L'infirmière Magazine n° 403 du 01/04/2019

 

IDE À L’INSEP

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

CÉCILE BONTRON  

L’Insep(1) accueille les plus grands sportifs français en leur mettant tout à disposition, y compris un pôle médical labellisé par le Comité international olympique (CIO). Trois infirmières y officient avec des emplois du temps particulièrement variés et des relations aux patients radicalement différentes de celles de l’hôpital.

Il est 10 h et Adrien Tesson profite d’un petit trou dans son emploi du temps pour passer au pôle médical. Des cours à la faculté de Staps(2), des heures et des heures d’entraînement sur la patinoire de Champigny-sur-Marne (94) ou dans les salles de musculation… le champion français ne s’arrête jamais vraiment. Mais la porte des infirmières de l’Insep lui est toujours ouverte. « Bonjour Adrien, comment s’est passé ton week-end ? Tu as pu gérer ta plaie  » lance Christine Morlet. Le jeune homme de 21 ans, tout sourire, montre sa cuisse à l’infirmière, avec le pansement qu’il s’est fait lui-même. Propre, bien fait. À l’institut, le travail infirmier recouvre une palette particulièrement large d’actes, y compris une éducation thérapeutique individualisée. « Nous essayons de les rendre le plus autonome possible avec leurs compétitions, les longs trajets… » explique l’IDE.

L’Insep(1) accueille 810 jeunes pépites de l’athlétisme, judo, handball, basket, boxe, haltérophilie, escrime ou encore lutte et tennis de table. Tous connaissent parfaitement leur corps et font leur maximum pour l’entretenir. C’est leur premier atout dans leur carrière sportive. Ils côtoient donc régulièrement les soignants. Adrien Tesson est arrivé à l’Insep à 12 ans. « Au bout de deux mois, j’ai eu une lame plantée dans le mollet ! » se rappelle-t-il. Opération, points de suture, kinésithérapie et soins réguliers. Le garçon a vite été introduit dans le pôle médical. « Ce lieu nous permet d’avoir une préoccupation en moins : pas besoin de rechercher les rendez-vous médicaux, paramédicaux, d’aller loin. Nous avons tout sur place », témoigne-t-il. Services de radiologie, cardiologie, kinésithérapie, psychologie, podologie, espace de ré-athlétisation… Avec 80 personnels médicaux et paramédicaux, dont trois infirmières, le temple du sport s’assure un suivi particulier de ses athlètes. Le jeune sportif ajoute : « Et puis, le contact est plus facile, on sait qui on va voir. On connaît tout le monde. » D’où le tutoiement entre l’infirmière et son patient. Une familiarité entièrement généralisée au sein de l’Insep, y compris au pôle médical.

Une grande famille

Au bout d’un long couloir, dans le bâtiment longiligne planté au début du complexe de vingt-six hectares, un autre athlète de 36 ans s’échine à courir sur un tapis roulant, bardé d’électrodes et d’un masque pour mesurer les quantités d’oxygène absorbées et de CO2 rejetées. « Tu regardes droit devant », lui conseille le Dr Ivan Zagori. Le champion de sprint handisport commence par une vitesse lente puis accélère peu à peu. « Tu es parfait, Clavel ! » lance Isabelle Dounias, autre infirmière de l’Insep. « Je sais que c’est dur mais tu peux aller plus loin ! » enchaîne le Dr Zagori, les yeux rivés sur l’écran de contrôle. Le champion enchaîne les foulées, hyper concentré. Montée sur un marche-pied, l’IDE vérifie les capteurs, prend la tension à intervalles réguliers, tandis que le duo médecin/infirmière continue de pousser le sportif dans ses retranchements.

Isabelle Dounias brandit le téléphone de l’athlète, prend rapidement une photo. Et lorsqu’il finit par sauter du tapis, Clavel Kayitaré reçoit des « bravo », des « tu as été au bout du bout ». « C’est familial ici, témoigne le multiple médaillé paralympique. C’est vraiment une autre relation par rapport à l’hôpital ou au cabinet. » Lors de sa première préparation des jeux paralympiques à l’Insep, Clavel a été un peu surpris de tutoyer ses infirmières et médecins. Mais c’est un peu le sport qui veut ça. « La notion de sportivité est très présente, assure le Dr Ivan Zagori. Nous sommes tous sportifs. »

Des patients hors normes

Dans le temple du sport français, tous les personnels ont logiquement accès aux infrastructures du complexe qui doivent permettre aux athlètes de vingt-six disciplines différentes de pouvoir s’entraîner dans les meilleures conditions, été comme hiver. Ils ont donc, au choix, des terrains de badminton, de foot, de tennis, des pistes d’athlétisme extérieures ou intérieures, des stands de tir, des bassins de piscine, etc. Isabelle Dounias, ancienne nageuse de niveau inter-régional, s’est même remise au sport, poussée par cette émulation collective. « Nous avons une ambiance magnifique et une relation privilégiée avec nos sportifs et les autres soignants », affirme le Dr Ivan Zagori.

Ici, on ne parle même plus de patients. « Le public est très différent de celui de l’hôpital, explique Isabelle Dounias. Ce sont des personnes ultra saines. » Et ce sont même des personnalités hors normes. « Nous accompagnons les athlètes qui représentent la France aux Jeux olympiques, ce ne sont pas simplement des sportifs en forme, ajoute Isabelle Dounias. Et quand ils vibrent… on vibre avec eux ! »

Dans les allées de l’Insep, allant des dortoirs au pôle médical ou des classes scolaires aux gymnases ou pistes d’athlétisme couvertes, des affiches rappellent les grands noms passés par ce sanctuaire du haut niveau : Nikola Karabatic (handball), Tony Parker (basket), Brahim Asloum (boxe), Mehdi Baala (athlétisme)… Certains y ont fait leur formation, d’autres des stages ou des entraînements, et continuent de profiter des installations. Teddy Riner (judo), Jimmy Vicaut (athlétisme) ou Evan Fournier (basket) sont régulièrement de passage.

