La transplantation rénale, un traitement qui va croissant - L'Infirmière Magazine n° 402 du 01/03/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 402 du 01/03/2019

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

DR SOFIANE ZID  

CENTRE HOSPITALIER DE TROYES (10)

La greffe de rein est un traitement de choix de l’IRC en stade terminal. Sa mise en œuvre suppose, côté donneur comme receveur, de réaliser un certain nombre d’examens médicaux, mais elle est aujourd’hui de plus en plus largement proposée.

1. LA DÉCISION DE TRANSPLANTATION RÉNALE

Dans le domaine de la transplantation rénale, la démographie des donneurs et des receveurs a considérablement évolué ces dernières années. Elle a fait l’objet de profondes mutations. D’une part, l’amélioration des techniques et des résultats a permis de retenir l’indication de greffe rénale pour des patients qui auraient été récusés, il y a quelques années, en raison de leur âge ou de leurs pathologies associées. D’autre part, pour pallier la pénurie de greffons, les critères de prélèvement ont été élargis à des donneurs plus âgés ou présentant des antécédents cardiovasculaires qui auraient été, auparavant, considérés comme des contre-indications au prélèvement.

Indications thérapeutiques

→ Les patients potentiellement concernés par la greffe rénale sont les insuffisants rénaux irréversibles, c’est-à-dire :

- soit à un stade 4 pour lesquels les professionnels de santé anticipent un besoin de suppléance dans les douze à dix-huit prochains mois ;

- soit à un stade 5 : DFG < 15 ml/min/1,73 m2, dialysés ou non.

L’âge des patients nouvellement inscrits sur la liste nationale d’attente pour une greffe rénale a évolué de façon marquante ces dernières années. Il est devenu extrêmement difficile de définir la limite pour la transplantation rénale. L’indication de la transplantation rénale repose plus sur l’état physiologique du patient et sur le bénéfice potentiel de la greffe que sur l’âge légal.

→ Dans les cas où l’espérance de vie est limitée, il est justifié de ne pas débuter les démarches de la greffe rénale et de ne pas orienter les patients vers une équipe de transplantation. Les comorbidités entraînent un risque anesthésique trop élevé ou le bénéfice de la transplantation en termes d’espérance et de qualité de vie n’est pas attendu.

Cette non-orientation est recommandée en cas de refus du patient, cancer ou hémopathie maligne non en rémission, présence de comorbidités cardiovasculaires (FEVG < 35 %) ou respiratoires sévères, troubles psychiatriques aigus non stabilisés, dépendance à l’alcool ou addiction aux drogues, démence évoluée ou une obésité morbide avec IMC > 50 kg/m2.

Avantages et inconvénients de la greffe

L’épuration extrarénale, quelle que soit la technique utilisée, entraîne des contraintes lourdes et parfois pénibles pour les patients dialysés. Une transplantation fonctionnelle est donc depuis toujours perçue comme une amélioration de la qualité de vie. De plus, plusieurs études ont montré que l’espérance de vie s’est nettement améliorée chez les patients greffés par rapport aux patients dialysés en attente d’une greffe rénale. D’un point de vue socio-économique, la transplantation rénale permet d’épargner et d’amortir le coût de la prise en charge.

Malgré les nombreux progrès thérapeutiques de ces dernières années, le rejet du greffon sous ses formes aiguë, subaiguë et chronique reste une source principale de complications. De plus, les traitements immunosuppresseurs, utilisés pour estomper ce dernier, présentent certains effets indésirables. En effet, ils sont à l’origine des infections virales (CMV, EBV), bactériennes et parasitaires. Les cancers représentent une complication tardive post-transplantation non négligeable : 7 % des patients transplantés sont identifiés comme ayant eu au moins un cancer d’organe solide. Les cancers cutanés (carcinomes spinocellulaires) et les lymphomes post-transplantation sont relativement fréquents, plus agressifs et avec un taux de récidive plus élevé que dans la population générale.

Bilan pré-transplantation

Avant d’être transplanté, chaque patient doit subir un certain nombre d’examens, ils varient en fonction de l’âge et des comorbidités associées.

→ Un recueil détaillé des antécédents personnels et familiaux, médicaux, chirurgicaux, obstétricaux, allergiques, transfusionnels, thrombo-emboliques et hémorragiques, doit être effectué ainsi qu’un historique des accès vasculaires et de portage de bactéries multirésistantes si connues.

→ Un examen physique complet : pouls périphériques, pression artérielle, phénotype et examen cutané, poids, taille, IMC.

→ Un bilan biologique :

- groupe sanguin ABO, rhésus, agglutinines irrégulières, NFS plaquettes, TP-INR, TCA, fibrinogène ;

- typage HLA et anticorps anti-HLA ;

- sérologies : VIH, VHB, VHC. Et après décision d’inscription : CMV, EBV, toxoplasmose, VZV, ainsi que syphilis, HTLV1 ;

- calcium, phosphates, parathormone ;

- ASAT, ALAT, bilirubine totale, PAL, gamma GT, glycémie à jeun.

→ Situation vaccinale et mise à jour des vaccinations selon les recommandations en vigueur avant transplantation rénale.

