Pour les personnes diabétiques, la plaie du pied sont souvent un tournant dans la maladie, jusqu’alors « invisible ». Elle est une complication grave qui peut amener à une amputation plus ou moins étendue du membre inférieur et engager le pronostic vital.
L’expression « pied diabétique » désigne toute infection, ulcération ou destruction des tissus profonds du pied, survenant chez un sujet diabétique, en lien avec une neuropathie et/ou une artériopathie oblitérante des membres inférieurs. Les plaies du pied diabétique peuvent toucher l’ensemble du pied mais près de la moitié concernent la face plantaire, y compris les orteils.
La pathologie « pied diabétique », dominée par l’apparition d’une ulcération et un risque important d’amputation, « concerne de la même manière les diabètes de type 1 et de type 2. Le dénominateur commun, ce sont les complications de la maladie, la neuropathie, l’artérite des membres inférieurs et les déformations du pied », rappelle le Dr Georges Ha Van, spécialiste en médecine physique et de réadaptation dans l’unité de podologie du service de diabétologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.
Aujourd’hui, grâce à une meilleure prise en charge, « les personnes diabétiques vivent de plus en plus longtemps, explique le Pr Ariane Sultan, membre de l’équipe nutrition diabète du CHU Lapeyronie de Montpellier (34). De fait, elles développent plus de complications liées à la longue évolution du diabète, dont celle du pied diabétique. Il y a ainsi de plus en plus de plaies du pied chez les personnes diabétiques en France. Elles sont à l’origine d’environ 60 % des hospitalisations en urgence dans les services de diabétologie. En parallèle, le risque d’amputation a diminué de 30 à 40 % ces dernières années grâce à l’amélioration de la prise en charge de ces plaies, notamment par les équipes pluridisciplinaires mises en place dans les centres spécialisés. »
Les plaies du pied chez un patient diabétique ne sont pas dues au diabète lui-même mais à une association de facteurs mécaniques externes sur un terrain associant une perte de sensibilité protectrice cutanée et, de plus en plus souvent, une insuffisance de la perfusion cutanée. Le traumatisme externe est souvent en lien avec les chaussures. Ces facteurs mécaniques sont, en théorie, le plus souvent évitables par des mesures de prévention bien observées (lire p. 42).
Trois mécanismes sont associés à des degrés divers à la survenue de plaies du pied diabétique à risque : la neuropathie, l’artériopathie et l’infection. Sachant que(1) :
- une neuropathie est retrouvée dans au moins 60 % des plaies du pied diabétique ;
- en l’absence de neuropathie, une artérite est observée dans 15 % des cas ;
- une artérite est associée à une neuropathie dans 25 % des cas (plaies neuro-ischémiques).
La neuropathie diabétique, définie comme la présence de signes d’une dysfonction des nerfs périphériques chez une personne diabétique, peut associer trois types d’atteinte : sensitive, motrice et végétative (voir photo n° 1).
→ L’atteinte sensitive, la plus fréquente, se traduit par une diminution de la sensibilité à la douleur, à la température et à la vibration. Insensibilité et perte des sensations de défense exposent aux plaies cutanées car les hyper appuis ou les blessures passent inaperçus. Cette atteinte est fondamentale dans la problématique du pied diabétique. « La neuropathie est le critère majeur du pied diabétique, qui devrait s’appeler “pied neuropathique”. Le pied ne devient “diabétique” qu’avec la neuropathie et la perte de sensibilité à l’origine des complications des plaies qui ne sont pas prises en charge à temps », estime le Dr Ha Van.
→ L’atteinte motrice : le déficit moteur est responsable d’une amyotrophie distale touchant la musculature intrinsèque du pied. Il s’ensuit un déséquilibre entre muscles fléchisseurs et extenseurs, responsable à la longue de déformations sous forme d’orteils en “griffe” ou en “marteau”, de proéminence des têtes métatarsiennes, de pied hyper-creux, voire d’un effondrement du médio-pied. Ces déformations créent des zones sur lesquelles peuvent survenir les ulcérations : en regard de la tête des métatarsiens, sur la face dorsale des articulations inter-phalangiennes ou au niveau de la pulpe des orteils.
