L'infirmière Magazine n° 401 du 01/02/2019

 

INFIRMIÈRES ASALÉE

CARRIÈRE

PARCOURS

CAROLINE COQ-CHODORGE  

Asalée (pour Action de santé libérale en équipe) attire de plus en plus de candidates. Un dispositif dans l’air du temps, qui place le patient au cœur du soin pour qu’il développe ses compétences.

Je suis la première infirmière Asalée, raconte Claudie Goubeau. Je me suis installée il y a quatorze ans dans un cabinet médical des Deux-Sèvres. Nous sommes aujourd’hui plus de 500. Cela me fait quelque chose quand on se retrouve en séminaire, chaque année à Paris. Bien sûr, on a un peu perdu notre esprit de famille, mais c’est une grande satisfaction. » En 2004, cette infirmière a simplement répondu à une annonce de l’ANPE : l’Union régionale des médecins libéraux (URML) de Poitou-Charentes souhaitait embaucher une IDE pour travailler dans un cabinet de médecins généralistes. Cabinet dans lequel exerçait Jean Gautier, actuel président de l’association Asalée, à l’origine de l’initiative. « Nous pensions qu’une infirmière installée dans le cabinet du médecin pouvait offrir une offre de soins nouvelle », se souvient-il.

À l’époque, on ne parlait pas encore d’éducation thérapeutique (ETP) mais l’idée, novatrice, était dans tous les esprits : offrir du temps au patient pour l’aider à gagner en autonomie. Ce n’est pas un hasard si Asalée est née et s’est majoritairement développée en zone rurale ou périurbaine : l’initiative entendait aussi répondre à la dégradation des conditions de travail des médecins, devant la complexité croissante des situations, en particulier les patients chroniques, et dans un contexte démographique tendu.

DU TEMPS POUR LES PATIENTS

« Nous étions trois infirmières Asalée au départ, nous avons commencé par travailler avec des patients diabétiques, raconte Claudie Goubeau. Nous discutions de leur prise des traitements, de leur contrôle glycémique, de leur mode de vie, en prenant le temps de les écouter. Faire prendre conscience au patient qu’il est un acteur de sa santé est un travail de longue haleine. » L’initiative, financée par l’URML, était éphémère. « Mais nous nous sommes vite rendu compte que nous étions utiles aux patients, et ils nous l’ont dit. Nous n’avons pas voulu laisser mourir ce si beau projet. Alors, avec les médecins, nous sommes partis à la “chasse aux subventions”. Certains mois, nous n’étions même pas sûres d’être payées », se souvient l’infirmière pionnière. Mais Asalée était dans l’air du temps : l’expérimentation a rejoint le mouvement des maisons de santé pluridisciplinaires et a obtenu de faire partie de l’Expérimentation des nouveaux modes de rémunération (ENMR). En 2015, Asalée a été institutionnalisée, abondée par un collège de financeurs, qui réunit le ministère de la Santé et les caisses d’assurance maladie, pour un coût annuel d’une « vingtaine de millions d’euros », selon Jean Gauthier.

Entrée dans le langage courant du secteur de la santé, Asalée est officiellement un « protocole de coopération qui permet des délégations d’actes ou d’activités des médecins généralistes vers des infirmières de santé publique, en charge de l’ETP ». Mais les infirmières Asalée décrivent bien plus joliment leur métier. « Avec Asalée, j’ai retrouvé du temps pour les patients, j’ai gagné en autonomie, j’ai enrichi mes connaissances », rapporte Anne Duez, qui exerce dans les Vosges. « Le patient est au cœur de mes préoccupations. Je l’accompagne pour qu’il puisse développer ses compétences », ajoute Christelle Fourneau, qui exerce dans la Vienne. « On travaille pour les patients, on les maintient à domicile, on évite des hospitalisations, on diminue les traitements, les complications. C’est ma plus belle expérience d’infirmière », s’émeut Claudie Goubeau.

