L'infirmière Magazine n° 401 du 01/02/2019

 

DOSSIER

SOINS EN PSYCHIATRIE

Gaz Meopa, comptines et hypnose…Avec de l’imagination, le pôle Cristales de l’hôpital psychiatrique de Ville-Évrard (93) assure un accès aux soins aux personnes handicapées.

Ici, nous avons un luxe, celui d’avoir le temps. Nous accueillons tout type de personnes handicapées, des enfants de 2 ans aux personnes âgées chroniques. Beaucoup ont des troubles du comportement. Si on s’y prend comme à l’hôpital général, en deux minutes, cela ne marche pas. » Séverine Tourteau et Delphine Dubreuil sont deux infirmières chevronnées. Elles ont rejoint il y a quelques mois le pôle Cristales de l’établissement public de santé mentale de Ville-Évrard, dédié aux soins somatiques, à la prévention et à l’éducation à la santé, et ouvert à toute personne souffrant d’un handicap, psychique, physique, intellectuel…

Ville-Évrard est le plus grand hôpital psychiatrique de France : ses secteurs couvrent les deux tiers de la Seine-Saint-Denis, il accueille 30 000 patients par an. « En psychiatrie, on est confronté aux difficultés d’accès aux soins de nos patients dès qu’ils sortent de l’hôpital. Trouver un dentiste, un médecin traitant, faire une simple prise de sang, tout paraît impossible », explique Séverine Tourteau. « Ces freins tiennent au patient lui-même, précise la chef de pôle et médecin somaticiennne Wanda Yekhlef. Il peut être dans le déni de ses problèmes de santé, ou dans l’incompréhension. Il est souvent vulnérable socialement. Il souffre aussi des organisations humaines : comment trouver un médecin traitant, être à l’heure au rendez-vous, trouver la patience d’attendre ? » Les malades psychiques, en situation de handicap, ont pourtant cruellement besoin de la médecine somatique : ils déclarent plus tôt des cancers. En raison de leur mode de vie sédentaire, de leur hygiène de vie et des effets secondaires des neuroleptiques, ils présentent plus souvent un « syndrome métabolique », qui les expose à l’obésité, au diabète ou à l’hypertension.

En 2009, Ville-Évrard a donc ouvert le pôle Cristales, et en avril dernier, ce dernier s’est étoffé d’une consultation spécialisée, ouverte à toute personne handicapée. « Eux aussi acceptent difficilement les soins, l’attente, et n’expriment pas toujours bien la douleur. L’abord est le même », explique la cadre supérieure de pôle, Valérie Watremez. La demande est bien là : la consultation handicap a contractualisé avec 51 établissements du département et accueilli 850 patients depuis l’ouverture.

« Expertes en comptines »

Toutes ces personnes handicapées sont prises en charge sur un même lieu, clair, bien agencé, décoré avec soin. Une vaste zone d’accueil ouvre sur le poste infirmier, le cabinet dentaire, la salle de pédicure, les salles de consultation de gynécologie, d’ophtalmologie, d’endocrinologie, d’addictologie, etc. Au niveau du matériel, seul dénote le large et confortable fauteuil gynécologique, qui monte, descend et s’incline, ainsi que les bonbonnes de gaz analgésique Meopa.

La prise en charge passe par une évaluation clinique qui prend du temps. « Il faut cerner la douleur chez ces patients qui, parfois, ne communiquent pas ou sont dyscommunicants. Nous utilisons des pictogrammes, nous travaillons avec des fiches de liaison, où les professionnels qui prennent en charge ces patients décrivent les changements de comportement intervenus », explique Valérie Watremez. Une apathie, ou au contraire une agitation ou une violence inhabituelles, peuvent s’expliquer par une carie, une otite, une plaie au pied.

Pour détendre les patients les plus anxieux, le service peut avoir recours à une pratique innovante et adaptée de l’hypnose, développée par Wanda Yekhlef. Séverine Tourteau s’y forme : « C’est plutôt de l’hypnose conversationnelle. On cherche à introduire de la détente avec le ton de notre voix. On évoque des moments agréables avec le patient, on utilise de la musique, des images. » La créativité du service est sans limites. Les deux IDE racontent cette patiente, intolérante à tout, sauf au massage de pieds, que la pédicure est parvenue à détendre suffisamment pour qu’elle accepte le gaz analgésique Meopa, puis les soins. Elles sont devenues « expertes en comptines ». Elles ont chanté Michaël Jackson, la pédicure coupant des ongles au claquement des mains. Tout tourne autour du patient, même elles : le matin même, elles ont fait une prise de sang à une jeune femme autiste sur le fauteuil du dentiste, pendant qu’elle était occupée à regarder son dessin animé préféré, masque Meopa goût fraise sur le nez.