→ L’atteinte neurovégétative est responsable :
- d’anomalies de la sudation entraînant une sécheresse cutanée locale fragilisant le pied par l’apparition de crevasses ou de fissurations ;
- d’une altération de la régulation de la microvascularisation qui favorise œdèmes et troubles vasomoteurs avec une chaleur locale parfois augmentée, des pouls « bondissants » et la turgescence des veines du dos du pied ;
- de calcifications de la média des artères (médiacalcose) générant une rigidité artérielle gênant l’exploration et les gestes de revascularisation.
En fragilisant la peau, l’atteinte végétative facilite la survenue des ulcérations.
→ Évaluation : la neuropathie diabétique peut être détectée en utilisant le test simple et fiable au monofilament de 10 g, le diapason (128 Hz) et/ou une mèche de coton(2).
• Test au monofilament de 10 g : le monofilament de nylon 5,07 de Semmes-Weinstein est calibré pour exercer une pression de 10 g lorsqu’il est appliqué perpendiculairement à la surface de la peau, avec suffisamment de force pour le courber. Le monofilament est d’abord appliqué sur les mains, le coude ou le front du patient pour qu’il connaisse la sensation qu’il va devoir repérer. Le patient est invité à fermer les yeux pour ne pas voir le filament qui est appliqué sur trois sites plantaires pour chaque pied : la pulpe distale du gros orteil, en regard de la tête du premier et du cinquième métatarsien. Deux applications sont faites sur chaque site et une “factice” (où le filament n’est pas appliqué). Résultats :
- au moins deux réponses justes sur trois pour chaque site : la sensibilité cutanée dite de protection est conservée ;
- au moins deux réponses fausses sur trois à un seul site : le pied est alors considéré à risque.
Une artériopathie des membres inférieurs est plus fréquente et de localisation plus diffuse et plus distale chez les personnes diabétiques que chez les non-diabétiques. Souvent indolore et sans claudication intermittente du fait de la perte de sensibilité due à une neuropathie, elle peut ne se révéler qu’à l’occasion d’une ulcération.
Au niveau des artères des jambes, la macro-angiopathie diabétique, définie comme une atteinte de l’intima des artères de gros et moyens calibres, entraîne un risque d’artérite des membres inférieurs.
→ Deux grands types de lésions sont observés :
- l’athérosclérose : le dépôt de plaque d’athérome à l’intérieur des vaisseaux entraîne un rétrécissement des artères ;
- la médiacalcose : calcification de la média des artères de moyen et petit calibres (zone centrale de la paroi des artères).
Une artériopathie conduit à un état d’ischémie chronique responsable d’une mauvaise trophicité des tissus (nutrition et développement tissulaire), d’une sensibilité accrue aux traumatismes et d’une diminution du potentiel de cicatrisation.
→ Diagnostic de l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) :
• Mesure de l’index de pression systolique (IPS) : c’est le rapport de la pression systolique mesurée à la cheville sur la pression systolique de bras. Interprétation :
- I0,90 < IPS < 1,30 : normal
- IPS < 0,80 : AOMI
- IPS > 1,30 : ininterprétable.
La fiabilité de l’IPS est limitée chez le patient diabétique en raison de la présence fréquente de médiacalcose, calcification d’une partie des artères qui entraine une rigidité artérielle excessive et rend l’IPS ininterprétable.
• Écho-doppler des membres inférieurs : il permet un bilan morphologique et hémodynamique complet pour le dépistage et le suivi de l’AOMI ou de la revascularisation.
• Mesure de la pression transcutanée en oxygène (TcPO2) : c’est plutôt un élément pronostic de cicatrisation. Une valeur inférieure à 30 mmHg (seuil de l’ischémie critique) évoque un mauvais pronostic de guérison en l’absence d’une revascularisation(3).
