Soins et liens soir et matin - L'Infirmière Magazine n° 402 du 01/03/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 402 du 01/03/2019

 

RÉÉDUCATION-RÉADAPTATION

CARRIÈRE

PARCOURS

Lisette Gries  

Les infirmières en rééducation-réadaptation ont un rôle de pivot entre le plateau technique, où se déroulent les soins, et le service d’hospitalisation. Mais leur expertise les place également au cœur des projets thérapeutiques, auprès de patients qu’elles accompagnent lors de séjours prolongés.

Dans leurs services, les chambres sont souvent un peu moins impersonnelles qu’ailleurs : sur tel lit, un coussin coloré, sur une autre table de nuit, une photo encadrée. Les infirmières qui travaillent en rééducation-réadaptation prennent en charge des patients “au long cours”, qui installent un peu de leur vie autour de leur lit d’hôpital. « Les hospitalisations de plusieurs mois sont monnaie courante », confirme Catherine Cadu, présidente de l’Association des infirmiers en rééducation-réadaptation (AIRR). Qu’ils exercent en centres de soins de suite et de réadaptation (SSR) ou en services de médecine physique et de réadaptation (MPR), les soignants ont un rôle commun : amener leurs patients à récupérer un maximum de leurs capacités fonctionnelles, mises à mal par un événement précis (AVC, amputation, traumatisme crânien sévère, implantation d’une prothèse de genou, etc.) ou par l’évolution d’une maladie chronique (sclérose en plaques, maladie d’Alzheimer, cancers, insuffisance cardiaque ou respiratoire, etc.).

Les centres de rééducation que l’on peut voir au cinéma, où se côtoient des patients assez jeunes, victimes d’accidents de la route ou du sport, existent, mais ne composent pas seuls l’offre de soins en rééducation-réadaptation. Selon les chiffres fournis par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih)(1), sur les 1 646 établissements français de SSR, un peu plus de la moitié seulement (853) exercent cette activité en exclusivité. Il s’agit en majorité d’établissements privés (83 %). Dans les autres, les SSR côtoient d’autres activités, majoritairement de la médecine, chirurgie et/ou obstétrique et sont, pour 70 % d’entre eux, des institutions publiques. Tous établissements confondus, près du tiers ont une mention spécialisée « affections de la personne âgée polypathologique, dépendante ou à risque de dépendance ».

ENTRETENIR LA JUSTE DISTANCE

Autour de ces patients, une équipe soignante pluridisciplinaire se déploie : médecins, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, psychologues, mais aussi, selon les pathologies, orthophonistes, neuropsychologues, podologues, diététiciens, éducateurs sportifs, etc. Ils exercent la plupart du temps en dehors du service d’hospitalisation, au sein du plateau technique. À l’inverse, les IDE et les aides-soignantes assurent les soins dans le service. « Elles sont au contact des patients toute la journée et jouent donc un rôle central de relai entre le plateau technique et le service, voire le médecin. Elles sont aussi à même de transmettre un maximum d’informations sur l’état général du patient, aux autres soignants et à la famille », remarque Catherine Cadu. Au niveau des soins techniques, elles doivent faire face à une disparité de situations : plaies, prise en charge de la douleur, accompagnement à l’auto-soin, nutrition entérale ou parentérale et autres PICC lines(2) s’ajoutent à l’administration de traitements, aux prélèvements sanguins et aux soins de nursing.

Les soins relationnels représentent aussi une partie importante de leur métier. « Les infirmières en rééducation-réadaptation doivent être capables de maintenir, en toutes circonstances, une relation thérapeutique avec leurs patients, ce qui n’est pas si simple quand cette relation s’inscrit dans une durée assez longue », souligne Dolores Fonseca, infirmière chef de service au centre de traumatologie et de réadaptation de l’hôpital Erasme, à Bruxelles. Quand, dans un service de médecine ou de chirurgie, les aspects qui peuvent déstabiliser la relation thérapeutique ne posent problème que quelques jours, en SSR, les hospitalisations longues les rendent plus problématiques encore et ce, d’autant plus que les patients (et parfois leurs proches) se sentent un peu chez eux à l’hôpital. Ainsi, s’ils deviennent trop familiers ou trop agressifs, la situation ne peut pas être occultée. Par ailleurs, dans la relation de soins, certains patients, notamment âgés, ne comprennent pas qu’on leur demande de réaliser eux-mêmes certains gestes (lever, toilette, prise de traitement) et peuvent s’arc-bouter. Il faut alors rétablir la communication pour les amener à comprendre que ces demandes ne relèvent pas d’une supposée “paresse” des soignants, mais bien d’une étape dans la récupération progressive de leurs capacités fonctionnelles.

