SOINS SOMATIQUES
SUR LE TERRAIN
MON QUOTIDIEN
FRÉDÉRIQUE LAGUT* LISETTE GRIES**
*IDE, formatrice dans le secteur de prise en charge des personnes détenues, au sein de l’association Transfaire (Paris)
Que ce soit aux urgences, pour de la chirurgie ambulatoire ou une hospitalisation, les personnes sous main de justice sont parfois amenées à recevoir des soins à l’hôpital. Cette situation peut mettre les professionnels de santé mal à l’aise. « Leur prise en charge est régie par les codes de santé publique et de procédure pénale, explique Frédérique Lagut, IDE et formatrice, spécialisée dans la prise en charge des personnes détenues au sein de l’association Transfaire, à Paris. Un guide méthodologique rassemble les deux impératifs (1).
Les soignants différencient cependant le traitement du problème de santé de celui de la transgression. » Pour que le soin se déroule au mieux, il faut s’assurer du consentement de la personne. « Cela permet d’extraire la relation soignant-soigné du cadre de contrainte permanente dans lequel les détenus évoluent, insiste l’IDE. C’est aussi l’occasion d’évaluer ce qu’ils comprennent de leur problème de santé. » Pour préserver le secret médical, les soins se déroulent généralement en l’absence des agents de sécurité, qui restent à proximité. Si leur présence est nécessaire, ils sont soumis à la discrétion professionnelle. « L’IDE doit s’assurer que le patient est d’accord pour être soigné dans ces conditions. S’il s’y oppose, le soin est suspendu afin de chercher une zone satisfaisante de consentement », précise Frédérique Lagut. En effet, les soignants ne décident pas du mode d’accompagnement des personnes sous main de justice, même si l’établissement pénitentiaire leur transmet des consignes de sécurité. La surveillance des détenus est organisée en fonction de leur dangerosité potentielle. « Si un soignant pressent un risque, il peut demander l’appui des agents de surveillance, voire invoquer son droit de retrait », ajoute Frédérique Lagut.
1- Ministère des Solidarités et de la Santé, « Prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice », 2017. À lire sur : bit.ly/2DMV4tv
→ S’assurer que le détenu est pris en charge dans des locaux adaptés de l’hôpital, selon la convention passée avec l’administration pénitentiaire : chambre sécurisée, salle d’attente isolée, etc., afin de respecter la dignité et la sécurité générale.
→ Toujours rechercher le consentement du patient, même pour des soins dits “bénins”.
→ S’informer de la fiche de liaison relative aux règles de sécurité transmise par l’établissement pénitentiaire, notamment concernant le matériel.
→ Adopter des attitudes facilitantes et bienveillantes, dans le cadre de la juste distance thérapeutique.
→ S’abstenir de chercher à découvrir le motif de l’incarcération, inutile dans le cadre de soins somatiques.
→ Se rappeler que nul n’est tenu à l’impossible si la situation est trop compliquée.
→ « Pour garder son professionnalisme, il faut parfois faire l’effort de résister aux attitudes bloquantes pour voir le détenu comme un patient, dont on traite le problème de santé », conseille Frédérique Lagut. Autrement dit : notre mission n’est pas d’ordre humanitaire, et lui n’a ni plus ni moins de droits que les autres. En cas de tension, il ne faut pas hésiter à interrompre un soin pour passer à un soin relationnel. « On peut poser son matériel et dire calmement : “J’ai l’impression que vous êtes en colère, on va faire une pause et voir ce qu’on peut faire”, ajoute la formatrice. En reformulant ce qu’on perçoit des émotions du patient, celui-ci se sentira pris en compte humainement. »
Le recueil du consentement s’inscrit dans cette même optique. « Ainsi, il n’assimile pas le soin à une contrainte de plus, qui viendrait s’ajouter à celles qui sont l’essence de la vie en milieu carcéral », conclut Frédérique Lagut.
Les soins somatiques et psychiatriques aux personnes détenues sont organisés en trois niveaux progressifs.
→ Le niveau 1 concerne les soins ambulatoires. Il relève essentiellement des unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP), parfois des urgences.
→ Le niveau 2 regroupe la petite chirurgie, les soins plus longs comme des séances de dialyse ou de chimiothérapie, etc. Les soins somatiques ont lieu en chambre sécurisée ou lors d’une consultation sous surveillance pénitentiaire dans un hôpital de proximité conventionné.
« Pour la psychiatrie, le niveau 2 reste entre les murs de l’établissement carcéral, au sein d’USMP qui se voient dédier des cellules adaptées à l’hospitalisation de jour », précise Frédérique Lagut.
→ Pour le niveau 3, soit les hospitalisations complètes, les séjours de moins de quarante-huit heures ont lieu en chambre sécurisée à l’hôpital de proximité. Au-delà, la prise en charge incombe à l’unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI). Pour les soins psychiatriques, les séjours se déroulent en unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA).
Mais, certaines hospitalisations sous contrainte peuvent avoir lieu dans un établissement psychiatrique de proximité si l’urgence l’impose. « Le patient est alors hospitalisé en chambre d’isolement », explique Frédérique Lagut.