→ Les examens cardiovasculaires sont particulièrement approfondis chez les sujets âgés de plus de 50 ans, diabétiques ou athéromateux. Une scintigraphie myocardique d’effort, une échographie de stress voire une coronarographie peuvent être indiquées pour dépister et, si besoin, traiter une coronaropathie.

→ Un bilan d’imagerie fait d’un scanner abdominal sans injection pour rechercher la présence de calcifications de l’aorte et des artères iliaques, ou d’éventuelles variantes anatomiques. Un écho-doppler des axes artériels complète éventuellement l’exploration des axes vasculaires.

Annonce au patient

Elle doit s’efforcer d’être la plus objective possible quant aux différentes possibilités de la transplantation (rein de donneur décédé, donneur vivant apparenté ou non), à leurs avantages (qualité de vie, liberté de se déplacer, de planifier une grossesse, prolongation de la survie) mais sans en occulter les risques généraux (échec possible, complications des traitements immunosuppresseurs à court et long termes) ainsi que les risques plus spécifiques (risque de récidive de la néphropathie initiale, mortalité et morbidité cardiovasculaires chez les patients les plus âgés).

Le patient sera également averti qu’il pourra être sollicité pour participer à un protocole thérapeutique au moment de la transplantation. Les modalités d’attribution des organes seront expliquées, de même que la durée prévisible de l’attente.

Inscription sur la liste nationale

Le processus d’inscription sur la liste nationale de greffe rénale passe par plusieurs étapes. La première consiste en une inscription sur la liste unique nationale de greffe rénale par une équipe médico-chirurgicale de transplantation autorisée, par voie électronique. Puis une confirmation administrative par la direction de l’établissement de santé après avoir vérifié l’identité du patient et les conditions de prise en charge financière de l’opération. Enfin, la confirmation au patient de son inscription sur la liste par le pôle national de répartition des greffons de l’Agence de la biomédecine, après examen du dossier administratif. Cette confirmation place le patient en position d’attente de greffon, sauf si l’inscription a été faite d’emblée en contre-indication temporaire. L’Agence de la biomédecine informe le patient de son inscription effective sur la liste nationale d’attente.

Différents types de don d’organe

La transplantation rénale fait intervenir en premier lieu des donneurs, qui peuvent être vivants (lire ci-après) ou décédés (par arrêt cardiaque ou en état de mort encéphalique). Les transplants obtenus sont ensuite conditionnés et répartis selon des règles définies par l’Agence de la biomédecine à des receveurs.

Précisons que la mort encéphalique est définie comme la destruction irréversible de l’ensemble des fonctions cérébrales chez un sujet à cœur battant. Les organes restent fonctionnels à la condition que la réanimation soit adaptée. Le diagnostic clinique de mort encéphalique doit être confirmé par des examens complémentaires, exigés par la loi, qui peuvent être soit deux électro-encéphalogrammes (EEG) nuls et non réactifs pendant trente minutes et effectués à quatre heures d’intervalle, soit une angiographie cérébrale objectivant l’arrêt de perfusion des quatre axes.

2. LE CAS DU DONNEUR VIVANT

En France, la greffe de donneur vivant est encadrée par la loi de bioéthique du 6 août 2004 qui définit le cercle des donneurs. Il doit être informé par le comité d’experts des risques encourus et doit exprimer son consentement devant le président du tribunal de grande instance.

→ Les conditions de l’autorisation de ces dons sont strictement définies : leur finalité ne peut être que thérapeutique, ils sont gratuits mais nécessairement dirigés vers une personne identifiée, ayant des liens étroits avec le futur receveur, dans le cadre d’un cercle bien défini. La liste est exhaustive : père, mère, conjoint, frère, sœur, fils, fille, grands-parents, oncles, tantes, cousins germains, conjoint du père ou de la mère et toute personne pouvant faire la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans avec le receveur.

→ L’avantage pour les receveurs est actuellement bien établi, la durée de demi-vie d’un transplant à partir d’un don vivant est bien supérieure à celle d’un transplant à partir d’un donneur cadavérique.

Étapes du don d’organes

→ Évaluation des candidats : elle doit s’assurer que le donneur potentiel n’encourt pas un risque opératoire excessif, qu’il n’a pas de pathologie transmissible notamment infectieuse ou cancéreuse, qu’il est indemne de toute pathologie rénale et qu’il a une fonction rénale suffisante.

