L’annonce en septembre de la création du métier d’assistant médical, censé épauler les praticiens de ville en cabinet, a fait bondir les syndicats d’Idel. Depuis, un timide dialogue s’est amorcé entre médecins et infirmiers à ce sujet. Mais l’incompréhension demeure.
C’est l’une des mesures phares du plan Ma Santé 2022, présenté le 22 septembre par Emmanuel Macron : d’ici la fin du quinquennat, ce sont 4 000 assistants médicaux, en partie subventionnés par l’Assurance maladie, qui devront travailler dans les cabinets des généralistes et spécialistes. L’objectif est de faire gagner du temps aux praticiens libéraux et de leur permettre de se concentrer sur leur cœur de métier. Une idée saluée par les syndicats médicaux, qui ont commencé en janvier à négocier sur le sujet avec l’Assurance maladie (voir encadré) mais qui fait l’unanimité contre elle du côté des syndicats d’Idel.
« Nous pensons que c’est une mesure délétère, car on voit bien que les professionnels à recruter sont des infirmiers, estime Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). À terme, c’est la porte ouverte au salariat des infirmiers au sein des cabinets médicaux. » Autre risque soulevé : celui de la concurrence déloyale. « Nous ne voulons pas que des professionnels non formés puissent effectuer des actes, ce serait une brèche inacceptable et un souci pour la qualité des soins », prévient Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière (CI).
Le problème, c’est que les assistants médicaux seront inévitablement amenés à effectuer certains actes. C’est même pour cela qu’ils ont été créés. « Ces personnels de santé accompagneront et déchargeront le médecin d’actes simples, concourant […] à la prise en charge du patient », déclarait le Président dans son discours de présentation du plan Santé. En réalité, le métier d’assistant médical aura deux composantes, du moins si on en croit le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), principal syndicat de médecins libéraux. « La première, ce sera l’accueil, l’administratif. La seconde, la gestion de la pré-consultation : installer le patient, le peser, préparer le dossier… », indique ce néphrologue.
Celui-ci tient d’ailleurs à préciser que le profil recherché n’est pas celui d’une infirmière, mais plutôt celui d’une aide-soignante à qui l’on permettrait d’effectuer une formation lui donnant des notions de secrétariat médical. Ou encore celui d’une secrétaire médicale qui aurait acquis les compétences nécessaires pour effectuer certains gestes de base. « Il ne s’agit en aucun cas d’avoir des infirmières salariées dans les cabinets médicaux pour faire la paperasse », démine-t-il.
Il en faudra toutefois plus pour rassurer les syndicats d’Idel. D’autant plus que ceux-ci pensent avoir des réponses à apporter aux problèmes que rencontrent les médecins. « Nous comprenons bien la nécessité pour eux d’augmenter le temps de consultation, mais nous sommes déçus de voir que nos propositions pour gagner du temps médical ne sont pas prises en compte », regrette ainsi Catherine Kirnidis, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). Il faut reconnaître que certains syndicats médicaux ont cependant tenté de dialoguer avec les Idel. C’est notamment le cas de MG France, majoritaire chez les généralistes. Malheureusement, les deux professions ne semblent pas tout à fait sur la même longueur d’ondes. Cela se traduit dès le diagnostic posé par le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. « Les Idel ne sont pas contentes car elles sont en pleines négociations conventionnelles, qu’elles espèrent une revalorisation de leur profession, et qu’elles ont l’impression que l’argent disponible va être mis sur les assistants médicaux », analyse le syndicaliste. Une crainte que les syndicats d’Idel ne mettent pourtant pas en avant.
