L'infirmière Magazine n° 402 du 01/03/2019

 

FORMATION

PRISE EN CHARGE

YOLAINE DE BRITO  

IDE COORDINATRICE DE TRANSPLANTATION RÉNALE

Yolaine de Brito occupe le poste d’IDE coordinatrice de transplantation rénale au centre hospitalier de Troyes. Elle nous présente son rôle et ses missions.

1. INTRODUCTION

Face à l’augmentation du nombre de patients éligibles à une transplantation, du nombre de patients greffés mais également au taux de survie de plus en plus élevé de ces derniers, des postes d’infirmière de coordination ont été créés dans les CHU dès le début des années 1990, sous l’impulsion des équipes médicales de transplantation. Ceci afin d’optimiser le suivi des patients.

L’infirmière coordinatrice de transplantation rénale devient alors un professionnel de référence dans le parcours de soin du patient. Si cette fonction se développe de plus en plus dans les CHU, elle demeure néanmoins très marginale dans les CH périphériques. Faute de moyens financiers ou d’intérêts démontrés ? L’objectif de cet article est double, partager l’expérience du CH de Troyes (10) et mettre en lumière :

– les missions de l’infirmière coordinatrice de transplantation rénale au sein d’un CH ;

– les avantages de ce type de poste, tant pour les patients en insuffisance rénale chronique (IRC) que pour les néphrologues de l’établissement, ainsi que les équipes de transplantation des CHU référents.

Au CH de Troyes, le poste d’infirmière coordinatrice de transplantation rénale a été créé en octobre 2017. Les objectifs étaient de mieux répondre aux attentes et besoins des patients, d’améliorer l’accessibilité à la greffe rénale des personnes en IRC terminale et éligibles à cette transplantation et de fluidifier le parcours de soin.

2. LES MISSIONS DE L’IDE COORDONNATRICE DE TRANSPLANTATION

L’information pré-transplantation rénale au patient et à son entourage

L’information pré-greffe rénale fait partie du dispositif d’annonce de l’insuffisance rénale avancée et de décision sur le mode de suppléance choisi par le patient, en concertation pluridisciplinaire. Elle s’inscrit dans le parcours de soin du patient, en lien avec un projet de transplantation rénale, et représente la première étape de celui-ci.

L’entretien avec le patient

→ Après l’annonce au patient de l’aggravation de sa fonction rénale et de la nécessité de devoir suppléer prochainement cette fonction, le néphrologue lui propose de rencontrer l’infirmière coordinatrice de transplantation rénale. Le patient qui le souhaite contacte lui-même l’infirmière pour fixer un rendez-vous. Afin de favoriser l’adhésion et la participation active du patient, il nous paraissait important que ce soit le patient lui-même qui entreprenne cette démarche de prise de rendez-vous.

→ Le temps consacré à cette information est variable d’un patient à un autre (d’une heure trente à deux heures en moyenne). Il dépend des attentes de chacun, de leurs connaissances et besoins. Cet entretien infirmier est souvent l’occasion de pouvoir reformuler et clarifier ce que le patient a compris sur son état de santé. Il est fondamental. Il permet au patient et à son entourage de verbaliser leurs préoccupations, d’exprimer leurs émotions, leurs craintes, leurs angoisses, ainsi que leurs attentes et espoirs.

→ L’infirmière propose au patient d’être accompagné, s’il le souhaite, de la personne de confiance qu’il a choisie ou d’un membre de sa famille. L’implication du proche dans le parcours de soin peut être un réconfort pour le patient, une ressource pour se remémorer les différentes informations apportées lors de ce rendez-vous, ainsi qu’une aide en cas de barrière linguistique.

→ Pour mener à bien cette information, l’IDE dispose d’une fiche de liaison remplie par le néphrologue référent du patient. Elle présente la néphropathie du patient, ses antécédents médicaux, la notion d’orientation vers un donneur anonyme ou donneur vivant, si le patient dispose déjà d’informations sur la transplantation rénale, s’il connaît une personne transplantée dans son entourage et, enfin, la possibilité pour le patient de bénéficier d’une greffe combinée dans le cas de certaines pathologies.

