FORMATION
PRISE EN CHARGE
GAËTANE DARTOIS* JULIE DUBUIS** SYLVIE FLATET*** NAZLI LEFEVRE**** FRANÇOISE ROSSIGNON*****
Lors d’un appel de greffe, plusieurs receveurs potentiels sont contactés dans toute la France selon un ordre établi par l’Agence de la biomédecine. Après la greffe, le patient retenu bénéficiera d’une surveillance accrue et de traitements spécifiques.
La transplantation rénale peut être une étape dans le parcours du patient insuffisant rénal. Elle se décline en trois temps :
– le parcours de pré-transplantation : de la décision de greffe conjointe entre patient, néphrologue et transplanteur, à l’obtention du greffon ;
– la période péri-opératoire immédiate ;
– le suivi post-greffe.
Nous détaillerons dans cette partie la prise en charge péri-opératoire du patient telle que nous la pratiquons au sein du CHU de Reims (51).
Un greffon peut être obtenu de deux manières, soit par donneur cadavérique, soit par donneur vivant. Dans les deux cas, la prise en charge péri-opératoire des patients greffés reste assez similaire. La différence réside essentiellement dans le caractère programmé du second cas. Dans le cas d’un don par donneur cadavérique, l’organisation de l’intervention et la coordination entre les différentes équipes pluridisciplinaires doivent se faire dans un temps le plus restreint possible. En effet, plus le temps d’ischémie froide (temps pendant lequel les vaisseaux du greffon sont clampés) est restreint, meilleures sont les chan-ces de reprise immédiate de la fonction du greffon.
Lorsqu’un greffon est disponible, l’Agence de la biomédecine contacte le néphrologue de garde du service de soins intensifs de néphrologie. Ce dernier contacte au plus vite :
– le néphrologue transplanteur de garde qui se chargera de valider ou non l’acceptation du greffon ;
– le néphrologue du patient afin de s’assurer que celui-ci n’a pas de problèmes médicaux intercurrents ;
– les chirurgiens qui assureront l’organisation du bloc opératoire et contacteront l’anesthésiste de garde ;
– le patient.
À noter que la répartition des greffons se fait par l’Agence de la biomédecine, qui les priorise selon des règles éthiques et scientifiques (les enfants, les hyperimmunisés, les personnes n’ayant plus d’abord pour être dialysées…). En l’absence de priorité nationale, la proposition est faite à un patient du même groupe sanguin, sur la base d’un score et selon des modalités définies par l’Agence de la biomédecine. Ce score comprend une dizaine de critères, par exemple l’ancienneté sur la liste d’attente, l’ancienneté en dialyse, l’âge (pas plus de vingt ans d’écart d’âge), la compatibilité HLA…
→ Deux à trois patients sont appelés pour un même greffon. Lorsque ce dernier est prélevé dans la région, les patients sont issus du même centre de greffe. Pour un greffon national, ils sont appelés dans différents centres. Les personnes appelées devront se rendre en soins intensifs pour effectuer des tests de compatibilité. Une fois l’entrée administrative effectuée, le patient est installé par l’infirmière dans une salle dédiée (les patients ne seront pas installés au même endroit). L’IDE procède à un recueil de données, surveille les constantes et réalise un ECG afin de s’assurer de l’absence de contre-indication, notamment infectieuse.
→ Les premiers prélèvements sanguins sont réalisés : groupe sanguin, NFS, bilan de coagulation, ionogramme, PTH, ßHCG) et plus particulièrement le cross match. C’est l’examen qui consiste à mettre en contact les cellules du donneur avec le sérum du receveur. Le résultat est obtenu entre quatre et six heures. Si les deux candidats ont un cross match négatif (greffe possible), celui qui est en première position bénéficie de la transplantation. L’autre patient, informé par le néphrologue, rentre à son domicile.
→ Durant ce laps de temps, un transporteur vient livrer les ganglions et le rein du donneur (permettant de réaliser le cross match). Ce dernier aura voyagé et sera conservé en soins intensifs, soit dans un vital pack (glacière), soit dans une machine qui permet de perfuser le greffon.
→ Pour le patient compatible, des examens biologiques sont réalisés, notamment un ECBU, des prélèvements nasaux à la recherche d’un SAMR, EBLSE, et de nombreuses sérologies : hépatites, VIH, EBV, CMV, HSV, toxoplasmose, aspergillose….
→ Une séance de dialyse peut être réalisée, en fonction du ionogramme sanguin, de façon à ce que le patient ait une kaliémie normale avant le bloc.
