L'infirmière Magazine n° 401 du 01/02/2019

 

Noémie NAULEAU, Animatrice de la commission santé du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH)

DOSSIER

INTERVIEW

C. C.-C.  

Noémie Nauleau, 33 ans, souffre d’une amyotrophie spinale. Elle porte la voix des personnes handicapées dans des instances nationales et locales.

En matière d’accès aux soins, elle dénonce un « système » qui malmène le corps et nie la personne, sans pour autant stigmatiser les soignants.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Vous avez un handicap lourd, mais vous vivez aujourd’hui seule, dans votre appartement, vous avez une vie riche d’engagements. Comment avez-vous gagné votre autonomie ?

NOÉMIE NAULEAU : Je suis atteinte d’une amyotrophie spinale depuis ma naissance. C’est une maladie neuromusculaire génétique. J’ai d’abord vécu comme tous les enfants. Je suis allée à l’école ordinaire comme tous les enfants et cela se passait très bien. Mais à la fin du CE1, le directeur et l’instituteur ont décidé que c’était trop lourd de s’occuper de moi. À 8 ans, j’ai été admise en institut médico-éducatif avec des personnes aux handicaps divers, dont beaucoup de troubles psychiques. C’était un choc terrible. J’ai fait ma première dépression. J’ai longtemps pensé que seule l’école me permettrait d’avoir une situation. Je suis têtue, je suis allée jusqu’au bout : en classe de seconde, je suis tombée dans le coma, d’épuisement. Quand je me suis réveillée, j’ai dû me rendre à l’évidence. Les efforts que je dois faire au quotidien sont trop lourds, les études sont impossibles. Des éducateurs m’ont aidée à comprendre que je pouvais me réaliser autrement, en ayant une vie amicale, sociale, un engagement militant. Aujourd’hui, je suis chargée de mission, notamment sur les questions de santé, pour l’association Handidactique de Pascal Jacob. L’autonomie, c’est se débrouiller avec ses dépendances.

L’I.M. : Quelle est votre relation avec le milieu médical ?

N. N. : Quand on est handicapé, c’est un vrai travail de prendre soin de sa santé. J’ai subi une dizaine d’opérations lourdes, au minimum de huit heures, en particulier des hanches et de la colonne vertébrale. Je suis trachéotomisée. Je suis souvent encombrée, je fais des infections pulmonaires à répétition. Mais je n’ai pas envie de n’être qu’une patiente, je veux vivre aussi. De mes 13 ans à aujourd’hui, j’ai réussi à éviter le CHU. J’ai tissé des relations de confiance avec des médecins dans une clinique spécialisée sur la prise en charge de la douleur. Mais mes problèmes de santé s’aggravent, ils sont à la limite de leurs compétences. J’essaie aujourd’hui d’être identifiée au CHU de Nantes, mais je n’y arrive pas. Le jour où j’ai ressenti une violente douleur à la poitrine - c’était une embolie pulmonaire -, j’ai dû passer par les urgences.

L’I.M. : Pourquoi les urgences sont-elles un lieu si peu indiqué pour les personnes handicapées ?

N. N. : Ils ne savent pas s’occuper de moi, ils ne sont pas assez nombreux. Et j’ai beaucoup de mal à me faire entendre. La dernière fois, pour l’embolie pulmonaire, il y a eu des progrès. On ne m’a pas imposé le brancard, où je souffre, parfois pendant des heures, parce que je ne peux pas bouger. J’ai aussi réussi à tenir tête aux soignants, j’ai refusé la prise de sang. C’est impossible de trouver une veine sur moi, donc j’ai une chemise implantable. Mais il faut prendre un peu de temps pour stériliser le matériel. Pour aller plus vite, les infirmières insistent, pensent que je suis capricieuse, ont le sentiment que je remets en cause leurs capacités. Souvent, je renonce, je rentre en moi-même, pour faire abstraction de la douleur. Car une, puis deux, puis trois infirmières s’acharnent sur mes poignets, mes pieds, ma tête. Je finis couverte d’hématomes. Quand je suis avec mes parents, c’est différent, eux, on les écoute. J’ai 33 ans, cela me rend dingue.

L’I.M. : Y a-t-il des améliorations ?

N. N. : Quand j’étais petite, les infirmières prenaient le temps de me faire manger. Aujourd’hui, elles n’ont plus le temps. Je ne leur en veux pas, j’ai vu la dégradation de leurs conditions de travail. Et des hôpitaux s’engagent, à travers la charte Romain-Jacob. J’étais là quand le CHU de Nantes l’a signée. Mais qui est au courant à l’intérieur de cet hôpital ? La réalité est que je ne suis pas en sécurité à l’hôpital. La dernière fois, je me suis retrouvée toute seule aux urgences pendant huit heures, sans bouger, ce qui est douloureux pour moi, sans que personne me donne un magazine ou à boire. Je ne peux même pas utiliser la sonnette, elle n’est pas accessible. Je ne veux pas avoir l’air trop négative. Je suis optimiste, les choses doivent bouger. Il faut cesser d’opposer le savoir médical et le savoir de la personne concernée, qu’elle soit handicapée ou malade chronique. Ces deux savoirs doivent collaborer.