• Artériographie : indispensable avant toute revascularisation, elle permet un diagnostic lésionnel précis.
L’infection d’une plaie est plus fréquente chez le diabétique en raison du déficit des défenses cellulaires et des nombreuses anomalies des polynucléaires aggravées par l’hyperglycémie. L’infection n’est pas en elle-même une cause d’ulcération mais elle peut en compliquer l’évolution et aggraver le pronostic quand elle se propage en profondeur aux structures sous-cutanées, muscles, tendons, articulations et os. Les symptômes généraux comme une fièvre, des frissons, une hyperleucocytose importante ou des troubles métaboliques majeurs sont rares mais leur présence reflète une infection plus sévère associée à un risque pour le membre, voire pour la vie du patient(2). L’infection fait la gravité de la plaie du pied.
Les ulcères neuropathiques sont beaucoup plus fréquents que les plaies purement ischémiques, mais la majorité des plaies du pied diabétique associent neuropathie diabétique et artériopathie périphérique et sont dites neuro-ischémiques.
Le « pied neuropathique » est chaud, sec, décharné, les veines du dessus sont turgescentes, associées à un pouls qui donne l’impression de rebondir (pouls “bondissant”). Le pied est souvent très creux avec une hyperkératose en regard de la tête des métatarsiens. La sensibilité est nettement diminuée voire abolie et les réflexes achilléens sont souvent absents (lors de la percussion du tendon d’Achille).
→ Le mal perforant plantaire : (photo 2) il a un aspect dit à “l’emporte-pièce” et se présente comme un petit cratère avec des bords abrupts émergeant au centre d’une zone d’hyperkératose. La plaie est non douloureuse, atone, grisâtre, sans dépôt fibrineux ni nécrose. Elle survient le plus souvent au niveau de l’avant-pied, sous les têtes des métatarsiens, mais aussi au niveau de toute autre zone d’appui ou de cisaillement. Cette ulcération a une évolution chronique et favorise l’apparition d’une infection d’autant plus grave que la plaie atteint les parties molles et les structures osseuses sous-jacentes.
Le mal perforant plantaire a pour origine des zones d’hyperpression localisée et de cisaillement. Un durillon se forme mais la marche n’est pas interrompue par la douleur à cause de la perte de sensibilité. La peau s’épaissit et la vésicule inflammatoire qui se forme sous cette hyperkératose s’agrandit avec la persistance de l’hyperpression, dissèque le tissu environnant et finit par s’ouvrir à l’extérieur.
→ Le pied de Charcot : (photo 3) l’ostéo-arthropathie nerveuse, ou pied de Charcot, n’est pas consécutive à un traumatisme externe. À la phase aiguë, un traumatisme minime type entorse est souvent décrit. Cette complication grave de la neuropathie diabétique aboutit à des déformations importantes et à une instabilité ostéo-articulaire, et peut conduire à une amputation. L’atteinte osseuse est relativement indolore et souvent unilatérale, et peut concerner un ou plusieurs os du pied. L’ostéo-arthropathie nerveuse évolue en deux phases :
• une phase aiguë : œdème intra-osseux et fissurations osseuses se transforment souvent par absence de mise en décharge en urgence en lyse osseuse et articulaire, fractures spontanées et sub-luxations, associées à des signes d’inflammation locale et un œdème souvent volumineux et chaud. À cette phase, le pied de Charcot ressemble à une algodystrophie, une fracture, une entorse, une crise de goutte ou une phlébite.
• une phase chronique suit, caractérisée, après deux à six mois d’évolution, par une reconstruction osseuse qui pérennise les déformations importantes du pied, rendant le chaussage difficile et favorisant la survenue d’ulcérations. Par exemple, la convexité de l’arche plantaire du pied en “tampon buvard” favorise les ulcérations sur la face plantaire du médio-pied, région qui n’est normalement pas en contact avec le sol lors de la marche.