DE PLUS EN PLUS DE CANDIDATES

Coopération pluriprofessionnelle, délégation de tâches, prise en charge des malades chroniques, pratiques avancées… Asalée coche toutes les cases de l’innovation en soins primaires. Aux résultats médiocres des expérimentations développées par l’administration - protocoles de coopération, parcours de santé des aînés Paerpa(1)… - Asalée oppose une réussite insolente. Il y a aujourd’hui 750 IDE Asalée, pour 367 postes en équivalent temps plein, car les infirmières sont souvent à temps partiel sur cette mission. Elles exercent auprès de deux millions de patients, dans toute la France, en particulier en Nouvelle-Aquitaine, la région d’origine de l’expérimentation, et en Auvergne-Rhône-Alpes. A contrario, en Bretagne, en Normandie et dans l’Est, « la contagion virale ne fait que commencer », plaisante Jean Gautier. « Le nombre de candidatures d’IDE est exponentiel, confirme Christelle Fourneau. On a pu embaucher 100 équivalents temps plein en 2018. Si on avait eu le budget pour en embaucher 200, on l’aurait fait. » En 2019, Jean Gautier espère 100 nouvelles créations de poste. « Notre nouvelle convention pour les trois prochaines années est en cours de négociation. »

AU-DELÀ DES QUATRE PROTOCOLES

Une IDE Asalée à temps plein travaille en moyenne avec cinq médecins, qui lui orientent les patients éligibles aux quatre protocoles de soins autorisés par la Haute Autorité de santé (HAS), ou aux protocoles développés en interne (voir encadré p. 58). En réalité, chacune développe une pratique originale, selon sa sensibilité, sa patientèle, les médecins avec lesquels elle collabore, ou le territoire dans lequel elle travaille. Dans le quartier parisien de la Goutte-d’Or, Danielle Sené a développé une pratique innovante, avec de nombreux ateliers, pour ses patients diabétiques issus de l’immigration (lire p. 59). À Épinal, au cœur des Vosges, Anne Duez enseigne l’auto-mesure de l’hypertension artérielle : « En cabinet, les mesures de la tension sont souvent surestimées. En deux séances de deux heures, nous formons les patients à prendre leur tension régulièrement. Sur cette base plus fiable, le médecin peut réajuster les traitements, parfois les supprimer. Nous leur expliquons leur traitement et les sensibilisons aux bienfaits de l’activité physique. » Comme de nombreuses IDE Asalée, Anne Duez a organisé une « activité marche de deux heures une fois par semaine, à laquelle participent une vingtaine de personnes ». Elle raconte l’histoire d’une patiente diabétique qui ne se soignait plus, pour qui la marche a été un déclic. « Elle prenait sa voiture pour acheter son pain à cinquante mètres, car elle avait honte de son corps. Elle marche désormais trois fois par semaine. Elle a perdu 20 kg, n’a plus besoin de ses traitements. Elle a retrouvé son sourire, sa joie de vivre. » En Charente, dans la périphérie d’Angoulême, Pauline Merzeau fait passer des tests de mémoire aux patients orientés par les médecins. « On part d’une plainte exprimée par le patient, sa famille ou ses proches, et on l’explore. On commence par étudier le mode de vie. Comment vit le patient à son domicile ? Est-ce que son frigo est plein ? Y a-t-il des risques de chute ? Puis on le soumet au test MMS [pour mini-mental state] qui peut rassurer le patient ou confirmer des troubles de la mémoire. S’ils sont confirmés, nous avons la chance d’avoir au sein de la maison de santé une orthophoniste formée aux tests de neuropsychologie. Cela permet de gagner du temps : à partir de ces examens, le neurologue peut poser un diagnostic. »

Dans la Vienne, au sein d’une maison de santé, Christelle Fourneau a développé une expertise sur le sevrage du tabac. « Les médecins nous orientent des patients plus ou moins avancés dans leur réflexion. On utilise l’entretien motivationnel pour identifier ce niveau de réflexion. On essaie de faire réfléchir le patient, pour l’amener au stade d’après. Il ne faut pas aller trop vite, ne pas mettre de pression, sinon on crée des résistances. On est dans l’accompagnement, l’écoute, surtout pas dans le jugement ou la position paternaliste. On essaie de cerner les peurs : la rechute, la prise de poids. On s’appuie sur les ressources des patients, ses expériences positives, ses capacités. L’accompagnement est long, mais cela marche. »

