L'infirmière Magazine n° 401 du 01/02/2019

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

THIERRY PENNABLE  

Arrivé aux urgences pour une plaie associée à une hyperthermie, M. D. va faire l’objet d’une prise en charge pluridisciplinaire, nécessitant une série d’examens.

CAS CLINIQUE

→ M. D., 62 ans, jardinier de profession, présentant un diabète de type 2 ancien et mal équilibré, arrive aux urgences pour une plaie au pied gauche et une hyperthermie à 38,5 °C.

→ M. D. évoque une ampoule, qui s’est formée sur le bord externe du gros orteil il y a un mois. Pourtant peu douloureuse au départ, la plaie s’est rapidement aggravée avec l’apparition d’un œdème sur le dos du pied, étendu ensuite au tiers inférieur de la jambe. L’œdème est rouge et chaud à l’examen clinique.

→ M. D. se plaint également de douleurs diffuses dans les deux jambes qui ressemblent à des crampes, prédominant pendant la nuit. Il précise que ces douleurs sont antérieures à la plaie.

→ Les antécédents de M. D. révèlent une amputation d’orteil au niveau du pied droit, consécutive à une plaie nécrotique, un tabagisme à environ un paquet par jour pendant plus de trente ans, une hypertension artérielle et une dyslipidémie traitées.

DÉMARCHE DE SOIN

Les mécanismes multifactoriels impliqués dans la physiopathologie des plaies du pied diabétique nécessitent une coopération multidisciplinaire, avec un objectif constant : permettre la cicatrisation de la plaie, si possible sans avoir recours à une amputation, tout en maintenant la marche.

1. ÉVALUATION DE LA PLAIE

Élément incontournable de la prise en charge, l’examen clinique évalue :

- le contexte précis de survenue de la plaie et ses potentiels facteurs déclenchants : chaussures inadaptées, présence d’ongles blessants, anomalies précédant la lésion (fissures, mycoses, crevasses, hyperkératoses), plaie traumatique secondaire à une hyperkératose ou mécanique (autosoins par exemple). En l’occurrence, la profession de M. D. est susceptible d’entraîner des contraintes biomécaniques au niveau du pied et des traumatismes externes, le plus souvent en lien avec les chaussures utilisées ;

- le terrain de la plaie : ulcère neuropathique, artériel ou mixte (neuro-ischémique). Une participation artérielle est recherchée par la palpation des pouls, par la mesure des index de pression systolique (IPS) et de la pression d’orteil, voire par la mesure de la pression transcutanée d’oxygène (TcPO2). La diminution de la sensibilité liée à une neuropathie est détectée par un test au monofilament de 10 g ;

- l’aspect de la plaie : nécrose, fibrine, granulation, épidermisation et épithélialisation. Présence de fibrine dans le cas de M. D. ;

- la topographie de la plaie. La superficie est mesurée après débridement. La profondeur évaluée par sondage à l’aide d’un stylet montre que la plaie de M. D. atteint les parties molles et les structures osseuses sous-jacentes (contact osseux) ;

- les signes cliniques d’une infection locale : rougeur, écoulement purulent, chaleur, tuméfaction, douleur (sauf en cas de neuropathie). Dans le cas présent, un érythème péri-ulcéreux s’étend à plus de 2 cm autour des bords de la plaie de M. D. ;

- la présence éventuelle de signes d’infection systémique, notamment syndrome fébrile, frissons ;

- la peau périlésionnelle : macération, hyperkératose. Dans le cas de M. D., la plaie se présente comme un petit cratère avec des bords abrupts émergeant au centre d’une zone d’hyperkératose sur un pied chaud et sec, associé à un pouls “bondissant”. Ces caractéristiques sont celles d’un mal perforant plantaire, qui présente un risque d’infection d’autant plus grave que le sondage à l’aide d’un stylet montre que la plaie atteint les parties molles et les structures osseuses sous-jacentes. Une neuropathie périphérique est confirmée par le test au monofilament de 10 g. La diminution de la sensibilité explique une négligence d’une première atteinte cutanée de type durillon et contribue au retard de prise en charge. La neuropathie peut aussi expliquer les douleurs dans les jambes, les douleurs évocatrices sont à type de brûlure ou de “coup de poignard”, voire des paresthésies (sensations de fourmillements, picotements ou engourdissements, sensations de chaud et froid), sujettes à une recrudescence nocturne. L’IPS inférieur à 0,90 impose l’exploration d’une artériopathie des membres inférieurs par un écho-doppler artériel.