Le pied ischémique est froid, dépilé, cyanotique. Une érythrose de déclivité ou “signe de la chaussette”, caractérisée par une peau rouge au niveau de la cheville et du pied jusqu’au milieu du mollet, est observée en cas d’AOMI lorsque le malade laisse pendre la jambe atteinte. Les pouls sont amortis, voire absents, et il n’y a pas d’hyperkératose.
→ Les ulcères ischémiques : (photo 4)
• Les ulcères ischémiques sont caractérisés par une plaie infectée qui, associée à l’ischémie, aboutit à une gangrène sèche et limitée ou à une gangrène humide avec extension vers les tissus profonds. La plaie ischémique peut être très douloureuse sauf si une neuropathie concomitante diminue la sensibilité. La zone de nécrose est entourée d’un halo érythémateux inflammatoire. Elle survient le plus souvent sur les faces dorsales ou latérales du pied ou des orteils.
• Ces ulcères ont une origine essentiellement mécanique même après un traumatisme minime, par exemple à cause d’un ongle incarné non soigné ou de soins des pieds traumatisants. Ils résultent le plus souvent d’un frottement excessif entre le pied et la chaussure, ce qui explique leur localisation fréquente sur les bords du pied ou sur la face dorsale des orteils. Le talon peut aussi être touché en cas d’alitement prolongé et d’hyperpression localisée sur un terrain d’insuffisance circulatoire. Ces ulcères passent souvent inaperçus à cause de la perte de sensibilité due à la neuropathie associée.
→ La nécrose ischémique distale (photo 5) avec gangrène parcellaire (mortification des tissus, nécrose), porte généralement sur un ou plusieurs orteils. Souvent de survenue brutale après un traumatisme, elle débute par une zone violacée qui évolue vers un noircissement de l’orteil.
• En l’absence de surinfection ou à la suite de son traitement, la gangrène est sèche et l’atteinte reste limitée. La partie nécrosée se dessèche et tombe spontanément, on parle d’auto-amputation par momification.
• En cas de surinfection, la gangrène est humide et la zone de nécrose est entourée d’un halo inflammatoire voire purulent. Dans ce cas, la nécrose peut s’étendre et nécessiter une amputation chirurgicale.
D’où l’importance dans la prise en charge (lire p. 42) des mesures de prévention
1- « Comment prévenir les réhospitalisations d’un patient diabétique avec plaie du pied ? », HAS, novembre 2014.
2- « Consensus international et des recommandations sur le pied diabétique », International Working Group on the Diabetic Foot (IWGDF), mai 2011.
3- « Importance de la décharge dans le traitement des lésions du pied diabétique », Revue médicale suisse, juin 2011.
→ Les hospitalisations pour plaies du pied diabétique concernaient en 2013 :
- 668 personnes sur 100 000, avec un âge moyen de 71,5 ans ;
- 1 621 personnes âgées de 90 ans et plus sur 100 000 ;
- 2,6 fois plus d’hommes que de femmes à tous les âges ;
- 1,4 fois plus les personnes de moins de 60 ans bénéficiant de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C).
Remarque : 30 % des personnes porteuses d’une plaie étaient ré-hospitalisées dans l’année.
→ Les hospitalisations pour amputation d’un membre inférieur concernaient en 2013 :
- 252 personnes sur 100 000 (âge moyen de 71 ans) ;
- 428 personnes âgées de 90 ans et plus sur 100 000 ;
- 2,6 fois plus d’hommes que de femmes à tous les âges ;
- 1,5 fois plus les personnes de moins de 60 ans bénéficiant de la CMU-C.
Remarque : 20 % des personnes amputées étaient ré-amputées au moins une fois dans l’année.
→ En 2010, le suivi à 4 ans des personnes hospitalisées pour une plaie du pied montrait que :
- 53 % étaient ré-hospitalisées au moins une fois pour cette plaie ;
- 30 % étaient été hospitalisées pour au moins une amputation d’un membre inférieur ;
- 37% étaient décédées.
Source : « Les hospitalisations pour complications podologiques chez les personnes diabétiques traitées pharmacologiquement en France en 2013 », BEH, 07/2015.