Que l’on ait un coup de cœur pour un patient que l’on a envie de “chouchouter” ou, au contraire, que l’on ait du mal à supporter les exigences d’un autre, garder la juste distance relève parfois de l’exercice d’équilibriste. L’humour, la présence à l’autre et la capacité à maîtriser ses émotions s’imposent comme des qualités utiles. « Il y a des outils pour rester dans une position d’écoute active et pour sortir de ses propres jugements de valeur, ajoute Dolores Fonseca. La clé, c’est la communication. On peut s’appuyer sur le modèle humaniste de partenariat en santé, développé au Canada et qui fait de plus en plus d’émules en Europe. »

En Belgique, cette approche a été étudiée notamment par Dan Lecoq, infirmier et docteur en santé publique. « L’infirmière (…) reconnaît qu[e les patients] vivent des transitions liées a leur (s) maladie (s), aux conséquences de celle (s)-ci sur leurs rôles familiaux ou sociaux en plus des transitions “normales” de la vie », souligne-t-il(3). Ainsi, l’IDE pourra prendre en compte la vulnérabilité qu’induisent ces transitions dans la co-construction, avec le patient, d’une relation thérapeutique dont ils seront tous deux acteurs. L’accompagnement infirmier de ces transitions, qui peut s’appuyer sur les compétences personnelles du patient-partenaire et sur un feedback positif, a pour objectif d’amener celui-ci à une nouvelle forme d’équilibre dans sa vie. Dans ce modèle, l’IDE ne nie pas ses propres valeurs et conceptions, mais accepte de les questionner, au bénéfice d’un cheminement avec le patient.

AUTOUR D’UN PROJET THÉRAPEUTIQUE

Afin d’assurer un accompagnement humain de qualité, une bonne cohésion d’équipe est aussi primordiale. Il arrive notamment que des patients attendent des infirmières qu’elles fassent certaines choses à leur place, même s’ils y parviennent seuls. D’autres reportent sur elles leur frustration d’avoir perdu une partie de leurs capacités. « Si l’on rencontre un souci avec un patient, on s’arrange entre collègues pour organiser les soins infirmiers de telle façon que l’IDE en difficulté puisse prendre du recul », témoigne Chantal Richard, IDE au centre de rééducation et de réadaptation d’Alsace du Nord (Cerran) de Morsbronn-les-Bains (67) (lire p. 61). Les réunions hebdomadaires de synthèse permettent aussi d’échanger avec les autres soignants, à la fois pour déclencher, si besoin, l’intervention d’une cadre de santé ou d’un médecin quand la situation l’exige, mais aussi pour garantir une continuité des soins. « Quand un patient parvient à faire un geste lorsqu’il travaille avec le kiné mais pas en chambre avec nous, on peut le motiver en lui rappelant ce qu’il a déjà réussi à accomplir », mentionne Chantal Richard.

Afin de se coordonner, les médecins, les soignants du plateau technique et les IDE travaillent, pour chaque patient, autour d’un projet thérapeutique. Élaboré dès le début de l’hospitalisation, ce projet sert de cadre à des objectifs fonctionnels concrets, fixés toutes les semaines par l’équipe (voir encadré p. 60). « Le but final, c’est que les patients acceptent leur handicap et apprennent à vivre autrement, de la façon la plus autonome possible », précise Chantal Richard. « Pour que l’équipe reste mobilisée sur le long terme, il est important de ne pas vouloir aborder tous les fronts en même temps mais, au contraire, d’avancer objectif par objectif », conseille Dolores Fonseca. Par exemple, l’équipe se concentrera sur la déglutition pendant une ou deux semaines, avant de cibler ses efforts sur l’autonomie pour la toilette, l’amélioration de l’élocution ou encore les transferts vers le fauteuil. Chacun agit ensuite dans sa compétence pour cet objectif.

