L'infirmière Magazine n° 401 du 01/02/2019

 

VIOLENCES SEXUELLES

ACTUALITÉS

COLLOQUES

CAROLINE COQ-CHODORGE  

L’association Stop aux violences sexuelles a tenu ses assises, où ont été évoqués les liens entre les pathologies et un vécu traumatique. Et la nécessité, pour les soignants, de se former.

Quand la victime se tait, le corps parle. La violence sexuelle engendre d’authentiques maladies. » C’est l’un des messages de l’association Stop aux violences sexuelles (SVS), qui a tenu ses 6es assises internationales les 7 et 8 janvier 2019, à Paris. Fondée par trois médecins en 2013, SVS milite notamment pour « le développement de parcours de soins adaptés pour les victimes, comme pour les auteurs », explique sa présidente, Violaine Guérin, endocrinologue et gynécologue. La première journée des assises a éclairé certaines pathologies à la lumière des violences sexuelles.

Plus que des anecdotes

Nathalie Regensberg de Andreis, médecin généraliste, a orienté sa pratique vers la prise en charge des douleurs chroniques : « J’ai réalisé le nombre important de victimes de violences sexuelles parmi mes patients. Et qu’il faut impérativement, et systématiquement, poser cette question : avez-vous été victime de violence physique, morale, sexuelle ? Quand on est à l’aise avec la question, les patients le sont aussi. »

La médecin s’est particulièrement intéressée aux fibromyalgies, qui touchent 2 à 6 % de la population. Or, le risque de développer ce syndrome est doublé chez les victimes de violences sexuelles, selon une méta-analyse internationale(1) portant sur 18 000 patients.

Plus surprenant, un chirurgien a, lui aussi, fait le lien entre violences sexuelles et troubles digestifs. Ghislain Devroede a un parcours atypique : formé en Belgique, il a exercé en chirurgie colorectale aux États-Unis, en particulier à la prestigieuse Mayo Clinic, à Rochester (Minnesota). Mais il s’est aussi formé à l’hypnose ericksonienne. Il a présenté le cas d’une patiente qu’il suit depuis trente-sept ans, Marthe Rose B. « Elle m’a été adressée pour une colectomie, justifiée par une constipation opiniâtre : une selle tous les deux mois. Quand je l’ai rencontrée, elle a tout de suite parlé des viols, par l’anus, commis par son père, sur elle et ses sœurs. La colère fait se contracter le colon, je n’en avais jamais entendu parler pendant mes études ! Je me suis opposé à cette colectomie. À la mort de son père, Marthe lui a écrit une lettre de six pages, glissée dans le cercueil. Son transit est redevenu normal. »

Ghislain Devroede tempère lui-même les enseignements de ce cas clinique isolé : « C’est une anecdote, à moins qu’elle ne soit supportée par un grand nombre d’observations similaires. » Ce qui est le cas, assure-t-il : il a confronté son exercice avec celui de trois autres collègues, sensibilisés aux violences sexuelles. Sur plus de 400 patients présentant des troubles digestifs, en moyenne 40 % ont été abusés sexuellement.

L’urgence de la formation

Reste à former les soignants aux violences sexuelles. « Aujourd’hui, les étudiants en santé ont deux à trois heures de formation, c’est insuffisant », déplore Violaine Guérin. L’association a également développé des formations(2), qui ont lieu partout en France, aux bases de la connaissance en matière de violences sexuelles, ou plus spécialisées (prévention en âge scolaire, thérapie psychocorporelle, etc.) Depuis 2018, l’association met l’accent sur la prévention en périnatalité, pour détecter les parents victimes de violences sexuelles. « Une grossesse, pour une femme mais aussi pour un homme, est une période de transparence psychique, explique la sage-femme Nicole Andrieu. Beaucoup de choses qui étaient sous le couvercle, en amnésie, ressortent. C’est le cas des violences sexuelles. »

1 - Walker E. A., Keegan D., Gardner G., Sullivan M., Bernstein D., Katon W. J., « Psychosocial factors in fibromyalgia compared with rheumatoid arthritis : II. Sexual, physical, and emotional abuse and neglect », Psychosom Med 1997, 59:572-7.

2 - Le programme de formation est disponible sur : www.stopauxviolencessexuelles.com/formations-2

PRÉVENTION

Un enfant sur cinq concerné en Europe

La statistique est effrayante : « On estime qu’environ un enfant sur cinq en Europe est victime d’abus sexuels avant 18 ans », explique Mikaël Poutiers, juriste au Conseil de l’Europe et membre de la division des droits de l’enfant. Le Conseil de l’Europe a fait adopter, par 44 États dont la France, la convention de Lanzarote : les États s’engagent à prévenir les abus sexuels, à protéger les enfants et à poursuivre pénalement les auteurs. Il met à disposition un matériel pédagogique de prévention, notamment le joli film Kiko et la main(1) qui s’adresse aux tout-petits, et Parle à quelqu’un de confiance(2) pour les plus grands.

1 - À voir sur : www.coe.int/fr/web/children/kiko-and-the-hand

2 - À voir sur : www.coe.int/fr/web/children/tell-someone-you-trust