L'infirmière Magazine n° 401 du 01/02/2019

 

EXPRESSION LIBRE

Jérôme Bergé  

Infirmier,
chargé de prévention,
d’éducation et de promotion de la santé à Pau (64)

La prévention est l’axe essentiel et déterminant de la santé de demain. Elle est un enjeu de santé publique mondialement reconnu et la France en a fait la priorité de sa politique de santé. Soigner mieux que l’on prévient est une aberration logique. Or, mon expérience de soignant, à la fois en institution et au domicile des patients, montre que la prévention est difficilement perceptible pour les gens, même pour les soignants. L’exemple flagrant est le faible taux de soignants vaccinés contre la grippe, ce qui, au-delà d’un aspect déontologique dont on pourrait discuter, interroge sur la défiance qui s’est installée, à tort, à propos de la vaccination en général. La révolution médicale qu’est la vaccination est venue se heurter au mur moderne de la fausse information. On pourra également citer l’inquiétante stagnation des cas de contamination par le VIH après une période encourageante de régression, ou l’augmentation du tabagisme chez les femmes depuis deux générations.

La prévention est presque toujours associée à de la contrainte, ou pire, à une atteinte des libertés individuelles, à l’interdiction de jouir, du plaisir, de l’excès, ou encore, à des fantasmes lobbyistes. Nous vivons dans une société à la recherche de l’immédiateté de l’effet dans un climat social fragilisé par les inégalités, qui se sont insidieusement installées depuis des décennies. Le progrès exponentiel de la science a participé à créer ce monde curatif où la solution prime sur le problème, où le remède banalise la maladie : « Ça se soigne bien ça maintenant, il y a de bons médicaments. » Il est plus facile d’admettre le soin de l’instant que l’évitement du soin du futur.

La santé s’inscrit depuis trop longtemps dans un court-termisme, d’excellence certes, mais dont on n’a pas réussi à donner une vision de bien commun. Or, il est facile d’établir scientifiquement que la prévention, associée au progrès médical, a permis qu’on soit en meilleure santé aujourd’hui qu’hier. Il y a un équilibre entre le soin et la prévention qu’il semble nécessaire d’établir. Cela passe par une approche de la prévention qui se voudra plus pédagogique et qu’il faudra initier dès le plus jeune âge, en l’intégrant davantage dans les modèles d’éducation. Il s’agira non pas de contraindre, d’interdire, de culpabiliser, mais d’expliquer, de convaincre. La prévention est injuste quand elle est juge, inefficace quand elle est moralisatrice. Elle ne pourra s’inscrire que dans une éthique du prendre soin, une relation de sollicitude entre le soignant qui sait et l’autre qui saura en retour. Il faudra redonner la primauté de l’humanité sur la technicité en réinstaurant le dialogue pour ne plus entendre : « Si j’avais su, je vous aurais écouté… » Mais prendre soin, c’est aussi accepter le refus du dialogue sans jamais renoncer à l’accompagnement des conséquences. La santé publique n’est pas une atteinte à la liberté d’autrui. Son rôle est de veiller, sur lui, avec lui, pour lui… et pour nous.