L'infirmière Magazine n° 403 du 01/04/2019

 

RECONSTRUCTION

DOSSIER

RECONSTRUCTION

Depuis vingt-cinq ans, la reconstruction clitoridienne peut être proposée aux femmes excisées. Elle s’inscrit dans un parcours de soins où le suivi psychologique est primordial.

C’est un Français, le chirurgien urologue Pierre Foldes, qui a eu l’idée, en 1994, de “réparer” les femmes victimes d’excision. « J’étais humanitaire en Afrique avec Médecins du monde, se souvient-il. J’ai élaboré cette intervention simple pour répondre aux situations douloureuses constatées là-bas. » L’opération est possible grâce à la longueur du clitoris : alors qu’il mesure environ 11 cm, seule une petite partie est ôtée lors de l’excision. Pour le reconstruire, il suffit de couper le ligament suspenseur qui l’attache au pubis et de retirer la zone cicatricielle avant de faire avancer de quelques centimètres la partie de l’organe restée enfouie. Les nerfs principaux étant intacts, la plupart des patientes pourront récupérer une sensibilité.

Cette opération ne connaît jamais d’échec technique, assure le Dr Foldes, qui opère environ 50 patientes par mois. Mais elle ne constitue qu’une petite partie du processus de reconstruction. En effet, un accompagnement global est nécessaire afin de se réapproprier son corps, et c’est là que les infirmières ont un rôle à jouer. « Je suis la “porte d’entrée” dans le processus de réparation, explique Siniani Fer, IDE d’accueil à l’institut Women Safe, à Saint-Germain-en-Laye (78), où officie Pierre Foldes. Lorsqu’une femme victime de mutilations sexuelles se présente, je mène un entretien d’évaluation de la situation. À ce stade, le rôle d’écoute est très important car la plupart n’en ont jamais parlé ou n’ont jamais été écoutées. » L’IDE administre un questionnaire sur les origines ethniques de la patiente, le souvenir de son excision, le soutien qu’elle peut attendre de son entourage, ses problèmes urinaires ou sexuels… « Selon son parcours, je l’oriente vers la gynécologue ou le psychologue. » La douleur de l’intervention est évoquée : « On s’est rendu compte que plus on en avait parlé en phase pré-opératoire, moins elle était présente en postopératoire. Il faut répéter encore et encore, car la moitié de ce qui a été dit à la première rencontre n’a pas été entendu. »

Réappropriation du corps

La chirurgie n’intervient qu’après ces premières rencontres. Si elle est rapide, la cicatrisation, elle, est relativement longue : pendant deux à trois semaines, la zone reste douloureuse, avec des écoulements. « C’est assez impressionnant, reconnaît le Dr Foldes. Au bout de trois mois, les patientes peuvent croire que leur clitoris a disparu, alors qu’il est juste revenu à une taille normale ! C’est pourquoi nous remettons à toutes les femmes opérées un protocole écrit, décrivant chaque étape. »

En postopératoire, très peu de soins infirmiers sont requis, mais la soignante revoit les patientes en binôme avec la gynécologue, encore essentiellement dans un rôle d’écoute. Des rencontres avec le psychologue et le sexologue peuvent être organisées autant que nécessaire dans les mois, voire les années suivantes. Durant cette phase, le travail psychocorporel, en particulier les massages, sont d’une aide précieuse pour se réapproprier son corps. Il faut environ deux ans pour une stabilisation totale, avec de bons résultats (voir encadré). En France, l’opération est aujourd’hui pratiquée dans une quinzaine d’établissements, comme la Maison des femmes à Saint-Denis (93), l’hôpital Trousseau (AP-HP) ou les Hospices civils de Lyon. Depuis 2004, elle est remboursée à 100 % par la Sécurité sociale.

ÉTUDE

Des résultats encourageants

Une étude(1) réalisée sur 866 patientes opérées entre 1998 et 2009 et publiée en 2012 dans la revue médicale britannique The Lancet conclut à l’efficacité des opérations de chirurgie réparatrice du clitoris. Un an après l’intervention, la plupart des patientes (821 sur 840) avaient noté une diminution de la douleur et une amélioration du plaisir clitoridien (815 sur 834).

Environ la moitié des femmes interrogées avaient même connu des orgasmes.

1 - P. Foldes, B. Cuzin, A. Andro, « Reconstructive surgery after female genital mutilation : a prospective cohort study », The Lancet, 12 juin 2012. À consulter sur : bit.ly/2GR9daU