À la maison de retraite protestante de Montpellier, tout est mis en œuvre pour que les résidents se sentent comme chez eux. De l’aménagement des lieux de vie à la décoration, en passant par la préparation commune des repas et les nombreuses activités proposées, le lieu se veut chaleureux et convivial.
Dès l’entrée, le décor est posé : du parquet, des meubles en bois massif, des fauteuils moelleux, un pupitre, une TSF, un petit vélo en bois, une machine à coudre ancienne… Bienvenue chez mamie ! Et pourtant, nous ne sommes pas au domicile de grand-mère, mais à la maison de retraite protestante de Montpellier (34), qui accueille actuellement 91 résidents, âgés de 65 à 104 ans. Ici, rien n’est aseptisé et le hall d’entrée est un endroit chaleureux, où quelques résidents n’hésitent pas à se poser pour lire un journal ou se reposer. « Tout l’environnement de l’établissement doit être comme une maison, martèle son directeur, Jacques Finielz. J’ai toujours réfléchi aux projets en me posant la question : “Si demain je devais accueillir ma maman dans l’établissement, qu’est-ce que je ne voudrais pas ?” » Pour lui, la valeur suprême à respecter, c’est la liberté d’aller et de venir à sa guise. « Je n’ai pas de secteur fermé », explique-t-il. Les résidents peuvent déambuler librement dans les couloirs, ou sortir dans le parc, voire aller se promener dans les bois non loin de la maison de retraite.
Le second grand principe du directeur, c’est justement cette notion de foyer. « La personne âgée qui vient habiter ici, elle est chez elle. Mais elle est aussi en collectivité, avec toutes les contraintes que cela implique. J’ai eu la chance d’aller au Québec et de visiter la maison de retraite Carpe-Diem à Trois-Rivières. Mon premier constat, c’est que le personnel ne portait pas de blouse. C’est vrai que si on est à la maison, pourquoi se mettre en blouse ? », interroge-t-il, taquin. Depuis une vingtaine d’années, les employés de la maison de retraite protestante sont donc en tenue civile.
Dans les chambres, les draps blancs ont été bannis. « Nous avons mis des draps de couleur, une différente pour chacun des cinq étages. Cela nous coûte 10 % plus cher, mais cela apporte une personnalisation en plus aux chambres », déclare le directeur. La décoration est soigneusement étudiée. « La grand-mère de 90 ans, elle a vécu dans des vieux meubles de type Louis-Philippe. C’est donc ce que je cherche en priorité. » Le directeur chine lui-même certains meubles aux puces, d’autres sont apportés par les résidents. Quant aux lits médicalisés, « j’ai trouvé une menuiserie qui en fabrique en bois massif ».
En outre, dans les chambres, chacun est libre d’aménager l’endroit comme il le souhaite, d’apporter des tapisseries ou du mobilier. « Les résidents doivent pouvoir rendre visite à leurs voisins sans avoir l’impression d’être dans la même chambre que la leur », estime Jacques Finielz. Pour lui, il est normal « de faire la chambre la plus confortable possible pour que le résident s’y sente le mieux possible. J’ai l’obligation de “cocooner” le résident quand il arrive », affirme-t-il. Pour cela, il a fait appel à une architecte, Fany Cérèse (voir interview p. 28), qui a aidé l’établissement à réaménager certaines pièces. Un « lieu de vie » a ainsi vu le jour en 2009. « L’idée était de reproduire une pièce la plus proche possible d’une grande cuisine languedocienne, là où la grand-mère reçoit et peut se retrouver autour de la table, en famille. Nous avons installé un évier, un coin cuisine, une cheminée, des tables, une étagère avec des assiettes visibles, pour que les résidents puissent tout de suite y accéder s’ils veulent mettre la table. Cet espace permet aux personnes d’essayer de maintenir les gestes de la vie quotidienne tout en déconnectant du rythme de l’institution. S’ils veulent rester deux heures à table, ils peuvent le faire. S’ils ont envie de manger avec les doigts, libre à eux. Quand les familles viennent, elles s’installent à table et parlent avec tout le monde. Certaines familles viennent même pour participer à des activités. »
Et des activités, il y en a tous les jours à la maison de retraite protestante. Chorale, lecture, sport adapté, cuisine, etc. Le matin, une dizaine de résidents s’installent dans le lieu de vie, armés de couteaux et de planches à découper, et préparent la soupe du soir : ils épluchent avec application pommes de terre, carottes, navets, poireaux… puis vont donner les épluchures aux poules, dont les œufs sont ramassés et utilisés pour faire des gâteaux lors d’ateliers pâtisserie. Cet après-midi, c’est Noé Corvest, étudiant en Master 1 activité physique adaptée, qui anime, comme deux fois par semaine, un atelier de gymnastique douce. Enfin, le soir, des veillées sont organisées au coin du feu, par les aides médico-psychologiques (AMP) et auxiliaires de vie pour les résidents les plus autonomes. « Cela peut être un débat politique ou un conte, ou de la musique, détaille le directeur. Le lieu de vie, c’est quelque chose de très important. »
Un avis partagé par Salifa Ghrissi, AMP, qui travaille dans cet établissement depuis 2005. « J’étais auxiliaire de vie pendant trois ans et nous avons été consultés sur les aménagements, le mobilier, etc. Le but était de créer un lieu chaleureux et familial, et cela a porté ses fruits, estime-t-elle. Tout s’est déroulé comme nous l’espérions, les familles viennent naturellement dans le lieu de vie, c’est devenu un endroit de retrouvailles avec les résidents. Le mardi ou le week-end, nous réalisons des pâtisseries. » Ici, certains réflexes du domicile reviennent. « Quand il fait beau, nous utilisons la terrasse. Certaines résidentes prennent un balai pour balayer la terrasse, comme elles feraient chez elle », constate l’AMP. Au niveau des soins aussi, l’autonomie est encouragée. L’objectif de l’établissement est de « laisser le résident acteur de ses soins », comme l’explique Karima Chighannou, infirmière depuis un an à la maison de retraite protestante. « L’approche de soins se veut éthique : on ne prive pas le résident de sa liberté, aussi bien physiquement que chimiquement. Les gens sont vus comme des personnes avant tout, et pas comme des malades. Nous les sédatons le moins possible. Les différentes animations et activités permettent aux résidents d’avoir moins besoin de traitements. Cela leur fait énormément de bien. »
Néanmoins, cette liberté a aussi ses limites. « J’aime bien ce côté où les patients sont très libres, mais c’est aussi générateur de stress pour nous, reconnaît Sandra Reskinezy, infirmière présente depuis treize ans dans l’établissement. De temps en temps, il arrive aussi qu’on ait quelques soucis, par exemple une résidente qui était restée trop longtemps sur un banc au soleil et qui est revenue déshydratée, ou une autre qui était partie en ville et s’était perdue. » Ces cas restent heureusement rares mais source d’angoisse pour le personnel.
