L'infirmière Magazine n° 402 du 01/03/2019

 

FORMATION REVUE DE LA LITTÉRATURE

Mylène Bonnaire*   Hélène Magnier**  


* infirmière, CHU de Rouen mybonnaire@yahoo.fr
**Infirmière, coordonnatrice paramédicale de la recherche, CHU de Rouen helene.magnier@chu-rouen.fr

L’arthroplastie totale de hanche est aujourd’hui l’une des interventions chirurgicales les plus fréquentes en France. Il s’en pratique 150 000 par an et le nombre devrait s’accroître compte tenu du vieillissement de la population. La maîtrise de cette intervention et des soins post-opératoires sont des facteurs favorisant le maintien de l’autonomie des patients. D’une technique artisanale(1) datant de la fin du XIXe siècle (cotyle et tête en ivoire fixés par un ciment en colophane, pierre ponce et plâtre), des améliorations considérables ont été réalisées ces dernières années permettant au chirurgien d’approcher au plus près les qualités propres de l’articulation. Cette intervention(2) correspond au remplacement total de la partie articulaire d’un côté du bassin et de la tête fémorale.

Après une arthroplastie totale de la hanche, un drainage de la plaie opératoire(3) est habituellement réalisé pour éviter la formation d’hématomes et le risque infectieux. L’ablation du drain de Redon est réalisée lorsque la quantité de sérosités évacuées par le drain diminue, voire lorsqu’elle devient nulle. Néanmoins, ce soin reste douloureux (étude pilote CHU de Rouen : 20 % des 60 patients sondés présentent une échelle visuelle analogique (EVA) > 8/10, corroboré par l’étude de Guion et al(4)).

À ce jour, il n’existe pas de recommandations(5) quant à la méthode d’ablation des drains à privilégier en post-pose de prothèse totale de hanche (PTH). En conséquence, deux techniques sont utilisées par les infirmières pour retirer ces drains. L’une dite en mode « aspiratif » consiste à conserver le vide dans le drain et la tubulure au moment de l’ablation. La seconde dite en mode « non aspiratif » consiste à stopper le vide présent dans le système (drain et réservoir) avant d’ablation du drain. En l’absence de recommandations et de façon empirique, chaque infirmière réalise l’ablation selon la technique qui lui semble la plus optimale. Or, il est primordial d’offrir aux patients des soins de qualité, les moins douloureux possible et tout en harmonisant nos pratiques soignantes pour qu’elles reposent sur des données probantes.

Ainsi, cet état de fait amène à se poser la question suivante : quelle technique d’ablation des drains aspiratifs de type Redon est la moins douloureuse après une arthroplastie totale de hanche ?

MÉTHODOLOGIE

Une recherche d’articles scientifiques a été réalisée à l’aide de la base de données PubMed. Des mots-clés ont été identifiés à partir de la question de recherche sous le format Pico. L’outil HeTop a été utilisé afin de traduire les mots-clés issus du questionnement en termes MeSH. Les articles traitant de la technique d’ablation ont été conservés pour cette revue de littérature. Ainsi, on obtient :

→ Grâce au constructeur d’équation de recherche de PubMed, une première équation :

((« Arthroplasty » [MeSH]) AND (« Drainage » [MeSH]) AND (« Suction » [MeSH] OR « passive » [all fields]) AND (« Pain » [MeSH])) a été réalisée et a donné huit résultats mais non pertinents par rapport à la question posée.

Une deuxième équation de recherche a été testée avec moins de mots-clés, à savoir :

((« Arthroplasty » [MeSH]) AND (« Drainage »[MeSH]) AND (« Pain »[MeSH]))

Elle a permis d’obtenir 23 articles dont un a été sélectionné à partir du titre puis rejeté à la lecture du résumé (abstract) car il ne répondait pas à la question posée. En effet, dans cet article(6), il s’agissait d’évaluer la douleur ressentie lors de l’ablation du drain chez deux groupes de patients, l’un recevant au préalable une injection d’anesthésique local et l’autre groupe sans injection.

→ Une troisième équation de recherche a été testée : ((« Arthroplasty »[MeSH]) AND (« Drainage »[MeSH])) Elle a permis d’augmenter le nombre de résultats à 428 études. Afin de faciliter la sélection et de cibler les résultats, le mot-clé « Arthroplasty » (terme générique) a été remplacé par « Arthroplasty, Remplacement, Hip », qui est bien plus précis sur l’arthroplastie de hanche. Ainsi, nous ne sélectionnons que les articles en rapport avec une arthroplastie totale de hanche et nous éliminons tous les articles traitant des arthroplasties de genou par exemple. Nous avons obtenu 149 résultats. Afin de ne pas laisser de côté d’éventuelles études, aucun filtre n’est appliqué que ce soit sur la date, la langue ou la disponibilité du texte de l’étude. Les articles traitant de la pédiatrie ont été exclus, ainsi que ceux sur la pose du drain au bloc opératoire.

