L’enquête diligentée par l’AP-HP et l’ARS Île-de-France après la mort d’une femme aux urgences de Lariboisière, dans la nuit du 17 au 18 décembre, a rendu son rapport. Elle formule des recommandations pour remédier aux dysfonctionnements constatés.
Les causes du décès de la patiente de 55 ans, admise consciente aux urgences de l’hôpital Lariboisière (AP-HP), à 18 h 40 le 17 décembre, et retrouvée inanimée en salle d’attente vers 6h le lendemain, relèvent de l’enquête judiciaire. La mission médicoadministrative(1) consécutive à la déclaration de cet événement indésirable grave souhaitait reconstituer la chronologie des faits et les conditions d’organisation des soins la nuit du drame, analyser la conformité de la prise en charge aux procédures et formuler des recommandations. Des entretiens auprès du personnel du SAU, la mission retient « l’engagement et le professionnalisme de l’équipe » qui exerce son métier « dans des conditions difficiles », mais aussi des écarts aux procédures.
Amenée par les pompiers, la patiente a ainsi été enregistrée sous l’identité transmise par ces derniers, qui s’est avérée erronée… à une lettre près(2). Tragique erreur que le respect de la procédure d’identitovigilance aurait dû écarter : le contrôle d’identité doit être fait avec le patient quand c’est possible et au regard d’une pièce d’identité.
Conformément à la procédure, la patiente a été vue au bout de dix minutes par l’IOA, qui l’a classée niveau 3 et orientée vers le circuit court. Mais alors que la surveillance en salle d’attente est censée intervenir au minimum toutes les deux heures, en l’espèce, il n’y en a pas eu de 21 h à minuit, heure à laquelle une aide-soignante a appelé en vain la patiente pour initier la prise en charge médicale. « L’erreur d’identité a pu être un élément contributif dans l’absence de réponse », note la mission, qui pointe le délai « très important » entre l’inscription et le premier appel pour installation en box : plus de cinq heures. Après quatre appels en salle d’attente, à l’accueil et devant l’entrée ambulatoire du service vers minuit, le timbre informatique de la pa tiente a été supprimé du système avec le mode de sortie « en fugue », sous un log in générique n’ayant pas permis d’identifier le professionnel à l’origine de la manipulation. Là encore, la procédure, qui prévoit une sortie après trois appels infructueux à vingt minutes d’intervalle et vérification des bracelets d’identité des patients, n’a pas été respectée.
Le 17 décembre, l’activité des urgences était très soutenue : 249 passages enregistrés contre 230 en moyenne. Une situation rendue plus tendue encore par la vacance du deuxième poste de médecin en journée, « qui a généré ensuite une surcharge sur l’activité de garde »(3) : « la charge de travail des IOA présentes la nuit(4) ne leur a pas permis d’appliquer la procédure » de surveillance, estime la mission.
S’appuyant sur les recommandations du rapport, le SAU de Lariboisière a engagé de premières mesures, comme le recrutement d’un praticien hospitalier au1er février 2019 et 1,5 ETP médical de plus dès que possible(5). Trois postes infirmiers ont aussi été créés pour avoir une IDE de plus au circuit court la nuit. « Depuis juillet dernier, rappelle la directrice du GH, Ève Parier, on travaillait à un plan d’action qui avait déjà acté des renforts, mais ils ont mis du temps à se concrétiser », en raison notamment du turn-over infirmier dans les services d’urgences. « Entre juillet et décembre, onze recrutements infirmiers n’ont fait que combler des postes vacants », précise-t-elle.
Depuis le 2 janvier, un vigile s’assure vingt-quatre heures sur vingt-quatre que seuls les patients orientés vers le circuit court par l’IOA puissent accéder à cette zone d’attente avec, au plus, un accompagnant. À l’exclusion des personnes hébergées pour raisons sociales, particulièrement nombreuses à Lariboisière en raison de la proximité de la gare du Nord et d’un centre de prise en charge de la toxicomanie(6).
De nuit, un aide-soignant est désormais affecté à la surveillance des paramètres spécifiques des patients en salle d’attente circuit court, selon les consignes de l’IOA. La mission s’étant étonnée du fait que 70 % des enregistrements à l’accueil des urgences de Lariboisière sont réalisés par des soignants, la répartition de l’activité de recueil des données administratives sera revue sous un mois. Tout en maintenant « une présence soignante dès l’arrivée à l’accueil », conformément au choix stratégique assumé par le SAU, « compte tenu du profil des personnes accueillies », argumente Ève Parier. L’hôpital envisage par ailleurs de doter ses urgences d’un système de géolocalisation des patients par le biais de bracelets à puce. Enfin, tout le personnel sera reformé aux procédures d’identitovigilance sous deux mois.
« L’identito-vigilance, on y pense forcément quand il faut faire une transfusion, mais peut-être moins dans des cas moins aigus », observe Ève Parier, d’où la nécessité de réaffirmer son importance en toutes circonstances.
1 - Confiée au Pr Dominique Pateron, président de la collégiale des urgences AP-HP ; Dr Pierre Charestan, chef de service des urgences du CHI d’Aulnay-sous-Bois ; Véronique Marin La Meslée, directrice des soins AP-HP ; Anne-Gaëlle Daniel, directrice de l’inspection régionale autonomie santé à l’ARS d’Île-de-France.
2 - La patiente décédée s’appelait Mme Myr. Elle a été enregistrée à l’accueil des urgences en tant que Mme Mya.
3 - « Quand le médecin du circuit court a pris sa garde à 18h, 30 patients étaient en attente dans ce secteur, rendant impossible l’identification rapide de patients à prioriser dans la prise en charge », admet la mission.
4 - La présence du personnel paramédical était conforme au planning prévisionnel et au planning cible du SAU, précise le rapport.
5 - Avec 23,5 ETP en décembre 2018, le ratio des effectifs médicaux au regard de l’activité aux urgences de Lariboisière était inférieur à celui des SAU de l’AP-HP qui est de 28. Il en faudrait 32,4 pour s’aligner sur les recommandations professionnelles, note la mission.
6 - Depuis le 6 janvier, le Samu social intervient deux à trois nuits par semaine pour orienter les personnes en situation de précarité sans demande médicale identifiée et si possible leur trouver un hébergement.