fibromyalgie étant un syndrome dont la manifestation symptomatologique varie selon chaque patient, le projet de soins est différent selon les individus : reprendre une activité physique, mieux gérer la fatigue, retrouver des loisirs et activités sociales après une mise en inaptitude professionnelle, ou encore trouver un équilibre entre l’inactivité en période de crise douloureuse et l’hyperactivité en période non douloureuse.

→ Les séances thérapeutiques démarrent dès la deuxième séance. Elles sont initiées par le versant éducatif qui apporte des connaissances théoriques au patient sur sa pathologie. Le versant cognitif vient dans un second temps et vise à prendre conscience et analyser le cercle vicieux des réactions émotionnelles inadaptées face à la douleur (des pensées pessimistes, catastrophistes, anxieuses et dévalorisantes). Ce travail s’appuie sur une réflexion et une analyse collectives à partir de situations concrètes vécues au quotidien et présentées oralement par les patients. Le versant comportemental s’organise en deux sous-axes : initier progressivement le patient à des techniques de relaxation (cinq niveaux au total), et le conduire à formaliser des objectifs en termes de reprise d’activité physique. Pour cela, chaque patient énonce des activités anxiogènes et algogènes et s’engage à les expérimenter à nouveau en limitant leur durée ou leur intensité.

→ À la fin de chaque séance, la psychologue élabore un programme de tâches à réaliser à domicile pour chaque patient. Il s’agit d’une lecture théorique reprenant le contenu de l’intervention éducative, un exercice cognitif d’analyse des pensées aggravant la douleur, des exercices comportementaux de relaxation et d’exposition progressive aux situations anxiogènes. Au début de la prochaine séance, le patient exprimera les facilités ou difficultés qu’il a eu à réaliser ces exercices.

Florence exprime en groupe ne plus faire de randonnée, activité qu’elle aimait beaucoup partager avec ses amis. De la même manière, sa vie sociale est très réduite à cause des douleurs et de la fatigue. Grâce aux échanges de groupe, elle prend conscience du cercle vicieux dans lequel elle s’installe et qui aggrave ses douleurs et sa dépression. Concernant la charge de travail que représente la maladie d’Alzheimer de sa mère, Florence, qui était d’un tempérament très indépendant, a accepté de demander de l’aide à son entourage pour s’occuper de sa mère. La relaxation à domicile lui a permis de mieux gérer la survenue des crises douloureuses. De fait, elle a pu reprendre en partie la randonnée et les activités sociales qui ont du sens pour elle.

Le temps de l’évaluation

Pour évaluer l’efficacité du programme, les patients répondent aux quatre questionnaires de qualité de vie en début et fin de programme, puis à un mois, trois mois et six mois. À ces questionnaires s’ajoute un cinquième, évaluant les connaissances théoriques sur la fibromyalgie acquises durant les deux mois de programme. Enfin, les résultats de l’enquête de satisfaction par questionnaire permettent à l’équipe d’avoir un retour critique et d’apporter des réajustements.

Florence indique à la fin du programme avoir particulièrement apprécié l’effet thérapeutique du groupe, ce qui s’en ressent sur les résultats du questionnaire HAD évaluant l’état thymique. Cependant, elle exprime que les exercices cognitifs à réaliser à domicile lui paraissent parfois trop académiques. Mais elle s’est bien familiarisée avec la relaxation, qu’elle pratique régulièrement à domicile par exemple avant de partir en randonnée.

Une prise en charge à exploiter

Ce protocole TCC répond à un problème de santé publique et à une volonté de s’adapter au mieux aux attentes des patients. Les résultats du premier programme, démarré en mai 2017, ne peuvent que nous inviter à poursuivre cette voie qui privilégie le contrat thérapeutique entre patients et thérapeutes.

La fibromyalgie étant décrite comme un syndrome difficile à prendre en charge, patients et médecins se trouvent parfois dans une situation d’adversité et de conflits (manque de connaissances des uns, recherche d’un médecin très spécialisé par les autres, etc.). Ce qui souligne les limites de notre modèle médical occidental.

À l’instar d’autres syndromes fonctionnels, la fibromyalgie nous contraint à prendre en charge les individus dans leur globalité, et à nous ouvrir à de nouvelles perspectives thérapeutiques non médicamenteuses. Ce protocole sera ainsi déployé à d’autres types de douleurs chroniques. L’équipe de la douleur chronique de Salon-de-Provence étant détachée au CH d’Arles, elle pourra faire bénéficier d’autres patients douloureux de ce programme.

1- À lire sur : bit.ly/2JFL6cW

2- Rapport à lire sur : bit.ly/2L7dJW6

CAS DE DÉPART

Florence, 38 ans, est aide-soignante en Ehpad. Depuis quelques années, elle souffre de douleurs diffuses évoluant par poussées. Après des consultations chez différents spécialistes, son médecin la dirige vers notre centre d’évaluation et de traitement de la douleur. Lors de la première consultation, elle évoque des troubles de la concentration, des fluctuations de l’humeur et une grande fatigue invalidante sur le plan professionnel, majorée par les horaires de travail irréguliers et des conflits institutionnels. Elle s’occupe de sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Charge de travail et réveils nocturnes de sa mère aggravent la symptomatologie douloureuse de Florence.

DIAGNOSTIC

Une maladie qui pose question

La fibromyalgie est un syndrome douloureux complexe dont la définition ne fait pas encore consensus. La recherche scientifique n’en est encore qu’à ses débuts et les éléments de causalité sont encore mal compris. Après élimination d’un certain nombre d’hypothèses étiologiques (hypothèses rhumatologique, neurologique), le diagnostic de syndrome fibromyalgique se pose à partir de trois grandes lignes : douleurs diffuses à la palpation et notamment sur certains points douloureux, troubles de l’humeur et perturbation importante du sommeil. Face à l’efficacité modérée des traitements antalgiques et psychiatriques, la question d’une compréhension et d’une prise en charge bio-psychosociale prend tout son sens.

BIBLIOGRAPHIE

  • Rapport d’orientation « Syndrome fibromyalgique de l’adulte », Haute Autorité de santé, juillet 2010.
  • Cabane J., « Qu’est-ce qui se cache derrière la fibromyalgie ? », La revue de médecine interne, 2011, pp. 445-460.
  • Maquet et al., « Intérêt du réentraînement à l’effort dans la fibromyalgie et autres syndromes apparentés », Annales de médecine physique et de réadaptation (50),2007, pp. 356-362.
  • Orsat M., « La neurasthénie du XIXe au XXIe siècle : figures et masques de la première maladie psychosomatique », Annales médico-psychologiques, n° 171, 2013, pp. 357-361.
  • Smythe H. A., Moldofsky H., « Two contributions to understanding of the “fibrositis” syndrome », Bulletin of rheumatic diseases, vol. 28, n° 1, 1977, pp. 928-931.