DOSSIER
PHARMACIE CLINIQUE
Le développement des initiatives en pharmacie clinique est encore très inégal mais les expériences des établissements pionniers apparaissent prometteuses et séduisent également les IDE.
C’est l’un des établissements de santé précurseurs en matière de pharmacie clinique. Au CHU de Grenoble (38), la pharmacie clinique a été développée dès les années 1990 par le Pr Jean Calop, selon qui « la pharmacie clinique devait s’exercer à proximité du lit du malade et des autres professionnels de soins », explique aujourd’hui son successeur, Pierrick Bedouch, PU-PH, chef du pôle pharmacie et pharmacien, gérant de la PUI et président de l’Association nationale des enseignants de pharmacie clinique (ANEPC). Dès 1993, des internes de pharmacie ont été déployés dans les unités de soins du CHU. Aujourd’hui, ils couvrent un tiers de l’établissement. « Nous avons commencé en gériatrie et nous sommes maintenant présents dans une trentaine d’unités de soins, surtout en médecine aiguë, décrit Pierrick Bedouch. L’interne de pharmacie est intégré à l’équipe des internes en médecine, partage le même bureau qu’eux, participe aux visites médicales, aux transmissions infirmières, réalise l’analyse pharmaceutique de toutes les prescriptions des patients hospitalisés. Le pharmacien a également une activité de conseil et peut répondre immédiatement aux questions des IDE relatives aux injections et aux administrations. Il les aide aussi à mieux faire les signalements de pharmacovigilance et participe avec les autres aux actions pluri-professionnelles d’éducation thérapeutique du patient. »
Emmanuelle Odin, IDE en pneumologie au CHU, a toujours connu les pharmaciens cliniciens dans sa pratique. « C’est pour nous une grande facilité de les avoir dans le service, témoigne-t-elle. Quand nous avons une question, par exemple sur la dispersibilité dans la préparation d’un traitement, ils peuvent répondre directement. Ils participent également à l’éducation thérapeutique du patient sur les traitements au moment de la sortie d’hospitalisation. C’est un vrai plus car deux intervenants valent toujours mieux qu’un. »
Le CHU de Grenoble a en outre été un des premiers à mettre en place des expérimentations de conciliation médicamenteuse, une action visant à prévenir et intercepter les erreurs médicamenteuses - par exemple éviter les interruptions de traitement ou les modifications erronées de dosage lors de périodes de transition. « Les infirmières sont déjà dans cette démarche, mais l’idée est de structurer la façon dont on fait le point sur les médicaments des patients qui entrent à l’hôpital », indique le Pr Bedouch. Et lors de la sortie. Ainsi, le CHU a été sélectionné dans un appel à projets du ministère pour développer la pharmacie clinique dans le domaine de la transplantation rénale, pour lequel il est en train de recruter un pharmacien et une IDE, qui travailleront de concert pour mettre en place un modèle de prise en charge médicamenteuse.
À l’autre bout de la France, en Haute-Garonne, Pierre Mignonat, pharmacien hospitalier assistant, a participé à une expérimentation de conciliation médicamenteuse financée par l’ARS dans les CH de Saint-Gaudens et de Luchon, entre 2016 et 2017. « L’objectif était de sécuriser l’ordonnance du patient aux deux points sensibles : l’entrée et la sortie d’hospitalisation, décrit-il. À l’entrée, il s’agit de recouper plusieurs sources pour établir un bilan médicamenteux optimisé (BMO) : les ordonnances ou les traitements apportés par le patient, l’interrogatoire du patient sur ses traitements et une éventuelle automédication, le compte-rendu infirmier réalisé à l’entrée, le dossier pharmaceutique en officine. On compare ensuite ce BMO avec l’ordonnance médicale d’admission pour vérifier qu’il n’y ait pas d’erreur ou de divergence non intentionnelle et on prévient le médecin le cas échéant. » La conciliation de sortie consiste en un compte-rendu médicamenteux de ce qui s’est passé au sein de l’établissement et des modifications éventuelles de traitement, transmis au médecin traitant, au pharmacien de ville habituelle voire à l’infirmière libérale. Selon Pierre Mignonat, cette expérience a marqué un « avant et un après. Le fait de passer tous les jours dans les services permet de mieux communiquer avec la pharmacie et de mieux travailler ensemble au quotidien », ajoute-t-il.
