L'infirmière Magazine n° 402 du 01/03/2019

 

DOSSIER

PHARMACIENS HOSPITALIERS

VÉRONIQUE HUNSINGER  

Une ordonnance de 2016, dont les textes d’application sont attendus, conforte les pharmacies à usage intérieur dans leurs missions, notamment la pharmacie clinique. Les relations entre professionnels s’en trouveront renforcées.

C’est vrai que les infirmières n’y mettent pas souvent les pieds. Pourtant, les pharmacies à usage intérieur (PUI) connaissent une vraie mue, qui présage de futures relations de travail renforcées entre pharmaciens hospitaliers et IDE. Les premiers attendent, en effet, les textes d’application d’une ordonnance (1), parue en décembre 2016, qui réorganise les PUI. Cette ordonnance, prise à la suite de la loi de modernisation du système de santé de Marisol Touraine, devait répondre à plusieurs objectifs, notamment s’adapter à la mise en place des groupements hospitaliers de territoire (GHT) et développer plus largement les missions de pharmacie clinique à l’hôpital. Outre les missions historiques de gestion, d’approvisionnement, de vérification des dispositifs de sécurité, de préparation, de contrôle, de détention, d’évaluation et de dispensation des médicaments et des dispositifs médicaux (DM), le code de la santé publique dispose aussi désormais que les PUI doivent « mener toute action de pharmacie clinique, à savoir contribuer à la sécurisation, à la pertinence et à l’efficience du recours aux produits de santé, concourir à la qualité des soins, en collaboration avec les autres membres de l’équipe de soins mentionnée et en y associant le patient ». En sus, les PUI doivent « entreprendre toute action d’information aux patients et aux professionnels de santé sur les produits de santé et concourir à la pharmacovigilance, la matériovigilance et la politique du médicament et des DM stériles ».

De plus en plus présents

Selon le Pr Pascal Le Corre, président du Syndicat national des pharmaciens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires (SNPHPU), « cette ordonnance a réaffirmé les missions des PUI, mis l’accent sur la pertinence et l’efficience dans l’usage des produits de santé, qui est un sujet qui concerne tous les professionnels et, surtout, identifié pour la première fois la pharmacie clinique. Ce sont autant de points très positifs. » Le décret, attendu depuis juillet 2017 par les pharmaciens hospitaliers, devrait définir, grosso modo, ces missions de pharmacie clinique. « Les IDE peuvent s’attendre à voir les pharmaciens de plus en plus présents dans les services dans les prochaines années, explique Mireille Jouannet, présidente du Syndicat national des pharmaciens des établissements publics de santé (Synprefh). Si l’analyse des prescriptions peut se réaliser à distance grâce aux systèmes d’information, les nouvelles actions de pharmacie clinique - comme le bilan de médication (2), l’intervention dans un programme d’éducation thérapeutique ou l’explication d’un traitement lors de l’hospitalisation - impliquent la présence du pharmacien auprès du patient. » Le pharmacien hospitalier de demain aura donc sans doute un pied dans sa PUI et un pied dans les services. « Nous avons encore beaucoup de charges administratives qui nous retiennent dans les pharmacies hospitalières, abonde Pascal Le Corre. Nous n’avons évidemment pas vocation à travailler en électron libre dans les services mais je crois que notre présence peut être très utile pour améliorer le bon usage du médicament, par exemple en participant aux visites avec les médecins ou en étant présent dans les équipes infirmières pour échanger sur la bonne administration des produits. »

Y a-t-il assez de pharmaciens ?

Pour autant, les pharmaciens sont-ils assez nombreux pour prendre en charge de nouvelles missions ? Selon leur ordre national, on compte aujourd’hui 7 128 pharmaciens hospitaliers, dont 75 % de femmes, avec un âge moyen de 44,7 ans. Ils exercent dans les 1 043 PUI publiques et 1 402 PUI privées. « La démographie met en évidence la diminution du nombre de PUI avec un tassement du nombre de pharmaciens, constate Jean-Yves Pouria, président de la section H de l’Ordre, celle des pharmaciens des établissements de santé, dans l’atlas édité en 2018 par l’institution (3). La restructuration du réseau, via les GHT et les groupements de coopération sanitaires (GCS) ne doit pas conduire à une diminution du nombre de pharmaciens et de PUI, et doit maintenir un exercice de proximité, gage de la qualité de la prise en charge médicamenteuse et des soins prodigués aux patients. » La création des GHT a un effet direct sur les pharmacies hospitalières puisque les établissements supports doivent notamment assumer les fonctions d’achats. « Aujourd’hui, nous ne sommes pas assez nombreux pour toutes nos missions, estime Mireille Jouannet. Une des possibilités, c’est de libérer du temps, notamment sur la mission des achats, car c’est l’établissement support du GHT qui en est désormais responsable, même si le travail en amont sur le choix des produits restera dans les PUI et en lien avec les soignants. »

Des coopérations à organiser

L’ordonnance offre également plus de possibilités de coopération entre les PUI du GHT, ce qui inquiète néanmoins certains pharmaciens hospitaliers. « La sous-traitance entre établissements se pratique déjà, souligne Pascal Le Corre. Mais si demain, par exemple, une autre PUI prend en charge toutes les chimiothérapies des établissements de mon GHT, je n’aurai plus de contact direct avec les cliniciens et IDE. Ce serait un peu dommage. Nous ne sommes pas contre les coopérations et mutualisations - sur le principe - mais nous pensons qu’elles doivent se réaliser dans un cadre sécurisé pour les patients et les équipes. Car il peut y avoir un risque iatrogène si on sépare trop préparation et dispensation. »

Un sujet jugé assez sérieux par son syndicat pour que celui-ci dépose un recours en Conseil d’État, qui a finalement été rejeté. Mais le décret en attente devrait préciser les choses. « Partout où il y a des patients, il faut qu’il y ait des pharmaciens, car nous apportons des compétences différentes des médecins et des IDE, estime Mireille Jouannet. En revanche, s’agissant de l’organisation des coopérations entre les PUI d’un GHT, il ne faut pas de règles figées. C’est aux équipes de s’organiser comme elles le souhaitent, selon la taille des établissements, la géographie, les relations entre services… »

Le chantier de la sérialisation

Enfin, le gros dossier actuellement sur le bureau des pharmacies hospitalières est celui de la sérialisation des boîtes de médicaments, imposée depuis le 9 février 2019 par la directive européenne sur les médicaments falsifiés. « Pour des raisons de lutte contre la fraude, il a été décidé au niveau européen que chaque boîte de médicament aurait un identifiant unique, explique Pascal Le Corre. En France, le risque de retrouver des médicaments falsifiés dans le circuit n’est pas complètement nul mais il est quand même très bien maîtrisé. » Concrètement, les pharmaciens hospitaliers devront, pour chaque boîte, vérifier si le dispositif de sécurité - qui se matérialise sous la forme d’une petite languette - est bien présent. Les PUI devront également scanner le Datamatrix, cette sorte de petit code barre de forme carrée, présent sur chaque boîte, afin de vérifier son authenticité dans un répertoire et de le désactiver avant de dispenser le médicament. Une obligation qu’ont d’ailleurs également les pharmaciens de ville. Mais il s’agit d’une tâche extrêmement chronophage quand on pense qu’un centre hospitalier de taille moyenne réceptionne environ 2 000 boîtes de médicaments par jour et un CHU jusqu’à 5 000.

Une simplification est néanmoins envisagée sous la forme d’un échantillonnage des contrôles. « Pour les IDE, le dispositif sera transparent », souligne Mireille Jouannet. Dans tous les cas, le dispositif va se mettre en place au fur et à mesure. Selon une enquête interne du SNPHPU, fin 2018, 56 % des pharmaciens hospitaliers estimaient ne pas pouvoir être prêts dans les temps et seulement 5 % pensaient y arriver.

1- Ordonnance n° 2016-1729 du 15 décembre 2016 relative aux pharmacies à usage intérieur. À lire sur : bit.ly/2DraALz

2- L’arrêté du 9 mars 2018 encadre les modalités de mise en œuvre du bilan partagé de médication. À consulter sur : bit.ly/2MLNrpY

3- « Les grandes tendances de la démographie des pharmaciens au 1er janvier 2018 ». À lire sur : bit.ly/2CLLEfU

BIBLIOGRAPHIE

  • → Société française de pharmacie clinique (SFPC), Fiche mémo sur la conciliation médicamenteuse, juillet 2015, actualisation en cours. bit.ly/2Tx3qe6
  • → Haute Autorité de santé (HAS), guide méthodologique « Mettre en œuvre la conciliation médicamenteuse en établissements de santé », février 2018. bit.ly/2EO4uTu
  • → HAS, rapport d’expérimentation sur la mise en œuvre de la conciliation des traitements médicamenteux par neuf établissements de santé français, septembre 2015. bit.ly/2SpAMyl
  • → Ordre national des pharmaciens, Les cahiers de l’ordre, n° 13, décembre 2018, « La pharmacie clinique : état des lieux et perspectives d’une discipline en développement ». bit.ly/2HTqUc5
PRESCRIPTIONS PAR LES IPA

Les pharmaciens devront renforcer leur vigilance

Le décret de juillet 2018 sur les périmètres d’intervention des infirmières de pratique avancée (IPA) ouvre de nouveaux droits de prescription pour la profession, auxquels les pharmaciens hospitaliers se préparent. En effet, le texte prévoit que l’IPA puisse prescrire des médicaments ou dispositifs médicaux non soumis à prescription médicale obligatoire ainsi que certains examens de biologie médicale. Et elle peut également renouveler, en les adaptant au besoin, certaines prescriptions médicales.

Le dispositif n’est pour autant pas encore complètement calé techniquement dans les établissements.

« À la pharmacie de l’hôpital, il faudra que nous puissions identifier les prescripteurs, explique Stéphane Honoré, PU-PH de pharmacie clinique à l’hôpital de la Timone, de l’Assistance publique - hôpitaux de Marseille (APHM). Il faudra notamment que nous puissions anticiper quand une IPA prescrit, qu’il y ait déjà eu une prescription médicale auparavant, ce qui rend la dispensation un peu plus compliquée. » Il faudra notamment que les systèmes d’information des établissements soient adaptés.

Au-delà de ces questions techniques, le Pr Honoré, qui enseigne la théorie de la prescription aux étudiantes du master IPA de l’université de Marseille, dit qu’il leur « rappelle qu’avant de prescrire, il faut vérifier un certain nombre de points clés pour éviter les erreurs ». En effet, les analyses pharmaceutiques réalisées à la Timone mettent à jour des erreurs sur environ 6 % des lignes de prescription des médecins. « Les risques d’erreur ne sont déjà pas négligeables avec les médecins, rappelle-t-il. En passant à de nouvelles catégories de professionnels, ce risque peut augmenter si de bonnes organisations ne sont pas mises en place. Il est clair que la prescription par les IPA va impliquer le pharmacien de manière encore plus importante dans son rôle d’analyse des ordonnances. »

En effet, si la prescription par les IPA ne va concerner qu’un nombre limité de produits et de pathologies, il n’empêche que « pour bien prescrire, il faut pouvoir prescrire en regard des autres traitements pris par le patient », note le Pr Honoré. Dans le même temps, il reconnaît volontiers que ces nouvelles compétences infirmières constituent, par ailleurs, une réelle avancée.