Jacques Battistoni dit toutefois comprendre « qu’il faut trouver une collaboration plus élargie avec les infirmières libérales ». Il explique même avoir proposé aux syndicats d’Idel de réfléchir ensemble à la question. « On pourrait envisager la participation des infirmières libérales à l’organisation de la continuité des soins, détaille-t-il. Elles pourraient être associées, aux côtés du médecin, dans des maisons médicales de garde pour la prise en charge des soins non programmés, un peu à la manière des infirmières hospitalières qui participent à l’accueil des urgences. »
Catherine Kirnidis, qui a discuté de ce sujet avec Jacques Battistoni, n’en tire pas tout à fait les mêmes conclusions. Elle envisage en effet d’intervenir dans le cadre des soins non programmés, mais d’une manière tout à fait différente. Elle se voit en effet au domicile du patient plutôt que dans une maison médicale. « Si nous étions reconnues comme professionnelles de premier recours, nous pourrions intervenir sur des situations préoccupantes (une chute, un malaise), sans pour autant faire intervenir le 15, explique-t-elle. Il s’agit souvent de choses que nous faisons déjà, sans pour autant être payées. »
Ghislaine Sicre n’est pas non plus convaincue par l’idée de MG France concernant la prise en charge des soins non programmés aux côtés des médecins dans des maisons médicales de garde. Mais elle n’est pas fermée pour autant à toute discussion pour imaginer des mécanismes permettant de faire gagner du temps aux médecins. « Nous leur proposons de faire un bilan de leurs patients chroniques, que nous pourrions leur transmettre de manière régulière et sécurisée sous forme de fiche, imagine-t-elle. Bien sûr, ce travail serait rémunéré. »
Daniel Guillerm, de son côté, voit plus large. « Nous plaidons pour un élargissement du champ de compétences des Idel, explique-t-il. Nous pourrions donner un vrai coup de main aux médecins sur le suivi des pathologies chroniques. » Reste que le syndicaliste est pessimiste sur l’accueil que les médecins pourraient réserver à un tel élargissement. « Il s’agirait d’un véritable partage des compétences, qu’ils appellent “transfert de tâches”, estime-t-il. Et on voit bien que les médecins sont arc-boutés sur leurs prérogatives. »
Reste une question : dans quel cadre de telles ambitions peuvent-elles bien se traduire ? Pas dans celui des négociations sur les assistants médicaux, auxquelles les représentants des infirmières libérales ne sont même pas conviés (voir encadré). Le planning des négociations conventionnelles des Idel semble quant à lui déjà trop chargé (médicament, iatrogénie, télémédecine, pansements complexes…) pour qu’on puisse ajouter un point à l’ordre du jour. Les négociations sur l’exercice coordonné, enfin, font intervenir bien des professions qui ne seront pas forcément directement concernées par les discussions entre médecins et infirmières.
Reste donc le cadre législatif. « Il y a le prochain PLFSS (Projet de loi de financement de la Sécurité sociale, NDLR) ainsi que la future loi vieillissement », argue Daniel Guillerm. Il n’y a plus qu’à préparer les amendements.
Si quelqu’un a un agenda chargé en ce moment, c’est bien Nicolas Revel, le directeur de la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam). Celui-ci doit en effet mener de front trois négociations conventionnelles. La première dure depuis juillet 2017 et a repris en décembre dernier, après une interruption de plusieurs mois : il s’agit de la négociation conventionnelle avec les Idel. Elle doit théoriquement se conclure mi-février, et le rythme prévu pour y parvenir est intense : pas moins de cinq séances de discussion ont été prévues en cinq semaines.
En parallèle, le patron de la Sécu discute avec les syndicats représentatifs des médecins libéraux pour conclure un accord sur les assistants médicaux. En jeu, notamment, les modalités de financement de ces nouveaux professionnels. Quel sera le montant de la subvention accordée aux praticiens qui embaucheront un assistant médical ? Quelles seront les conditions pour l’obtenir ?
Enfin, Nicolas Revel mène des négociations avec l’ensemble des professions libérales du secteur de la santé sur l’exercice coordonné. Il s’agit de donner vie aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui doivent permettre aux soignants d’un même bassin de vie de travailler ensemble. Là encore, il s’agit avant tout de gros sous, puisque le cœur du problème est celui du financement de ces CPTS.