Le CH de Denain (59) a, quant à lui, également testé la conciliation médicamenteuse dans le cadre des expérimentations des parcours des personnes âgées en risque de perte d’autonomie (Paerpa) à partir de 2015. La démarche a été dès le départ pluriprofessionnelle, grâce à son équipe mobile de gériatrie composée d’un médecin, d’une pharmacienne et d’un IDE. « Nous repérons les patients âgés de plus de 75 ans dans les services de médecine, de gériatrie et aux urgences, et nous allons les voir, développe le Dr Regis Hanot. L’infirmier réalise une évaluation gériatrique et on présente au patient l’expérimentation. On lui fait signer un consentement s’il est d’accord. »
Remy Lewandowki est l’IDE coordinateur de cette équipe mobile. « Il s’agit d’une évaluation gériatrique standardisée qui a été mise au point pour cette expérimentation, explique-t-il. Elle dure de vingt minutes à une heure selon les patients. Je leur pose des questions sur leurs traitements bien sûr, mais aussi sur leurs habitudes de vie, leurs aidants au domicile, leur alimentation et j’en fais une synthèse. » La pharmacienne réalise ensuite la conciliation médicamenteuse proprement dite. « D’un point de vue de pharmacien, je trouvais intéressant de pouvoir me rendre dans les services et d’aller au plus près des patients », raconte Marine Egot, la pharmacienne de l’équipe.
La démarche est la même au CH de Cannes où une conciliation médicamenteuse d’entrée a été mise en place début 2018 dans les services de chirurgie orthopédique, là aussi en ligne directe avec les équipes infirmières. « Nous travaillons ensemble pour rechercher toutes les sources d’informations sur les traitements des patients, raconte Cyril Boronad, pharmacien au CH. Nous avons choisi la chirurgie car il y a beaucoup d’intervenants et les problèmes médicamenteux n’y sont pas forcément la priorité. »
En sortie d’hospitalisation, la coopération avec l’IDE est également indispensable puisque le pharmacien réalise un entretien avec le patient entre douze et quatorze heures avant que le patient ne quitte l’établissement. « Nous lui expliquons les traitements qui ont été initiés, poursuivis ou modifiés à l’hôpital, indique Cyril Boronad. Nous lui remettons également un plan de prise personnalisé de l’ensemble de ses traitements comprenant des explications sur leurs objectifs, traduits dans un langage simple, avec des termes comme “fluidifier le sang” ou “protéger l’estomac”. » En effet, depuis plusieurs années, le fil conducteur des interventions de cette pharmacie hospitalière est l’information du patient sur le médicament. Ainsi, par exemple, dans les programmes d’ETP pour les patients insuffisants rénaux, diabétiques ou souffrant de maladies rhumatismales inflammatoires, le pharmacien peut intervenir en binôme avec l’IDE sur le médicament.
Recueil des informations sur les médicaments du patient
Rédaction de la prescription hospitalière
Élaboration du bilan médicamenteux
Comparaison du bilan avec l’ordonnance en cours
Identification des divergences
Correction des erreurs médicamenteuses interceptées
Rédaction d’une nouvelle ordonnance
En octobre dernier, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère de la Santé a retenu dix établissements, essentiellement des CHU, dans le cadre de son second appel à projets pour développer la pharmacie clinique. Un appel à projets doté au total de 2,5 millions d’euros.
→ Il s’agit par exemple d’un projet du CHU de Strasbourg (67), intitulé Iatro’Med, pour « initiative d’accompagnement à domicile du traitement optimisé médicamenteux après hospitalisation », d’un autre du CHU de Besançon (25) pour sécuriser la prise en charge et le parcours des patients pédiatriques ou encore du CH Camille-Claudel, à La Couronne (16) pour déployer une démarche de pharmacie clinique au sein de la filière d’addictologie. Un premier appel à projets de ce type, lancé en 2016, avait permis, selon la DGOS, de montrer une « amélioration du circuit du médicament dans les établissements de santé grâce à une meilleure information des professionnels des services cliniques par les équipes pharmaceutiques » et une « optimisation des prescriptions médicales, notamment grâce au déploiement de la conciliation médicamenteuse ».
→ En 2015, les résultats d’une expérimentation sur la conciliation médicamenteuse dans neuf établissements (1), présentés par la Haute Autorité de santé (HAS), ont fait apparaître en moyenne une erreur médicamenteuse et un changement de traitement non expliqué par patient (2). Parmi les sept natures d’erreurs médicamenteuses répertoriées (3), les deux principales erreurs évitées sont l’omission d’un médicament, suivie des erreurs de dose.
1 - HAS, « Conciliation des traitements médicamenteux - Prévenir les erreurs », février 2018. À lire sur : bit.ly/2Sb9L1m
2 - Pas moins de 21 320 erreurs interceptées sur 22 863 patients de plus de 65 ans hospitalisés après passage aux urgences.
3 - Erreurs : de patient, par omission, de médicament, de dose, de modalité d’administration, de durée d’administration.