→ À la lecture sur titre, 18 articles ont été sélectionnés et un seul a été retenu à la lecture du résumé. Au total, la revue de littérature ne retrouve qu’une seule étude se rapportant au sujet après lecture des articles sélectionnés. Ainsi, en 1998, Willy et al(7) se sont intéressés aux deux techniques d’aspiration par drain de Redon en post-thyroïdectomie. Cependant, leur objectif était différent de la question posée ici. En effet, il s’agissait de mesurer, pour chacune des techniques d’ablation de drain Redon, la quantité de sang prélevé pendant le drainage et l’étendue de l’hématome résiduel par échographie, alors que l’objectif de ce projet est de mesurer l’intensité de la douleur ressentie par le patient au moment de l’ablation du drain.

DISCUSSION

Le caractère innovant de notre projet de recherche réside dans le fait qu’aucune étude n’ait été réalisée sur le sujet. Pourtant, chaque jour, des milliers de drains sont ôtés après une arthroplastie totale de hanche. Sans recommandations, chaque IDE réalise l’ablation selon la technique qui lui semble la plus optimale, sans baser sa pratique sur des preuves.

→ Une étude de faisabilité incluant 60 patients a été réalisée au CHU de Rouen (76) afin de comparer ces deux méthodes et de déterminer laquelle était la moins douloureuse pour les patients. La douleur a été évaluée grâce à l’EVA au moment de l’ablation du drain. Les premiers résultats sont en faveur de la technique dite en « non aspiratif », avec sept patientes décrivant une EVA > 8 lors de l’ablation du drain en « aspiratif », versus quatre patientes lors de l’ablation en mode « non aspiratif ».

→ Conscients des limites et des biais de cette première étude, qui n’était ni randomisée, ni en aveugle, nous avons proposé au Girci (groupement interrégional de recherche clinique et de l’innovation) une étude prospective, multicentrique, randomisée, en simple aveugle et de plus forte puissance, afin de confirmer l’hypothèse : le retrait des drains selon la méthode dite « non aspirative » permet de réduire la douleur lors de l’ablation, par rapport à la méthode de retrait dite « en aspiratif ». Cette étude a été acceptée et a débuté en juin 2018 au CHU de Rouen, avec une collaboration du CHU de Caen (14).

L’objectif principal de l’étude est de mesurer la douleur, après arthroplastie totale de hanche, ressentie par le patient selon les deux techniques d’ablation des drains de Redon : technique « aspirative » versus technique « passive ». Des objectifs secondaires ont été ajoutés pour démontrer que l’ablation des drains en « non aspiratif » ne modifie pas le risque d’hématome et le risque d’infection post-ablation.

Les résultats de cette étude pourraient être adaptés pour différentes chirurgies utilisant la pose de drain, hors recommandations médicales pour l’ablation. La revue de littérature est donc une étape déterminante dans un projet de recherche car elle permet une justification scientifique afin de juger de la pertinence de la question de recherche.

Bibliographie

  • → 1. Boutin P. « Arthroplastie totale de la hanche par prothèse en alumine frittée. Étude expérimentale et premières applications cliniques ». Rev Chir Orthopédique Traumatol. 1 févr 2014, 100 (1) : 14-21.
  • → 2. Mengal B, Aebi J, Rodriguez A, Lemaire R. « A prospective randomized study of wound drainage versus non-drainage in primary total hip or knee arthroplasty ». Rev Chir Orthop Reparatrice Appar Mot. 1 févr 2001 ; 87 (1) : 29-39.
  • → 3. Hou N, Jing F, Rong W, He DW, Zhu JJ, Fang L, et al. « Meta analysis of the efficacy and safety of drainage after total hip arthroplasty ». Zhonghua Yi Xue Za Zhi. 6 juin 2017 ; 97 (21) : 1668-72.
  • → 4. Guion A, Roy I, Buccini C, Delahousse B, Larquier G, Carre A, et al. « Évaluation du toucher comme moyen de prévention de la douleur provoquée par l’ablation du drain de redon après prothèse de hanche ».
  • → 5. Drinkwater CJ, Neil MJ. « Optimal timing of wound drain removal following total joint arthroplasty ». J Arthroplasty. Avr 1995, 10 (2) : 185-9.
  • → 6. Yiannakopoulos CK, Kanellopoulos AD. « Innoxious removal of suction drains ». Orthopedics. Avr 2004, 27 (4) : 412-4.
  • → 7. Willy C, Steinbronn S, Sterk J, Gerngross H, Schwarz W. « Drainage systems in thyroid surgery: a randomised trial of passive and suction drainage ». Eur J Surg Acta Chir. Déc 1998, 164 (12) : 935-40 ; discussion 941.

Les auteures déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts

COORDINATION :

VALÉRIE BERGER

IDE, Ph. D., cadre supérieure de santé, coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR, maitre de conférence associé temporaire, université de Bordeaux. valerie.berger@chu-bordeaux.fr

EMMANUELLE CARTRON

IDE, Ph. Ds., coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Nantes, membre de la CNCPR. emmanuelle.cartron@chu-nantes.fr

CHAQUE MOIS, UNE INFIRMIÈRE RÉALISE UNE REVUE DE LA LITTÉRATURE À PARTIR D’UN QUESTIONNEMENT SUR SA PRATIQUE ET VOUS LIVRE LE RÉSULTAT DE SES RECHERCHES.

EN PARTENARIAT AVEC : LA COMMISSION NATIONALE DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE