ENFANTS MENACÉES
DOSSIER
ENFANTS MENACÉES
Le risque encouru par les petites filles venant de certains pays est un motif de demande d’asile en France. Mais, l’office le leur accordant exige des certificats de non-excision.
Les mutilations sexuelles féminines (MSF) sont pénalement condamnées dans 24 des 29?pays d’Afrique et du Moyen-Orient où elles sont couramment pratiquées ; cinq d’entre eux en ont même fait un crime. Depuis 2008, plus de 15 000 communautés et sous-districts de 20 pays ont déclaré qu’ils les abandonnaient. Ces pratiques appartiennent-elles donc au passé ? Loin de là : selon l’OMS, plus de 200 millions de jeunes filles et de femmes vivant en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie en auraient été victimes – la moitié d’entre elles en Égypte, en Éthiopie ou en Indonésie. Et si la pratique semble en régression dans certains pays, comme le Burkina Faso et le Liberia, elle reste stable dans d’autres, tels la Somalie ou le Mali.
« Ces pratiques sont interdites quasiment partout mais il n’y a pas vraiment de contrôle, confirme Richard Matis, vice-président de Gynécologie sans frontières. Même si on espère une amélioration liée à une meilleure éducation des populations, il n’y a pas de baisse significative en Afrique sub-saharienne. Le taux de mutilation reste de 96 % en Égypte et 95,3 % en Guinée. » « Si la tendance actuelle continue, le nombre de victimes connaîtra une forte hausse durant les quinze prochaines années », alerte le rapport « Les mutilations génitales féminines/l’excision : un problème mondial », publié en 2016(1).
Pourtant, toutes les familles des pays concernés ne cautionnent pas la pratique, loin de là. Certaines invoquent même le risque de mutilation de leurs filles pour demander l’asile en France. Elles doivent pour cela déposer une demande à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui leur réclame un certificat de non-mutilation de la mineure. Lequel devra être renouvelé tous les cinq ans pour s’assurer que l’enfant ne soit pas victime d’une mutilation après l’octroi du statut de réfugié. Fin 2018, 7 300 enfants étaient sous la protection de l’office en raison du risque de MSF encouru si elles retournaient dans leur pays d’origine. En novembre 2018, l’Ofpra a formalisé les conditions de la consultation permettant d’établir les certificats via une convention signée avec l’unité médico-judiciaire (UMJ) de l’Hôtel-Dieu (AP-HP). « Cela vient reconnaître notre expertise de la prise en charge et de l’examen de l’enfant, apprécie le Dr Céline Deguette, responsable de la convention à l’Hôtel-Dieu. Par ailleurs, nous connaissons bien les difficultés de ces familles. Comprendre le contexte social nous permet de ne pas être dans le jugement mais dans la prise en charge bienveillante. »
Depuis la signature de la convention, les familles ayant déposé une demande d’asile dans la région doivent passer par l’UMJ. La consultation est effectuée en binôme, par un médecin et une IDE puéricultrice. « Elle est en grande partie consacrée à la discussion, on explique à l’enfant pourquoi on doit la protéger, rapporte Patricia Vasseur, la puéricultrice du service. C’est aussi l’occasion de parler avec la maman, qui a en général été elle-même excisée, et de l’orienter vers une prise en charge si besoin. Pendant qu’elle s’entretient avec le médecin, je m’occupe des enfants : je joue avec eux, je les mets en confiance. C’est le moment où je peux observer leur comportement, qui est parfois révélateur. » C’est une étape délicate, au cours de laquelle peuvent remonter des traumatismes physiques ou psychologiques, par exemple la mort d’une enfant de la famille à la suite d’une excision.
Puis vient l’examen proprement dit : la puéricultrice explique à l’enfant la position gynécologique et le médecin vérifie l’état des organes génitaux externes. « Si la maman le demande, on peut l’examiner aussi, explique Céline Deguette. C’est l’occasion pour elle de poser des questions sur ce qui est normal ou pas. Souvent, elle ne sait pas exactement ce qui a été coupé. » L’IDE profite également de ce temps pour peser et mesurer l’enfant, regarder le carnet de santé et s’assurer qu’il est bien suivi. Enfin, le certificat est envoyé à l’Ofpra et une copie aux parents. Sur le seul mois de janvier, l’UMJ de l’Hôtel-Dieu en a déjà établi une soixantaine. Forte de cette expérience, elle va à présent participer à la formation d’équipes médicales sur le reste du territoire français.
1 - À lire sur : bit.ly/2SpnpKn