INTERVIEW : Frédérique Martz, Cofondatrice de Women Safe, centre pilote de prise en charge de tout type de violences faites aux femmes, à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines)
DOSSIER
NTERVIEW Frédérique Martz
Pour Frédérique Martz, il n’est pas concevable de prendre en charge les femmes victimes de MSF sans évoquer les autres violences associées. À l’institut Women Safe, qu’elle dirige, la chirurgie réparatrice s’inscrit dans un processus d’accompagnement global.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Pourquoi avoir créé Women Safe ?
FRÉDÉRIQUE MARTZ : Quand nous en avons eu l’idée, en 2014, avec le Dr Pierre Foldes, il n’existait pas de dispositif unifié où les femmes victimes de violences pouvaient trouver des solutions à leurs problèmes. Des structures étaient spécialisées dans la prise en charge des viols, d’autres dans celle des violences conjugales… Or, le traumatisme est presque toujours multifactoriel et on ne peut traiter une violence isolément des autres.
Les femmes que nous recevons commencent souvent par décrire une situation qui les a amenées à consulter, une mutilation sexuelle par exemple. Mais lorsqu’on approfondit, on découvre d’autres violences : un viol, un mariage forcé, un parcours migratoire qui les a conduites à se prostituer…
C’est d’autant plus complexe que toutes ne sont pas vécues comme telles. Par exemple, l’éloignement temporaire d’un époux polygame peut être ressenti comme un soulagement, une pause dans des rapports sexuels douloureux à cause de l’excision. L’important est que ces femmes puissent s’exprimer sans tabou et qu’elles sachent qu’elles sont écoutées.
L’I. M. : Quel est le profil des femmes qui se présentent à l’institut en raison de mutilations ?
F. M. : Leur point commun, c’est qu’elles ont choisi de changer quelque chose dans leur vie. Nous avons deux files actives. La première est constituée de femmes qui connaissent l’opération de réparation et ont pris contact avec le Dr Foldes, inventeur de la technique. Elles attendent que l’on soulage les douleurs liées à leur mutilation, qu’elles peuvent ressentir dans la vie quotidienne, par exemple en marchant, mais aussi de “redevenir des femmes” : les MSF ont eu un impact sur leur image corporelle, leur vie de couple et leur sexualité. Mais la chirurgie n’est pas possible sur le court terme, elle s’inscrit dans un protocole de soin complet, avec un suivi psychologique poussé, et c’est pourquoi elles sont redirigées vers Women Safe.
La seconde voie d’entrée passe par des travailleurs sociaux auxquels la femme a pu s’adresser pour une autre raison, par exemple parler de violences conjugales, et où l’excision a été évoquée.
L’I. M. : Est-il facile pour ces dernières de parler de mutilations et d’envisager une réparation ?
F. M. : C’est assez complexe car elles ne se souviennent pas toujours de leur excision, qui a en général été pratiquée dans la petite enfance. Cela peut ressurgir dans le cadre de nos cercles de parole. Elles y évoquent un souvenir resté vif, par exemple un mariage forcé. Cela les amène à réfléchir aux douleurs ressenties lors des relations sexuelles, et donc aux problèmes engendrés par les mutilations sexuelles. Au début, elles ne souhaitent pas toujours s’ouvrir, elles considèrent parfois que des soignants blancs ne peuvent pas comprendre. Cela peut être assez long de gagner leur confiance.
Cela passe par l’écoute bienveillante, où l’on n’adopte jamais une posture de “sachants”. Une fois cette confiance acquise, nous abordons des questions plus techniques. D’abord, définir quel type d’excision elles ont subi. Ces femmes ne regardaient pas leur sexe ; on le leur montre avec un miroir. Ensuite, nous abordons les solutions, dont la chirurgie n’est qu’une composante.
L’I. M. : Comment se passe la prise en charge des patientes décidées à pratiquer une réparation ?
F. M. : Le principe est d’offrir une chaîne de réponse complète. Les femmes sont d’abord accueillies par une IDE spécialisée dans l’écoute, ce qui favorise la libération de la parole. Cette soignante hiérarchise les demandes et besoins, puis oriente la patiente vers les professionnels.
S’il y a des fuites urinaires, par exemple, ce sera la gynécologue. Nous travaillons en équipe pluridisciplinaire avec des psychologues spécialisés dans le psychotraumatisme, des professionnels du bien-être (ostéopathes, masseurs), mais aussi des juristes et des travailleurs sociaux. Nous ne voulions pas de rupture dans le parcours de ces femmes car la justice est aussi un élément de la réparation. Tout est imbriqué : une femme en très mauvais état de santé ne pourra pas aller vers un juriste. La question sociale est aussi très importante, il faut un contexte de vie stable – en particulier un logement – pour pouvoir assurer le suivi postopératoire. Ce n’est qu’une fois ces questions traitées, et cela peut nécessiter une dizaine de rendez-vous, que la chirurgie devient possible.