→ L’ensemble du parcours de soin lié à la transplantation rénale est abordé durant le temps de l’information pré-transplantation rénale :

– la fonction rénale et l’insuffisance rénale ;

– la transplantation rénale : la technique chirurgicale, l’organisation du bilan pré-greffe, l’inscription sur la liste d’attente de l’Agence de la biomédecine, le donneur anonyme, le donneur vivant ;

– le délai d’attente ;

– l’appel en greffe ;

– le jour de l’intervention ;

– le test d’histocompatibilité et le système immunitaire ;

– les complications liées à la transplantation (rejet aigu cellulaire et humoral, rejet chronique) ;

– le traitement immunosuppresseur (l’importance du traitement et les effets secondaires associés à ce traitement) ;

– le suivi post-greffe ;

– les règles hygiéno-diététiques liées au traitement immunosuppresseur et au bon fonctionnement du greffon ;

– les signes d’alerte qui doivent amener à consulter immédiatement un médecin.

Compte-rendu

Après ce temps d’échange, l’infirmière rédige un compte rendu à l’attention du néphrologue référent qui retrace :

– la connaissance de la personne (comprenant : la présentation du patient, ses conditions de vie et de travail, son autonomie et enfin, son environnement et soutien social) ;

– ses représentations autour de sa pathologie chronique et de la transplantation rénale ;

– les projets motivants pour le patient ;

– le diagnostic éducatif.

Après avoir pris connaissance de ce compte-rendu, le néphrologue référent décide, en fonction des antécédents médicaux et de l’absence de contre-indication absolue à la transplantation rénale, d’initier ou non le bilan pré-greffe rénal du patient, en collaboration avec l’infirmière coordinatrice. L’organisation de ce bilan représente la deuxième étape du parcours de soin.

Organiser le bilan pré-greffe en lien avec le néphrologue référent

Les examens nécessaires en vue de la transplantation étant nombreux et coûteux, surtout lors de situations complexes, l’avis de l’équipe de transplantation sur la faisabilité de ce projet peut être demandé avant de décider de les réaliser.

→ Ce bilan, très complet, répond aux recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé(1). Il comporte des examens biologiques, d’imagerie médicale (lire p. 39) et des consultations auprès de spécialistes (cardiologue, dermatologue, gynécologue, dentiste…). Il permet d’obtenir une connaissance approfondie de l’état de santé du patient. L’ensemble des données permettront, par la suite, à l’équipe du centre de transplantation de statuer sur l’état du patient et de déterminer si celui-ci est éligible ou non à une transplantation rénale.

→ Le rôle de l’IDE coordinatrice dans l’organisation et le suivi du bilan pré-greffe est primordial, car il permet de coordonner l’intervention de tous les acteurs.

• Après l’obtention des bons de demande d’examens remplis par le néphrologue ainsi que les prescriptions médicales pour le bilan biologique, l’infirmière propose un rendez-vous au patient pour organiser avec lui les rendez-vous nécessaires. Afin de permettre au patient d’être acteur dans l’organisation de ce bilan pré-greffe, il lui est demandé de s’occuper de certains examens en externe. L’infirmière coordinatrice reste également disponible afin de pouvoir aider et conseiller le patient si celui-ci rencontre des difficultés ou des questionnements durant son parcours.

• Après la planification des rendez-vous, l’infirmière coordinatrice transmet les ordonnances, les bons et les courriers aux différents services et spécialistes concernés. Pour les patients hémodialysés, elle organise les rendez-vous du bilan pré-greffe, en partenariat avec le patient et les infirmières du service d’hémodialyse, en fonction de son planning de séances de dialyse. L’infirmière coordinatrice sera chargée dans un second temps de récupérer les résultats et les comptes rendus et de les communiquer au néphrologue référent qui pourra demander des examens complémentaires.

Assurer le suivi du bilan pré-greffe

L’IDE coordinatrice réalise le suivi du bilan pré-greffe, en collaboration avec l’équipe médicale du CH de Troyes et l’équipe médicale et paramédicale du CH transplanteur. Lorsque le bilan complet est réalisé, l’infirmière coordinatrice, à la demande du néphrologue référent, prend contact avec les IDE coordinatrices de transplantation rénale du CH transplanteur et leur transmet tous les résultats. Celles-ci planifient une consultation auprès des néphrologues transplanteurs, urologues et médecins anesthésistes, afin de finaliser l’inscription du patient sur la liste nationale d’attente de transplantation rénale.

→ Le patient peut alors être inscrit sur la liste d’attente sous le statut « sans contre-indication » ou en « contre-indication temporaire » en cas de nécessité de compléter de nouveau le bilan de pré-transplantation. Cette contre-indication sera levée par les néphrologues transplanteurs lorsque tous les examens auront été réalisés.