Grâce aux outils informatiques, le partage d’informations entre les soignants est facilité : il leur suffit de jeter un œil au dossier du patient pour voir quels soins et exercices ont été effectués par leurs collègues. Ces transmissions, plus ou moins formelles, complètent les échanges des réunions hebdomadaires de synthèse. « Les objectifs seront d’autant mieux atteints que l’équipe aura appris à travailler ensemble », ajoute Dolores Fonseca. Pour cela, il est important de bien connaître les compétences de chacun. L’expertise des infirmières est d’ailleurs de mieux en mieux reconnue par les autres soignants. « En vingt-cinq ans, les choses ont changé. En staff pluridisciplinaire, nos contributions sont beaucoup plus écoutées aujourd’hui », apprécie Chantal Richard. « La hiérarchie entre les soignants, qui avait cours auparavant, tend à s’effacer », confirme Dolores Fonseca.

UNE EXPERTISE… MAIS PAS DE SPÉCIALITÉ

Si les relations de travail tendent à devenir plus horizontales, c’est aussi que les IDE ont su montrer de quoi elles étaient capables. « Elles font preuve de beaucoup de créativité, notamment pour mettre au point des outils de communication ou de planification des projets de soins », se félicite Catherine Cadu. L’AIRR a d’ailleurs consacré ses journées d’étude 2018 au thème du leadership infirmier. Dans les services et les centres, elles s’imposent comme formatrices en auto-soins pour leurs patients, voire comme référentes auprès d’eux pour les projets thérapeutiques. « Pour s’emparer de la place qui est la leur, il est essentiel que les infirmières connaissent parfaitement l’étendue de leurs compétences et la législation qui encadre leurs actes, recommande Dolores Fonseca. Elles peuvent alors sortir du rôle d’exécutantes qui leur est encore parfois réservé. »

Une dynamique freinée par le manque de valorisation dont souffre l’exercice en SSR, qui n’est pas reconnu comme une spécialité. Être titulaire du DU en soins infirmiers de rééducation-réadaptation proposé par l’université de Haute-Alsace, à Mulhouse (68) (voir encadré p. 59) ne donne pas droit à une valorisation financière ni à des responsabilités supplémentaires.

En Belgique, une quatrième année universitaire, consacrée aux soins de réadaptation et de rééducation fonctionnelle, a été abandonnée par la Haute École Francisco-Ferrer de Bruxelles, faute de reconnaissance des compétences acquises lors de la formation. « La plus-value des IDE formées ne fait pas débat dans les centres de rééducation, mais au niveau des États, ce constat n’est pas suivi d’effets, déplore Catherine Cadu. En France, les publications scientifiques par des infirmières sont encore insuffisamment reconnues comme légitimes. L’affirmation de l’expertise des infirmières en SSR doit venir de démarches individuelles, mais aussi collectives. »

SE FÉDÉRER POUR MIEUX PESER

Pour donner du poids à ces revendications, mais aussi pour répondre aux besoins d’échanges et de partage professionnels des IDE en réadaptation-rééducation, l’AIRR a été créée en 1983. « À l’inverse des centres hospitaliers, où les IDE sont nombreuses, dans les centres et les services de réadaptation, les occasions de communiquer entre consœurs sont plus rares », remarque Catherine Cadu.

L’association, qui compte près de 400 membres, est donc d’abord un lieu de rencontre où l’on peut faire avancer ses réflexions. « Nos journées d’étude annuelles alternent entre des thématiques pratiques, comme les traumatismes crâniens, l’AVC ou l’ETP, et des sujets conceptuels, comme le sens du soin, la plus-value infirmière ou les idées reçues sur le handicap », précise la directrice.