LE PARI DE L’INTELLIGENCE COLLECTIVE

De nouveaux protocoles de soins sont en réflexion au sein d’Asalée, par exemple sur les troubles du sommeil ou la télésurveillance. Le travail de réflexion mené est interne. Car Asalée se définit comme une organisation holacratique : l’organisation interne vise à promouvoir l’intelligence collective. À partir des besoins exprimés par les patients, et validés par les IDE et médecins, le contenu des prises en charge est développé par des équipes qui comprennent trois ingénieurs salariés par Asalée, lesquels mettent au point les outils techniques, en particulier les systèmes d’information.

L’« empouvoirement » du patient - de l’anglais empowerment - irrigue la démarche d’Asalée. « Nous sommes le révélateur de ce que la personne sait faire, explique Christelle Fourneau. Dans notre tête, on a souvent les solutions pour nos patients. Mais c’est à la personne de les trouver. Croire que chaque patient peut trouver ses solutions est au cœur de la philosophie du soin infirmier. Ce qui est formidable avec Asalée, c’est que nous avons le temps de laisser le patient cheminer lui-même. Nous retrouvons la philosophie du soin infirmier. »

LES QUALITÉS POUR ÊTRE RECRUTÉES

C’est à partir de cette philosophie du soin qu’est recrutée une infirmière Asalée. Le seul prérequis est d’avoir trois ans d’ancienneté. En Lorraine, Anne Duez est chargée du recrutement. Elle en détaille les premières étapes : « La candidature peut répondre à une annonce ou être spontanée. Les échanges commencent par mails, suivis par un entretien téléphonique. La candidate est invitée à participer à une journée de découverte dans le cabinet d’une infirmière Asalée expérimentée. La candidate me fait un rapport, ainsi que l’IDE Asalée. Une infirmière très qualifiée peut ne pas être retenue, par exemple si elle ne montre pas de préoccupation pour le patient. De même, être titulaire d’un DU d’ETP est un plus, mais n’est pas suffisant. Il faut une qualité d’écoute, comprendre que le patient est au centre, être capable d’assister aux consultations discrètement, poser ensuite des questions pertinentes. Certaines infirmières imaginent que l’entretien est une formalité, qu’elles seront automatiquement retenues. Ce n’est pas le cas », prévient-elle. L’IDE retenue doit ensuite trouver un cabinet médical où exercer, et cette étape est parfois la plus difficile. D’une part, il peut y avoir des problèmes de locaux. « Le cabinet médical doit pouvoir offrir un bureau à l’IDE pour ses consultations, ce n’est pas toujours possible », explique Jean Gautier. D’autre part, il y a des réticences chez un certain nombre de médecins. « Les médecins doivent être d’accord pour partager leur patientèle, leurs logiciels et leurs dossiers sur les patients. Ils doivent aussi consacrer du temps à l’infirmière, d’une manière formelle ou informelle, pour échanger sur les patients. Ce n’est pas toujours facile pour des professionnels habitués à travailler seuls. C’est souvent plus simple dans les maisons et réseaux de santé ou les cabinets de groupe », explique Pauline Merzeau.

UN EXERCICE PLEINEMENT INFIRMIER

Au sein d’Asalée, la formation est continue. Dès le recrutement, les infirmières suivent neuf jours de formation avant d’exercer. Ce sont d’abord trois jours sur les protocoles de soins, les systèmes d’information propres à Asalée, la gestion administrative. Puis six jours dédiés à l’ETP. Enfin, la nouvelle IDE Asalée passe trois jours dans le cabinet d’une infirmière expérimentée, sur le modèle du compagnonnage. Les échanges entre IDE sont en réalité constants, en particulier à travers les groupes d’analyse de pratique, organisés toutes les six semaines dans chaque secteur, par téléphone ou physiquement. Enfin, deux jours de formation se tiennent, au niveau national, chaque année.