Un rôle infirmier aux multiples facettes

Les infirmières sont toujours disponibles si un accident intervient lors de l’entraînement : elles se relaient de 7 h 30 à 18 h pour assurer une permanence des soins à côté des rendez-vous établis, comme les bilans médicaux qu’elles réalisent entièrement. Test d’urine, masse grasse, tension, électrocardiogramme, test spirométrique, voire test auditif… les bilans sont obligatoires chaque année pour tous les athlètes. C’est l’autre facette du suivi médical : la prévention.

Car, à l’Insep, les infirmières pratiquent des actes « classiques » : plaies et traumatologie, prises de sang, prises des constantes ou injections de plaquettes riches en plasma. Mais elles collaborent également aux protocoles de recherche. Le laboratoire « sport, expertise et performance » de l’Insep rassemble treize chercheurs, trois ingénieurs et seize doctorants pour réaliser des recherches sur trois thématiques : optimisation de la performance, prévention de la blessure et équilibre de la vie du sportif. Pour mener les observations et analyses nécessaires, le laboratoire demande régulièrement le concours des infirmières pour poser des cathéters, ou faire des prélèvements. Les IDE assurent aussi des formations anti-dopage, ou l’information sur la santé sexuelle, avec la venue du Centre régional d’information et de prévention du sida et pour la santé des jeunes (Crips) d’Île-de-France, auprès de mineurs qu’elles voient parfois plus que leurs propres parents.

Soins par grand froid

C’est un peu le cas du patineur Adrien Tesson, qui a presque passé la moitié de sa vie à l’Insep. Il arpente les couloirs du cocon du haut niveau français depuis neuf ans. Christine Morlet depuis dix ans. L’infirmière connaît l’importance de ses entraînements, malgré la plaie qui finit de cicatriser à la cuisse. Son pansement doit pouvoir tenir des centaines de flexions, d’extensions ou de foulées d’échauffement. Une fois le soin terminé, le champion français prévient sa soignante : « Je pars jeudi aux Pays-Bas, et la semaine prochaine, ce sera pour la Russie pendant dix jours. » Habituée, elle répond dans un sourire : « Tu passes nous voir le matin avant de partir, on te donnera le nécessaire pour que tu puisses continuer les pansements. »

Le patineur se rhabille pour repartir sur la glace, et l’infirmière se dirige vers le sous-sol où l’attend une autre mission, hors nomenclature. Elle rejoint Carole dans une large pièce contenant plusieurs cabines, une table et sa chaise, et des caisses de chaussettes, moufles, bandeaux et masques. Carole, qui fait partie des patients extérieurs à l’Insep, va subir une séance de cryothérapie du corps entier. Pour les athlètes, l’immersion dans le grand froid assure surtout une meilleure récupération et participe à l’amélioration des performances. Pour les patients externes, elle permet de lutter contre les douleurs articulaires ou musculaires, l’arthrite ou encore, la sclérose en plaques.

Une fois ses extrémités et voies aériennes couvertes, Carole entre dans le premier caisson à – 10 °C, puis se dirige vers celui à – 60 ° C avant d’entrer dans le dernier, à – 110° C, où elle doit rester trois minutes. À l’extérieur, Christine Morlet suit attentivement ses mouvements et l’informe de chaque minute écoulée. À l’Insep, la cryothérapie est considérée comme un soin. Carole a dû passer par un rendez-vous médical avant de pouvoir se présenter devant les caissons hypothermiques. Elle a ensuite bénéficié d’une visite des installations avec la description du protocole, et des consignes de sécurité de la part d’une infirmière. « Nous estimons que cela fait partie du rôle infirmier car il faut réaliser un contrôle médical ou paramédical, explique Christine Morlet. Et puis, nous assurons une écoute, un suivi de chaque patient. Car le traitement est individuel, c’est un ressenti. » Les infirmières ne suivent que les patients externes dans les séances de cryothérapie du corps entier. Ce sont les kinésithérapeutes qui assurent celles des sportifs de l’Insep, dans le cadre de la récupération et du suivi de blessures, en collaboration avec les entraîneurs.

Les trois infirmières de l’Insep voient déjà beaucoup les athlètes. Et elles font même des émules : l’une des gymnastes vient de les solliciter pour intégrer une école d’infirmière. « On la connaît depuis qu’elle a 14 ans, raconte Christine Morlet. Et aujourd’hui, elle veut faire le même métier. » Les infirmières de l’Insep ont donc ajouté une corde à leur arc déjà bien fourni : aide à l’écriture de lettre de motivation.

1 - Institut national du sport, de l’expertise et de la performance.

2 - Sciences et techniques des activités physiques et sportives.

LABEL

Un statut international pour l’Insep

En décembre 2018, le centre médical de l’Insep a reçu le label du Comité international olympique (CIO), entrant ainsi dans un réseau de onze instituts prestigieux dans le monde.

La candidature française était en réalité multiple, s’appuyant sur des établissements suisses, canadiens, belges et luxembourgeois. Le but : obtenir une reconnaissance internationale du savoir-faire des soignants francophones et intégrer un réseau de partage sur la thématique de la prévention des blessures et la protection de la santé des athlètes au travers de leurs activités clinique, éducative et de recherche. L’Insep fait donc désormais partie du programme médical du CIO.