Les personnes atteintes de pathologies avancées (quatre résidents sur dix ont la maladie d’Alzheimer) font de fait l’objet d’une attention particulière. « Ce n’est pas parce qu’elles ont ces pathologies qu’elles sont ingérables. Si une personne cherche à sortir sans savoir revenir, on va juste être vigilant pour qu’elle ne passe pas le portail, lui proposer des activités. On essaye d’observer ce qu’elle veut faire de son quotidien pour lui permettre de le faire en sécurité », explique Elsa Hersog, directrice adjointe de la maison de retraite. La nuit, lorsqu’ils déambulent, le veilleur de nuit passe du temps avec les résidents, leur propose de l’accompagner dans ses travaux.
Si elle a ses limites, cette liberté est chère aux résidents eux-mêmes. « On nous laisse tranquille et on a beaucoup de liberté, apprécie Germaine Durand, résidente depuis cinq mois. On s’entend très bien avec le personnel qui est très discret, très respectueux de l’autre. » « Je vais souvent me promener dans le petit bois proche d’ici, j’aime beaucoup, renchérit sa voisine de table, Geneviève Sarenq. Je me sens bien ici car chez moi, j’étais toute seule. Ici, je trouve de la chaleur humaine et je me fais des copines » témoigne-t-elle.
Marie-Thérèse Trinchet, qui nous reçoit dans sa chambre, assure également qu’elle « se plaît beaucoup ici ». Elle a décoré ses murs avec des dessins qu’elle a faits elle-même. « Je ne savais pas dessiner, j’ai appris cet été. Mon fils m’a acheté des crayons aquarelle, très faciles à utiliser. » Elle ne participe pas à toutes les activités mais apprécie notamment les jeux de mémoire et les mots croisés. « J’aime bien jouer au Scrabble mais j’ai du mal à trouver des partenaires ici », confie-t-elle. Maude Clavier, animatrice, explique que « l’objectif des animations est de maintenir le lien social et les capacités physiques et psychiques des résidents, mais aussi de prendre du plaisir. Notre rôle est de leur apporter du bonheur », conclut-elle.
Fany Cérèse Architecte à Montpellier
Quel travail avez-vous réalisé à la maison de retraite protestante ?
J’étais en 3e année d’école d’architecture et le directeur de la maison de retraite m’a salariée pendant trois ans à mi-temps. Les deux premiers mois, le directeur m’a fait passer par tous les postes : animations, ménage, avec les lingères, avec les infirmières, etc. À la fin, il m’a demandé ce que j’en pensais. J’ai répondu que je trouvais le fonctionnement complètement fou : on accueillait les gens, en trois semaines, on les rendait dépendants, puis on faisait tout ce qu’on pouvait pour leur permettre de retrouver de l’autonomie. Il m’a dit que sa seule marge de manœuvre concernait le réaménagement de l’espace. Il m’a donné une mission : faire de cet endroit une maison ! Nous avons donc travaillé avec les équipes et avec les résidents. Nous avons aménagé le jardin et le hall d’entrée, puis nous avons créé un lieu de vie où les gens pouvaient faire la cuisine.
Comment l’aménagement a-t-il changé la relation des personnes à l’espace ?
Cette expérimentation a servi de base à ma thèse qui portait sur le réaménagement d’un lieu dans un sens domestique. Nous nous sommes aperçus que le réaménagement changeait la façon dont les gens s’appropriaient l’espace. Pour ma thèse, nous avons réaménagé des halls d’entrée dans trois établissements et comparé avec d’autres établissements où on ne faisait rien. Nous avons constaté une augmentation très très nette de la fréquentation du hall d’entrée, y compris avec les familles, mais aussi beaucoup plus de relations entre les résidents. Grâce à des entretiens semi-directifs, nous avons montré qu’il y avait une vraie modification de la perception du lieu : les gens disaient que c’était beau, qu’ils n’avaient plus l’impression d’entrer dans un mouroir. Changer 25 m2 avait changé l’ensemble du lieu ! Nous avons observé des résidents qui rangeaient, ou qui allaient allumer la lumière quand il y avait un visiteur. Ils avaient plus des réflexes de maison que de maison de retraite, où ils sont plus passifs.
PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-GAËLLE MOULUN