→ La préparation pré-opératoire consiste, dans notre établissement, en une préparation cutanée (rasage face antérieure du corps de mi-torse à mi-cuisse et douche bétadinée). En dehors des traitements pré-opératoires, le patient reste à jeun depuis son appel.
→ Le patient est généralement prémédiqué avec de l’Atarax (hydroxyzine) et du Tagamet.
→ Les immunosuppresseurs sont débutés avant le départ au bloc opératoire pour diminuer le risque de rejet. L’objectif ici est de provoquer un état de non-réponse immunitaire envers le greffon en créant une immunodépression plus ou moins profonde selon l’immunisation du receveur. Les molécules utilisées dans le traitement d’induction sont les immunoglobulines anti-lymphocytaires (Thymoglobuline, arrêt J5 à J8) ou les anticorps anti-récepteurs de l’interleukine 2 (Simulect : basiliximab, arrêt JO-J4).
→ Des antiviraux (Zovirax : aciclovir ou Rovalcyte : valganciclovir) seront également prescrits en fonction du statut sérologique à CMV (cytome galovirus) du donneur et du receveur.
→ Le patient part au bloc opératoire en chemise d’opéré, charlotte et bas de contention, avec son bracelet d’identification.
L’intervention dure environ trois à quatre heures. Pour les transplantations à partir d’un don cadavérique, l’intervention est réalisée par un chirurgien urologue. Pour les greffes à partir d’un donneur vivant, l’équipe chirurgicale est constituée d’un chirurgien urologue et d’un chirurgien vasculaire (quatre mains). L’intervention pour le receveur se déroule ainsi :
→ Le patient est installé au bloc opératoire en décubitus dorsal. Une voie centrale (cathéter triple voies) est posée en jugulaire interne. L’implantation du greffon se fait au niveau de la fosse iliaque droite ou gauche, le côté étant déterminé en amont par le scanner en fonction de l’anatomie du rein et du receveur. Le chirurgien dissèque les vaisseaux et anastomose la veine rénale du greffon à la veine iliaque externe du receveur et l’artère à l’artère iliaque externe. Il effectue ensuite une anastomose urétéro-vésicale en réalisant un système anti-reflux par pression mécanique. Une endoprothèse urétérale est mise en place (sonde JJ).
Des drains sont mis en place afin de détecter un saignement anormal, une lymphocèle ou encore une fuite urinaire. Une sonde vésicale doit être laissée plusieurs jours pour favoriser la cicatrisation vésicale.
→ Une fois l’intervention chirurgicale achevée, le patient sera surveillé pendant deux heures en salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI), puis sera transféré en soins intensifs où il restera en moyenne cinq jours, avant son transfert en hospitalisation traditionnelle de néphrologie.
À son arrivée en soins intensifs de néphrologie, du fait des immunosuppresseurs en pré et per-opératoire, il est nécessaire de mettre en place un isolement pour le protéger des infections, pour une durée de cinq jours. Tout le temps de son séjour en soins intensifs, le patient est scopé pour une surveillance continue de sa tension, sa fréquence cardiaque, sa fréquence respiratoire et sa saturation en oxygène.
→ En post-opératoire immédiat, la surveillance est très rapprochée, la pression artérielle est contrôlée toutes les heures, les redons toutes les quatre heures, afin de détecter toute hémorragie. La diurèse est relevée toutes les heures et une compensation hydrique est réalisée, le plus souvent au NaCl 0,9 % ou 0,6 %, volume à volume. Cette compensation est mise en place dès le retour de SSPI pendant un ou deux jours, voire plus si le patient urine plus de huit litres par vingt-quatre heures. Le but est d’aider le greffon à fonctionner et que le patient ne se déshydrate pas en cas de polyurie. La pression veineuse centrale (PVC) est prise toutes les quatre heures ainsi que le poids, afin d’évaluer la volémie du patient.
→ À partir de J2, une fois le patient stable, la surveillance s’espace à toutes les deux heures, puis toutes les quatre heures pour l’ensemble des paramètres, le patient reste néanmoins scopé en continu. Des bilans biologiques sont réalisés régulièrement : toutes les six heures de J0 à J2, puis toutes les huit heures, puis toutes les douze heures.
Le patient est également porteur d’un ou plusieurs redons qui seront généralement enlevés quand ils donneront moins de 50 ml, après avis du chirurgien. Des ECB redons sont réalisés tous les deux jours. Des ionogrammes sur redons sont effectués, surtout si les redons donnent beaucoup, pour détecter une fuite urinaire au niveau de l’uretère ou de l’anastomose urétéro-vésicale. Le transplanté est également porteur d’une sonde vésicale, qu’il gardera en principe pendant cinq jours. Des ECBU sont faits tous les deux jours pour détecter une bactérie asymptomatique.
