Alors que le taux de fécondité des Françaises ne faiblit pas, les deux tiers des maternités du pays ont disparu ces quarante dernières années. Autorités et professionnels de santé brandissent l’argument de la sécurité.
« On risque de voir de plus en plus de naissances dans des voitures »
Une étude(1), menée en Bourgogne entre 2000 et 2009, montre que l’allongement de la distance à parcourir pour se rendre à la maternité avait un impact sur l’accouchement et la santé du bébé. Ce n’est pas un ressenti, c’est scientifiquement prouvé. On nous parle de sécurité pour justifier la fermeture de petites maternités mais cette étude montre qu’au-delà de quarante-cinq minutes de trajet, le risque pour le bébé augmente : les taux bruts de morti-natalité passent de 0,46 % à 0,86 % et ceux de la mortalité périnatale de 0,64 % à 1,07 %.
À Die (Drôme), dont la maternité a fermé en 2017, il y a récemment eu deux incidents… Même s’il est toujours difficile d’attribuer un décès in utero à une cause bien précise, c’est inquiétant. On risque de voir de plus en plus de naissances à la sauvette, dans des voitures…
Il ne faut pas oublier que les maternités sont organisées en trois catégories, selon le niveau de soins qu’elles assurent aux nouveau-nés. Il ne me semble pas aberrant que les professionnelles de l’accouchement que sont les sages-femmes puissent prendre en charge l’essentiel des naissances, qui sont tout de même un processus naturel, et que le gynécologue n’intervienne qu’en cas de nécessité. On peut imaginer que des soignants “tournent” sur des structures de proximité de leur secteur, plutôt que de faire déplacer les futures mamans.
Je pense qu’une sage-femme fait toujours assez d’accouchements dans l’année pour garder la main ! Et il ne faut pas oublier la formation continue, qui permet de rester à jour de l’actualité des pratiques. Quant à l’équilibre financier, il me semble grave d’envisager un système de santé a minima pour des raisons budgétaires. Il faut savoir ce qu’on veut : préfère-t-on avoir des morts pour rembourser une dette dont, par ailleurs, les Français ne sont pas responsables ? Il faut un service public solidaire et non un service au rabais pour les plus modestes et les plus éloignés des villes. Ceux qui ont les moyens, eux, auront toujours accès aux cliniques privées…
Il faudrait déjà arrêter d’en fermer, c’est une mesure d’urgence ! Ensuite, il convient de procéder au cas par cas. Nous pensons qu’il faut rénover notre démocratie sanitaire, d’abord en créant des commissions rassemblant des usagers, des élus, des professionnels de santé… Elles seraient chargées de déterminer les besoins de santé du territoire, puis exerceraient un pouvoir de contrôle sur le fonctionnement du système de santé. Elles pourraient s’appuyer sur les données des agences régionales de santé par exemple sur les causes de mortalité. Pour revenir aux maternités, ces commissions pourraient aller jusqu’à conseiller l’ouverture de nouvelles structures. Mais il y a aussi un travail à faire en amont, avec les universités, pour ouvrir plus de places dans les spécialités dont on manque, comme la gynécologie.
« Il faut une nouvelle organisation territoriale »
Il y a certainement encore des fermetures à réaliser là où il n’y a plus les ressources humaines nécessaires pour faire tourner l’offre existante. Il existe en France des territoires sous-dotés en personnel et matériel médical. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) ont établi leurs diagnostics à ce sujet, puis les commissions médicales d’établissement ont défini des solutions : elles ont suggéré une restructuration en profondeur. Il s’agit donc d’une proposition médicale. Souvent, la solution passe par la fermeture d’un site, mais sans perdre les ressources humaines des structures fermées. L’idée est de les redéployer sur d’autres sites, plus sécurisés, du même territoire. Parfois, les élus du comité territorial des GHT peuvent s’opposer à des fermetures pour des raisons politiques… Alors que si on continue comme ça, on met en danger la santé des mères et des bébés !