→ Le délai d’attente pour bénéficier d’une transplantation rénale varie de plusieurs mois à plusieurs années. Il est donc nécessaire que le bilan de pré-transplantation rénale soit fréquemment réactualisé. Il incombe donc à l’IDE coordinatrice d’assurer, à la fréquence définie par le néphrologue, la réactualisation du bilan pré-transplantation rénale du patient, en partenariat avec le néphrologue référent et les IDE coordinatrices du CH transplanteur. Elle communique ensuite les comptes rendus de ces consultations ainsi que les résultats des examens (scanner, doppler) aux IDE coordinatrices du centre de transplantation afin de compléter le dossier du patient.

Participer au suivi médical par téléconsultation des patients greffés

Notre département souffrant d’un déficit en néphrologues, les patients transplantés ont dû être suivis par les néphrologues du CHU de Reims (distant de 120 km environ). Soucieux d’optimiser le suivi des patients transplantés rénaux du département de l’Aube, le CHU de Reims et le CH de Troyes ont engagé une réflexion pour simplifier le circuit du patient. C’est dans ce contexte que le projet de suivi des patients transplantés par téléconsultation a vu le jour. La première a eu lieu en mars 2018 au CH de Troyes. Les missions de l’infirmière sont d’accueillir le patient, de réaliser une pré-consultation et d’assister, dans un second temps, le néphrologue lors de la télé-consultation.

→ Au cours de la pré-consultation, l’infirmière :

– s’assure de l’identité du patient selon les règles d’identitovigilance ;

– fait signer le formulaire de consentement du patient ; - recherche à l’interrogatoire s’il y a eu des événements intercurrents depuis la dernière consultation ;

– s’assure de la dose de traitement prise chaque jour et de l’observance du traitement ;

– prend les constantes de chaque patient : pouls, pression artérielle couchée après cinq minutes de repos, puis debout, poids ;

– réalise une bandelette urinaire et recherche tous signes fonctionnels à la miction si la bandelette urinaire est positive ;

– recherche la présence d’œdème des membres inférieurs, turgescence des jugulaires et de lésions cutanées ;

– réalise un ECG et le transmet par mail aux néphrologues, si le patient présente une arythmie ;

– prévient le médecin néphrologue dès le début de la téléconsultation, si le patient présente des symptômes inhabituels (hyperthermie, dyspnée, douleur thoracique). Ils envisagent ensemble la conduite à tenir pour le patient.

La pré-consultation infirmière représente un temps d’échange important avec les patients et permet de les rassurer car ils sont parfois inquiets par cette nouvelle façon de consulter.

→ Au cours de la téléconsultation, l’infirmière assiste le néphrologue pour permettre l’auscultation pulmonaire et cardiaque du patient, grâce à l’utilisation d’un stéthoscope connecté, et peut être amenée à reformuler les propos du médecin en cas d’incompréhension par le patient. Pour le néphrologue, la présence de l’infirmière lui apporte une meilleure surveillance du patient et un gain de temps. Cependant, la consultation médicale à distance, à partir des observations cliniques, de l’analyse et des ressentis de l’infirmière, nécessite une confiance importante envers cette dernière, d’autant qu’elle assiste également le néphrologue lors des gestes techniques réservés à ce jour au médecin uniquement. Pour l’infirmière, participer au suivi des patients par téléconsultation lui permet de développer, de manière significative, certains aspects du rôle propre infirmier, notamment en matière de prévention et d’éducation à la santé. Elle valorise les pratiques professionnelles et permet une évolution du rôle infirmier.

→ La téléconsultation sur le modèle mis en place dans notre établissement améliore le suivi des patients transplantés rénaux. Grâce à cette démarche, nous avons donc pu améliorer le bien-être des patients transplantés du bassin aubois, en diminuant la distance entre le lieu de la consultation et leur domicile et en favorisant la participation des proches.