→ Les risques à ce stade sont multiples, surtout :
– l’hémorragie ;
– la thrombose vasculaire du greffon entraînant une transplantectomie. Signes cliniques : douleur, anurie ;
– le risque infectieux ;
– l’hématome du greffon ;
– le risque de fuite d’urine ;
– le risque de lymphocèle (collection de liquide lymphatique située dans la fosse de transplantation) ;
– le risque de reprise retardée de fonction rénale qui peut nécessiter des séances de dialyse ;
– le risque de rejet hyper aigu ;
– le risque d’éventration, qui nécessite le port d’une ceinture abdominale de contention ;
– le risque de récidive de la maladie initiale.
→ Le traitement principal repose sur la prise (per os) des immunosuppresseurs. Ici, l’enjeu consiste à trouver la “bonne” dose thérapeutique alliant maîtrise du risque de rejet sans mettre en danger le patient. La marge thérapeutique est étroite : trop doser l’anti-rejet peut être néphrotoxique alors que le sous-doser induit un risque de rejet.
• Le traitement d’induction est un traitement d’attaque pour prévenir le risque de rejet aigu. Il est relayé par un traitement d’entretien.
• L’immunosuppression de maintenance est composée d’anti-inflammatoires stéroïdiens (Solupred : prednisolone), d’inhibiteurs de la calcineurine : ciclosporine (Neoral) ou tacrolimus (Prograf), d’inhibiteurs de la multiplication cellulaire (Cellcept : Mycophenolate mofetil) ou les inhibiteurs de mTOR (Certican, Rapamune). Tout un arsenal agissant sur les mécanismes de la réponse immunitaire. Les choix de molécules se font en fonction du risque immunologique, des antécédents du patient. À noter que la corticothérapie peut être transitoire (quatre à six mois), alors que les autres immunosuppresseurs sont à vie.
→ Pour prévenir l’infection à CMV ou HSV, les antiviraux (Zovirax ou Rovalcyte) sont poursuivis pendant deux à six mois après la transplantation.
→ Une antibiothérapie prophylactique est prescrite de J5 à M6 pour prévenir la pneumocystose (Bactrim).
→ Les traitements complémentaires (antihypertenseurs, diurétiques, antidiabétiques…) ne sont pas à négliger, ils contribuent également au bon fonctionnement du greffon et à la santé du patient.
→ Pour prévenir le risque d’encombrement bronchique, des séances de kinésithérapie sont aussi prescrites.
→ Le patient peut être levé à partir de J2.
→ Dans le cadre du risque de thrombose, des bas de contention sont prescrits et on lui administre de l’héparine IVSE à dose préventive.
→ Prendre en charge la douleur est également primordial. En SSPI, une PCA de morphine est mise en route. On lui administre aussi des antalgiques de paliers 1 (paracétamol) et 2 (néfopam) en systématique les deux premiers jours puis après à la demande. Nous effectuons l’ablation des redons sous kalinox.
On peut réalimenter le patient à partir de J1 s’il présente des bruits hydro-aériques. Un régime alimentaire adapté doit être mis en place (contrôlé en sel et en sucre pendant la corticothérapie et exempt par exemple de millepertuis, de pamplemousse, de grenade, à cause d’interactions avec les immunosuppresseurs…). C’est pourquoi la diététicienne rencontre durant l’hospitalisation le patient et sa famille.
L’éducation à son traitement immunosuppresseur, initié en soins continus, se poursuit en hospitalisation traditionnelle de manière plus importante, le patient devant impérativement être autonome avant sa sortie. Une observance rigoureuse du suivi médical et de la prise des thérapeutiques est primordiale (une inobservance entraînerait le rejet, ce qui signifie le retour en dialyse) justifiant la présence de la coordinatrice de greffe (lire p. 48) en amont et en aval de l’intervention. Avec l’appui des équipes médicales et soignantes, elle s’assure durant toute l’hospitalisation de la bonne compréhension du suivi par le patient.
Mme B., âgée de 40 ans, est suivie depuis l’âge de 25 ans par un néphrologue pour une insuffisance rénale chronique sur polykystose rénale autosomique dominante. Sa néphropathie étant due à une maladie génétique, Mme B. a appris le diagnostic de sa pathologie de manière précoce, dans le cadre d’un dépistage à l’âge de 16 ans. Depuis, elle bénéficie d’un suivi clinique, biologique et radiologique régulier par son néphrologue référent. Depuis quelques mois, le néphrologue observe une augmentation progressive de ses chiffres de créatininémie, qui traduit une diminution de son débit de filtration glomérulaire. Lors de sa dernière consultation, le bilan biologique de Mme B. objective une altération importante de sa fonction rénale.