Pour qu’un établissement tourne dans de bonnes conditions, il faut un gynécologue accoucheur présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, un anesthésiste et un pédiatre. Ces effectifs minimaux font partie du cahier des charges. Mais pour tenir, les structures qui ne disposent pas d’assez de personnel ont recours à des médecins contractuels. Aujourd’hui, ils n’ont pas les qualifications requises : on fait baisser notre niveau d’exigence. Parfois, les directeurs d’établissement fournissent des listes de garde avec des noms qui ne correspondent pas à la réalité. C’est là le danger : des médecins sont appelés alors qu’ils ne sont pas de garde, qu’ils devraient être en repos… Ce ne sont pas de bonnes conditions de sécurité.
Sur ce point, il est de la responsabilité du gouvernement de mettre en place des solutions de déplacement et d’hébergement. Par exemple, quand une patiente est suivie pour une grossesse à risque, elle devrait être accueillie près de la maternité à l’approche de son terme. C’est déjà ce qui se pratique dans les îles françaises ou, par exemple, dans les régions isolées de Suède et de Norvège, et ça se passe très bien. Mais pour accepter cela, il faudrait un changement de mentalité. Cela demande aussi une nouvelle organisation territoriale, qui pourrait être décidée par les préfets. Les réseaux périnataux, peu utilisés, pourraient aussi s’en charger si on leur donnait davantage de moyens.
Il faut évidemment maintenir des consultations, qui sont programmables, dans les structures de proximité. On ne va pas demander aux femmes de faire cinquante kilomètres à chaque consultation de suivi de leur grossesse ! Mais pour l’accouchement, il est préférable qu’elles rejoignent de plus grosses maternités, équipées pour tourner vingt-quatre heures sur vingt-quatre et donc pour accueillir des événements non programmés.
1 - Combier Evelyne, et al., « Temps d’accès aux maternités bourguignonnes et indicateurs de santé périnatale », Journal de gestion et d’économie médicales, vol. 31, n° 6, 2013, pp. 348-368.
PRÉSIDENTE DE LA COORDINATION NATIONALE DES COMITÉS DE DÉFENSE DES HÔPITAUX ET MATERNITÉS DE PROXIMITÉ
→ 1974: éducatrice spécialisée au ministère de la Justice
→ 1997 : employée administrative à l’hôpital de Montluçon (Allier)
→ 2010 : prend sa retraite et entre au Comité de défense de l’hôpital public de Montluçon
→ 2015 : présidente de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité
PRÉSIDENT DU SYNDICAT NATIONAL DES GYNÉCOLOGUES ET OBSTÉTRICIENS DE FRANCE (SYNGOF)
→ 1992 : gynécologue obstétricien à l’hôpital privé de Marne-Chantereine (Seine-et-Marne)
→ 2010 : président du groupe Le Bloc au sein de l’Union régionale de professionnels de santé (URPS) Île-de-France
→ 2015 : président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof)
→ Après une baisse massive du nombre de maternités dans les années 1980, les plus petites continuent à fermer au rythme de cinq à dix par an. Celle de Bernay (27), annoncée mi-février par Agnès Buzyn, est aujourd’hui effective. Si bien qu’en quarante ans, le nombre de maternités en France a été divisé par trois et qu’il faut effectuer jusqu’à une heure de route pour aller accoucher.
→ À l’origine de ces fermetures, le décret Dietrich, en 1972, qui entraîne la fermeture des établissements dirigés par des sages-femmes. Des normes de plus en plus strictes ont été imposées, parmi lesquelles le nombre minimum de 15 lits, entraînant des regroupements.
→ Selon un rapport de la Cour des comptes sur les maternités publié en 2015, il était indispensable d’en réduire le nombre (d’une cinquantaine environ) pour renforcer la qualité des soins. Mais parallèlement, les défenseurs des maternités de proximité invoquent le risque que les mères et enfants ne soient pas pris en charge assez vite.
→ Fin février, la mort in utero d’un bébé après huit mois de grossesse à risque, dans la région de Die, dont la maternité avait fermé en septembre 2017, a relancé le débat.