3. LES AVANTAGES

→ Pour les patients : la présence d’une infirmière dédiée uniquement au parcours de soin lié à la transplantation rénale représente un réel atout. Elle devient une personne référente pour le patient qui l’accompagnera du début de ce parcours de soin jusqu’au suivi post-transplantation. Les patients se sentent rassurés par la présence d’un interlocuteur de proximité, qui facilite selon eux les démarches inhérentes à leur parcours de soin, y compris les démarches administratives, notamment pour les patients n’ayant pas une bonne maîtrise de la langue ou présentant des difficultés dans leur vie professionnelle, familiale, sociale et personnelle, qui peuvent être responsables de rupture de suivi dans le parcours de soin. Enfin, la création de cette fonction dans un CH a permis d’offrir une meilleure accessibilité à la transplantation rénale, de développer la transplantation chez les patients préemptifs, ainsi que la greffe issue d’un donneur vivant. Elle permet une coordination efficiente dans le parcours complexe des patients insuffisants rénaux chroniques.

→ Pour les néphrologues, les avantages sont l’intérêt de pouvoir dispenser au patient une information pré-transplantation rénale dans un temps clairement dédié, une certaine efficience dans l’organisation du bilan pré-transplantation réduisant les délais d’inscription et permettant un gain de temps médical.

→ Pour les coordinatrices et équipes médicales des centres de transplantation, l’infirmière de coordination du CH représente un interlocuteur privilégié, clairement identifié, qui va coordonner l’ensemble des dossiers pré-transplantation des patients et faciliter les démarches et la communication entre l’établissement local qui suit régulièrement le patient et l’établissement transplanteur. Elle favorise une meilleure connaissance des patients du département et de l’avancée de leur bilan pré-greffe. Les IDE du CHU évoquent également un gain de temps pour elles, car les patients sont orientés vers les centres référents, avec des dossiers complets.

1- Haute Autorité de santé (HAS), « Transplantation rénale : accès à la liste d’attente nationale. Du repérage à l’inscription : critères d’orientation et indications », octobre 2015.

PROFIL DE POSTE

Des compétences renforcées

→ Les pré-requis souhaités pour occuper ce poste étaient d’avoir, outre une expertise en hémodialyse, une bonne connaissance du dossier médical informatisé et de tous les outils informatiques qui s’y rattachent. Ayant une expérience de huit années au sein du service d’hémodialyse du CH de Troyes, ce poste m’a donc été proposé.

→ Deux stages auprès des équipes coordinatrices de transplantation rénale du CHU de Reims et du CHU de Nantes m’ont permis de développer mes connaissances sur le parcours de soin et d’identifier le rôle et les missions de l’infirmière coordinatrice de transplantation rénale au sein des CHU.

→ L’étape suivante a été l’obtention en juin 2018 du diplôme universitaire de transplantation d’organe « Coordination, accompagnement, éducation thérapeutique, nouveaux enjeux » afin de parfaire mes connaissances. Il aborde le rôle et le fonctionnement de l’Agence de la biomédecine, le prélèvement d’organes (le rôle de l’infirmière coordinatrice de prélèvement d’organes, l’état de mort encéphalique, le protocole Maastricht 3, l’abord des proches…), et l’organisation autour du don d’organe issu de donneur vivant. La fonction et le rôle de l’infirmière coordinatrice de transplantation, le traitement immunosuppresseur et sa surveillance sont aussi au programme, ainsi que l’aspect psychologique autour du parcours de soin lié à la transplantation.

PERSPECTIVES D’ÉVOLUTION

De la coordination à la pratique avancée

Les missions d’infirmière coordinatrice de transplantation rénale qui m’ont été confiées m’apportent aujourd’hui des compétences nouvelles et un savoir-faire élargi. Elles ont nourri ma réflexion sur l’évolution que je souhaite donner à ma fonction d’infirmière experte. Il m’apparait comme une évidence d’orienter mon projet professionnel vers le diplôme d’infirmier en pratique avancée. Or, le décret 2018-629 du 18 juillet 2018 relatif à l’exercice d’infirmier en pratique avancée qui statue sur les domaines d’intervention ouverts à l’exercice infirmier en pratique avancée (art. R. 4301-2) englobe maladie rénale chronique, dialyse et transplantation rénale. Une preuve de l’intérêt de la présence de ces infirmières expertes pour optimiser la coordination du parcours de soins du patient en insuffisance rénale chronique. Cette nouvelle fonction m’amène aujourd’hui à me poser les questions suivantes :

– Comment la présence d’une infirmière en pratique avancée pourrait optimiser le suivi des patients en insuffisance rénale dans le parcours de soin spécifique à la transplantation rénale ?

– Quelles seraient les possibilités d’évolution de cette nouvelle fonction ?

– Quel rôle l’infirmière de pratique avancée pourrait-elle jouer dans la coordination du réseau « ville-hôpital » ?