Quelle prise en charge ?
→ Le néphrologue référent lui annonce que son insuffisance rénale chronique est désormais au stade 4 de la classification de la MRC avec un impact pré-terminal nécessitant d’envisager prochainement la mise en place d’un traitement de suppléance.
→ Le néphrologue référent organise alors une rencontre avec une infirmière référente afin d’obtenir une information pré-dialyse mais également avec l’infirmière coordinatrice de transplantation rénale pour aborder le parcours de soins relatif à une transplantation rénale.
→ Devant ses antécédents familiaux, Mme B. exprime ses appréhensions face à ce parcours de soins et à la mise en place du traitement de suppléance. Ses craintes concernent les différentes complications pouvant intervenir lors des séances de dialyse (hypotension, restriction hydrique, crampes, céphalées…) mais aussi les répercussions du traitement par hémodialyse sur sa vie privée et professionnelle.
→ Mme B. aimerait pouvoir bénéficier d’une transplantation rénale avant la mise en place de séances de dialyse, c’est-à-dire une greffe pré-emptive, et elle se questionne sur la faisabilité de ce projet. Elle dispose de quelques connaissances concernant la transplantation rénale puisque plusieurs membres de sa famille ont déjà pu bénéficier d’une greffe rénale dans le cadre de cette polykystose rénale. Elle souhaite pouvoir disposer d’informations complémentaires sur la possibilité d’être greffée (le temps d’attente pour pouvoir bénéficier d’une transplantation rénale, l’organisation du bilan pré-greffe, la compatibilité donneur-receveur, l’obtention d’informations sur le donneur vivant, le suivi post-greffe…).
→ Après cette annonce, Mme B. repart à son domicile avec les coordonnées de l’infirmière coordinatrice de transplantation rénale dans le but de la contacter pour fixer un rendez-vous. Quelques jours plus tard, ce rendez-vous est programmé et Mme B. rencontre cette IDE afin de bénéficier d’informations sur la transplantation rénale.
Y. DE BRITO, INFIRMIÈRE COORDINATRICE DE TRANSPLANTATION RÉNALE, CH DE TROYES
Au CHU de Reims, dans le cadre de la greffe par donneur vivant, le donneur est pris en charge par le service d’urologie de la veille de la transplantation programmée jusqu’à sa sortie à J5 post-opératoire. Après le don, il est suivi médicalement (consultation chirurgicale à six semaines post-opératoires puis consultations néphrologiques à trois mois et tous les ans).
Déroulement de l’intervention
→ Le patient donneur est installé au bloc opératoire en décubitus latéral pour avoir accès au rein à prélever. Le patient est sous anesthésie générale (une anesthésie loco-régionale peut être associée pour diminuer les douleurs post-opératoires par insertion d’un cathéter intramusculaire en trans-abdomino-pelvien ou TAP bloc, ou encore par la mise en place d’une épidurale). La chirurgie peut se faire par voie ouverte ou par coelioscopie, comme pour une néphrectomie classique (pour cancer par exemple). Le prélèvement est effectué en apportant une attention particulière aux vaisseaux du pédicule rénal et à l’uretère. Le rein est entièrement détaché des structures avoisinantes et une ouverture permettant l’extraction du rein est réalisée, avant que les vaisseaux ne soient sectionnés. Une fois privé de sang, le rein doit être extrait très rapidement pour être plongé dans la glace et perfusé avec un soluté de conservation glacé, idéalement en moins de trois minutes. Un drain de Redon peut être laissé en place en cas de doute. Le patient passe en salle de réveil puis remonte dans l’unité de soins et sort au bout de quelques jours. Une prévention du risque thrombo-embolique doit être réalisée par le biais de bas de contention et d’une injection d’héparine quotidienne. La sortie peut généralement se faire après quelques jours.
→ L’immunosuppression entraînant une vulnérabilité aux infections opportunistes (CMV, pneumocystis jirovecii…) et aux cancers (en particulier de la peau), le patient greffé nécessitera un suivi multidisciplinaire.
→ Les patients consulteront donc annuellement différents spécialistes (dermatologue, dentiste, gynécologue) de manière préventive ou dès l’apparition de lésions suspectes.
→ Sur le plan néphrologique, le suivi associe des consultations médicales, des examens sanguins, urinaires et radiologiques, ainsi que des ponctions-biopsie du greffon pour dépister les premiers signes d’un rejet histologique.