Les infirmières sont majoritairement des salariées de l’association Asalée. Leur salaire est fixé selon la convention collective des cabinets médicaux. Il évolue selon une grille, qui comprend des échelons et des primes d’ancienneté. Il est très semblable à celui des IDE hospitalières. « Mais on ne travaille pas le week-end et les jours fériés. Nous sommes libres de prendre nos vacances quand nous le voulons », précise Christelle Fourneau. Elles bénéficient aussi d’une mutuelle d’entreprise. Les infirmières peuvent également être impliquées dans le fonctionnement - organisation et animation des formations, recrutement, compagnonnage - et reçoivent pour cela les primes. Quelques infirmières, minoritaires, ont choisi d’être libérales, et reçoivent une prestation à l’heure par l’association Asalée.

En avril 2018, l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) a publié une étude(2) sur Asalée, qualifiée d’« espace de transformation des pratiques en soins primaires ». Les chercheurs ont également recueilli le vécu des médecins. Très peu y ont gagné du temps pour prendre en charge de nouveaux patients. En réalité, les infirmières Asalée viennent « compléter leur pratique médicale individuelle dans les dimensions éducatives et d’accompagnement qu’elles assuraient peu jusque-là ». Elles tracent la voie d’une nouvelle forme d’exercice, pleinement dans le rôle infirmier.

1- Personnes âgées en risque de perte d’autonomie.

2- Cécile Fournier (Irdes), Isabelle Bourgeois (Icone Médiation santé, Irdes), Michel Naiditch (Irdes), « Action de santé libérale en équipe (Asalée) : un espace de transformation des pratiques en soins primaires », avril 2018.

ASALÉE ET IPA

Vers la recherche en soins infirmiers

Les premières IPA(1) françaises ont débuté leur formation cette année. Parmi elles, il y a onze IDE Asalée. Quatre feront même partie de la première promotion diplômée en 2019 puisque, déjà titulaires de master en sciences infirmières, elles ont directement rejoint le master 2. C’est le cas de Christelle Fourneau. « C’est une reconnaissance officielle de notre autonomie de pratique, se félicite-t-elle. On attend une reconnaissance salariale, sûrement en juin. » Parmi les nouvelles compétences de l’IPA, Christelle Fourneau est plus intéressée par le volet recherche. « Dans Asalée, nous sommes déjà dans la démarche intellectuelle de nous appuyer sur les articles scientifiques dans notre pratique. Mais nous voulons aller plus loin, en conduisant nos propres recherches pour valoriser notre travail. Aujourd’hui, les chercheurs viennent nous voir pour collecter nos données, pas pour collaborer avec nous. Nous devons gagner en crédibilité, développer nos propres protocoles de recherche à partir de nos données. Nous avons répondu à un appel à projet de recherche sur le sevrage du tabac. Nous n’avons pas été retenues, mais c’est un premier pas. C’est la seule manière pour nous de devenir enfin crédibles. Mais pour l’instant, il n’existe pas de doctorat en sciences infirmières, donc pas de reconnaissance et pas de salaire… »

1- Infirmières de pratique avancée.

HAS

Les quatre protocoles de soins

Les infirmières Asalée réalisent des consultations d’ETP dans le cadre de quatre protocoles de soins, validés par la Haute Autorité de santé, qui leur ouvre aussi la possibilité de pratiquer des actes dérogatoires.

→ Le suivi des patients diabétiques de type 2. Les IDE prescrivent des examens : hémoglobine glyquée, micro-albuminurie, des dosages HDL cholestérol, créatininémie, fonds d’œil, ECG et examens du pied.

→ Le suivi cardiovasculaire. Elles prescrivent et réalisent des biologies.

→ Le sevrage tabagique, le suivi et l’identification du risque BPCO. Elles prescrivent et réalisent des spirométries.

→ Le repérage des troubles cognitifs. Elles réalisent des tests mémoire et du repérage à domicile.

→ Il existe aussi des protocoles de soins internes à Asalée, qui ne nécessitent pas d’acte dérogatoires : prise en charge de l’obésité infantile, des troubles du sommeil, télésurveillance des patients à domicile.