→ Les différentes explorations nécessaires ont fait l’objet d’une conférence de consensus appelée « Forum d’Amsterdam » :

- le donneur doit avoir un groupe sanguin compatible avec celui du receveur ;

- la recherche de pathologies potentiellement transmissibles qui contre-indiquent le don d’organe. L’interrogatoire d’un candidat doit attentivement rechercher les antécédents de séjour dans des zones d’endémie de pathologies parasitaires ;

- la recherche des maladies néoplasiques : un antécédent de pathologie néoplasique est considéré comme une contre-indication au don, sauf pour les tumeurs cutanées non mélaniques et les néoplasmes in situ du col de l’utérus ;

- fonction rénale : tout candidat au don d’un rein doit bénéficier d’une évaluation fiable de sa fonction rénale. Un DFG < 80 ml/min contre-indique le don ;

- biologie urinaire : une protéinurie > 300 mg/24 h est une contre-indication au prélèvement. Cependant, un antécédent de lithiase n’est pas considéré comme une contre-indication absolue au don si le donneur n’a eu qu’un épisode de lithiase urinaire et si les investigations permettent d’exclure une hypercalcémie, une infection urinaire associée et des lithiases multiples ;

- diabète : il y a un risque de développement d’une atteinte rénale chez les patients diabétiques, la néphrectomie pouvant accélérer la progression de la néphropathie diabétique. Il est recommandé de ne pas prélever les candidats ayant un diabète ou une glycémie à jeun ≥ 7,0 mmol/l au moins à deux reprises ;

- HTA : l’hypertension artérielle sévère, non contrôlée, est considérée comme une contre-indication au don.

→ Enfin, un registre de suivi est mis en place par l’Agence de la biomédecine qui recueille les informations des équipes. Une consultation de suivi doit être programmée trois mois après le prélèvement puis tous les ans. Des examens biologiques créatininémie et protéinurie doivent être réalisés pour chaque consultation.

Risques pour les donneurs vivants

La néphrectomie chez le donneur vivant représente un défi important, puisqu’il s’agit d’effectuer une intervention majeure sur un individu qui n’est pas malade.

→ Selon le mode de prélèvement, la convalescence est relativement longue avec des durées de séjour de plus de cinq jours en cas de néphrectomie à ciel ouvert, alors que ce délai est réduit si la néphrectomie est faite par cœlioscopie.

→ La mortalité per, péri et post-opératoire de la néphrectomie pour un don de rein est très faible, mais non nulle (de l’ordre de 0,02 %). La cause principale est l’embolie pulmonaire nécessitant l’utilisation d’une stratégie de prophylaxie de la thrombose veineuse.

→ Les complications les plus fréquentes en cas de prélèvement rénal coelioscopique sont les complications mécaniques, typiquement la lacération capsulaire splénique ou la plaie digestive et également les dysfonctionnements de l’agrafeuse mécanique ou des problèmes d’extraction du rein.

Après prélèvement chirurgical, les complications les plus fréquentes sont des complications pulmonaires, incluant l’atélectasie, le pneumothorax, l’œdème pulmonaire, l’hypoxie, la thrombophlébite.

→ Enfin, les donneurs vivants sont, à distance de leur don (en moyenne trois ans), en excellente santé physique comparativement aux sujets de même âge et de même sexe.

Aspect psychique

Les aspects psychologiques sont complexes à appréhender, certains travaux publiés récemment suggèrent que le don d’un rein, loin de compromettre l’équilibre psychologique du donneur, peut au contraire constituer une expérience très positive pour lui, renforçant notamment l’estime de soi ou contribuant à améliorer sa qualité de vie.

3. CONCLUSION

La transplantation rénale représente le traitement de choix de l’insuffisance rénale chronique en stade terminal. Elle peut être proposée à un nombre croissant de patients. Afin d’éviter une pénurie en cas d’inadéquation de la demande et des organes disponibles, l’optimisation de la prise en charge des greffons cadavériques et la promotion des transplantations à partir de donneurs vivants, qui donnent des meilleurs résultats, semble nécessaire.

REPÈRES

Cadre juridique et éthique

→ La complexité des enjeux de la greffe d’organes a conduit à la mise en place, dans tous les pays pratiquant la transplantation d’organes à grande échelle, d’un cadre juridique très développé. Il permet, d’une part, aux médecins, la transgression de l’interdit constitué par l’atteinte délibérée à l’intégrité corporelle que constitue le prélèvement d’organes, que ce soit sur une personne vivante, saine et consentante, ou sur le corps d’une personne décédée. D’autre part, il définit les règles de la répartition de ces organes prélevés, élaborées dans le respect des principes d’équité et d’éthique médicale. Certains patients sont prioritaires : les enfants, les receveurs dont la vie est menacée à très court terme et ceux pour lesquels la probabilité d’obtenir un greffon est très faible.

→ La néphrectomie en vue d’un don est donc admise dans la majorité des pays qui pratiquent la transplantation comme un acte chirurgical acceptable, pour des sujets informés, conscients des risques, mais désireux de donner.

SIGLES

→ DFG : débit de filtration glomérulaire.

→ FEVG : fraction d’éjection du ventricule gauche.

→ IMC : indice de masse corporelle.

→ HTA : hypertension artérielle.

→ HLA : antigènes des leucocytes humains.

→ TP-INR : taux de prothrombine-international normalized ratio.

→ TCA : temps de céphaline activée.

→ CMV : infection au cyto-mégalovirus.

→ EBV : virus d’Epstein-Barr.

→ VZV : virus varicelle-zona.

→ HTLV1 : human T-cell lymphotropic virus de type 1.

→ ASAT : aspartate aminotransférase.

→ ALAT : alanine aminotransférase.

→ PAL : phosphatases alcalines.