2. EXAMENS PARACLINIQUES

Il convient de réaliser :

- un bilan biologique recherchant un syndrome inflammatoire (CRP, hémocultures si fièvre > 38,5 °C). Bilan biologique d’évaluation de l’équilibre glycémique (dosage HbA1c) et des complications du diabète (évaluation de la fonction rénale) ;

- un prélèvement bactériologique par écouvillonnage parfaitement réalisé après nettoyage et débridement de la plaie car la plaie de M. D. présente un érythème péri-ulcéreux s’étendant à plus de 2 cm des bords de la plaie, signe d’une infection ;

- des radiographies du pied à la recherche de signes d’infection osseuse (ostéite) ;

- une IRM pour préciser la présence et la localisation des infections profondes des tissus mous ;

- un écho-doppler artériel des membres inférieurs avec mesure de la TcPO2 pour déterminer l’oxygénation vasculaire périphérique ;

3. ÉVALUATION DES RISQUES ÉVOLUTIFS

Il s’agit de :

- risque de complications infectieuses liées à la plaie : choc septique, gangrène gazeuse, mauvaise évolution de la plaie justifiant une amputation d’orteil ;

- risque cardiovasculaire chez un homme de 62 ans avec diabète ancien mal équilibré, une HTA, un tabagisme ancien et une dyslipidémie : infarctus du myocarde, ischémie aiguë de membre, AVC ;

- risques de complications micro-angiopathiques à cause du diabète non équilibré : rétinopathie et/ou maculopathie diabétique, néphropathie diabétique ;

- risque majeur de récidive de plaie du pied ;

- risque de complication métabolique aiguë en lien avec le diabète ancien non équilibré (acidocétose diabétique, coma hyperosmolaire…).

4. PRISE EN CHARGE

La situation de M. D. justifie une hospitalisation en milieu spécialisé avec :

- mise en décharge immédiate de la plaie ;

- antibiothérapie probabiliste justifiée par la présence de signes locaux d’infection. Débuté après la réalisation des prélèvements bactériologiques, le traitement est secondairement adapté aux résultats de l’antibiogramme ;

- vaccination antitétanique car M. D. n’est pas à jour ;

- anticoagulation préventive par héparine de bas poids moléculaire ;

- traitement antalgique efficace ;

- pansement refait tous les jours tant que signe d’infection puis un jour sur deux, et adapté au stade de cicatrisation et à l’évolution de la plaie ;

- surveillance clinique (température, réfection quotidienne du pansement, glycémies capillaires six fois par jour, évaluation de la douleur) ;

- surveillance biologique (CRP, numération plaquettaire).

ÉTUDIANTS EN IFSI

Des UE en lien avec le dossier

Références d’unités d’enseignement et extraits :

→ UE 1.2.S 2 : « Santé publique et économie de la santé » : filières de soins (accès, proximité, suivi, prévention) (compétence 5) ;

→ UE 2.3.S 2 : « Santé, maladie, handicap, accidents de la vie » : notions de maladie chronique et ses spécificités (compétence 1) ;

→ UE 2.4.S 1 : « Processus traumatiques » : notion de processus physiopathologique, de processus traumatique physique, notamment amputation de membres (compétence 4) ;

→ UE 4.4.S 2 : « Thérapeutiques et contribution au diagnostic médical » : intégrer les règles de surveillance et de suivi des activités thérapeutiques et diagnostiques (compétence 4) ;

→ UE 4.6.S 3 : « Soins éducatifs et préventifs » : soins infirmiers de prévention, d’éducation, d’aide, dans les dimensions individuelle et collective (compétence 5) ;

→ UE 5.1.S 1 : « Accompagnement de la personne dans la réalisation de ses soins quotidiens » (compétence 3).