Autant de sujets où les approches belges, luxembourgeoises, suisses et canadiennes viennent compléter les présentations françaises. « La richesse des échanges lors de ces journées d’étude est appréciée par tout notre milieu professionnel. D’ailleurs, des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes et des médecins y assistent tous les ans », se félicite Catherine Cadu. Un pas de plus vers la reconnaissance de l’expertise infirmière dans les soins de rééducation-réadaptation.

1 - Les « chiffres clés de l’hospitalisation », à lire sur le site de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, sur : bit.ly/2TlqE6Y

2 - Cathéter central par insertion périphérique.

3 - D. Lecocq, H. Lefebvre, A. Néron, C. Van Cutsem, « Le modèle de partenariat humaniste en santé », à lire sur : bit.ly/2TjbFKX

FORMATION

Un diplôme unique en France

→ Depuis 1993, un DU délivré par l’université de Haute-Alsace, à Mulhouse (68), accueille des IDE qui souhaitent compléter leurs connaissances en réadaptation-rééducation. Unique en France, il bénéficie d’un partenariat avec l’Association des infirmiers en rééducation-réadaptation (AIRR) et l’Association pour l’information scientifique et technique en rééducation (Alister). « Nos stagiaires travaillent toutes déjà dans des centres ou services de rééducation, remarque Murielle Allemand, chef de projet en charge de la formation continue. Elles viennent aussi chercher un lieu d’échanges. » La formation se déroule sur 112 heures, en quatre semaines. Au menu : six modules, qui couvrent un éventail de sujets, de l’éthique du soin à la diffusion scientifique du savoir infirmier, en passant par les spécificités des pathologies, le droit des patients, les courants psychosociologiques ou encore l’ETP. « Nous élaborons le programme en lien avec les professionnels, qui représentent d’ailleurs l’essentiel de nos intervenants : IDE, médecins, ergothérapeutes, docteurs en santé publique, psychologues, etc. Les contenus sont revus chaque année pour correspondre aux évolutions du métier », insiste Murielle Allemand.

→ Les promotions comprennent de 12 à 15 stagiaires, qui viennent de partout en France (« y compris des Dom-Tom »), du Luxembourg, de Suisse ou de Belgique. Leur présence sur place est indispensable à chaque période de formation, même si des cours sont disponibles en ligne. Chaque module donne lieu à un contrôle des connaissances, mais l’année n’est validée qu’après la soutenance d’un travail de recherche. Le coût de la formation s’élève à 2 750 €. « La plupart du temps, les établissements de soin qui emploient les stagiaires prennent en charge les droits de formation », remarque Murielle Allemand. Début de la prochaine session : 13 mai 2019.

P3I

Un outil vers l’autonomie

→ En rééducation, les soignants s’appuient sur des projets thérapeutiques, en accord avec le patient. Parmi leurs outils, le plan d’intervention interdisciplinaire individualisé (PIII, dit P3I) convainc de plus en plus.

À la fois synthèse et feuille de route, le projet est élaboré lors d’une réunion avec les différents soignants, le patient et sa famille.

→ Un professionnel de santé joue le rôle d’animateur, un autre de rédacteur du document final.

Durant la rencontre, afin que tout le monde soit sur un pied d’égalité, le jargon médical est abandonné pour un langage plus neutre.

→ Les échanges servent à établir un tableau clinique en listant ce que le patient est capable ou non de faire, et à recueillir les attentes de ce dernier et de son entourage quant à la qualité de vie à la sortie de l’hospitalisation, en s’appuyant sur l’estimation d’une situation prévisible de handicap. Partant de là, des objectifs fonctionnels concrets sont déterminés, ainsi que les moyens à mettre en œuvre pendant la durée de l’hospitalisation pour y parvenir. Le document rédigé est signé par le patient et sa famille, et sert ensuite de base aux soignants pour élaborer le projet thérapeutique. Chacun en conserve une copie.

→ Un PIII de révision peut être organisé si nécessaire. La fin de l’hospitalisation donne lieu à une autre réunion entre tous les participants, pour faire un bilan et envisager concrètement le retour à domicile ou l’arrivée dans une autre institution.