La santé ne fait pas partie des thèmes du « grand débat national » ouvert par Emmanuel Macron en janvier. Ce qui n’a pas empêché patients et soignants de faire entendre leurs voix. Les IDE ont rejoint ce chœur du monde de la santé… mais avec une certaine retenue.
Une centaine de débats sur l’ensemble du territoire. » C’est le nombre de réunions que la Mutualité française revendique avoir organisées dans le cadre du « grand débat national », lancé par l’exécutif au début de l’année en réponse à la crise des Gilets jaunes. Les médecins ne sont pas en reste : leur conseil national de l’Ordre a ouvert au début du mois de février une plateforme numérique sur laquelle chaque praticien peut faire ses propositions.
Des initiatives sont également venues du côté de Samu-urgences de France (urgentistes) et de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF, médecins libéraux), notamment. Les patients n’étaient pas en reste avec, par exemple, une réunion organisée le 15 mars par le collectif France Assos santé, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca).
Et les infirmières ? Elles semblent divisées face à l’initiative gouvernementale. Certaines organisations affichent même une franche réticence sur le sujet. « Nous n’organisons rien dans le cadre du grand débat, nous n’y croyons pas du tout, lâche Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI-CFE-CGC). Il n’y a aucune volonté de tenir compte de ce qui sera dit lors de ce grand débat : pourquoi aller parler pour que, finalement, rien ne soit retenu ? »
Une hostilité qui n’a pas empêché Thierry Amouroux de participer, en janvier, à l’émission co-animée par Cyril Hanouna et Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, dans le cadre du grand débat. « J’y suis allé pour porter une revendication forte : le passage de l’Ondam(1)à 4 %, se défend le leader syndical. Et c’était l’occasion de toucher le grand public dans une émission très suivie, d’alerter les téléspectateurs sur la situation dans les hôpitaux. »
Du côté de la Coordination nationale infirmière, autre grand syndicat d’infirmières salariées, le ton est moins hostile, mais on souligne que l’essentiel ne se situe pas dans ce cadre. « Nous n’avons pas apporté de contribution écrite au grand débat », indique Nathalie Depoire, présidente de la CNI, qui explique que les efforts portent plutôt sur les amendements à apporter à la loi Santé en préparation. « Nous travaillons à ce sujet avec les conseillers techniques au ministère de la Santé ou à l’Élysée », glisse la militante.
Pour trouver la contribution des infirmières au grand débat, mieux vaut tourner ses regards du côté des libérales. La Fédération nationale des infirmiers (FNI), syndicat majoritaire dans le secteur, a ainsi organisé sur Internet « le grand débat des Idel ». « Quand on a dé?couvert que la santé était absente des thématiques officielles du grand débat, alors qu’il s’agit d’une des préoccupations majeures des Français, nous avons trouvé cela extrêmement curieux », raconte Daniel Guillerm, président de la FNI. C’est pourquoi son organisation a mis en place une plateforme permettant de répondre à une vingtaine de questions fermées, ainsi que de faire des contributions libres.
Mi-mars, la FNI avait comptabilisé 7 876 réponses au questionnaire fermé et 1 463 contributions libres, puis les avait résumées en un document de synthèse regroupant dix propositions(2), qui tendent toutes vers un objectif commun : faire grandir le champ de compétence des Idel. On peut notamment citer l’instauration d’une consultation infirmière de première ligne, ou encore l’élargissement du droit de prescription de la profession. La FNI explique qu’elle entend porter officiellement ces dix idées dans le cadre du grand débat. Mais Daniel Guillerm indique que son objectif est avant tout de les utiliser pour obtenir, via des parlementaires sensibilisés, des amendements à la loi Santé en cours de vote à l’Assemblée, ou encore pour l’infléchir une fois qu’elle en sera à l’étape des décrets d’application.
Le président de la FNI assume d’ailleurs totalement cette stratégie d’instrumentalisation du grand débat. « Si nous ne voulons pas que nos contributions soient noyées dans la masse de toutes celles apportées au débat, nous avons intérêt à utiliser nos propres réseaux pour les porter », affirme-t-il.
Toujours dans le monde des libérales, une initiative intéressante est venue du côté de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) infirmières de la région Paca. Cette dernière a utilisé un forum sur le plan « Ma Santé 2022 », organisé mi-mars à Marseille, pour se faire également entendre dans le cadre du grand débat. « Nous avons décidé de participer pour que les professionnels, qui sont sur le terrain et qui travaillent tous les jours, puissent nous faire part de leurs initiatives », explique Lucienne Claustres, présidente de l’URPS. Un site(3) a donc été mis en place pour que les infirmières puissent répondre à quelques questions ouvertes : « Quel est aujourd’hui votre sentiment sur votre profession ? », « Comment voyez-vous l’avenir de votre profession compte tenu [du plan] “Ma santé 2022” ? », etc. L’URPS entend compiler les contributions reçues (elles étaient une centaine à la mi-mars) afin d’en faire un livre blanc qu’elle remettra à la préfecture. « Ces contributions traduisent la démoralisation, l’insécurité et l’inquiétude qui règnent chez les infirmières actuellement, fait remarquer Lucienne Claustres. Mais il en ressort également des propositions pour essayer d’avancer, notamment sur le travail en équipe, où les infirmières libérales demandent à s’impliquer encore davantage. »
Reste que la plus grande contribution des infirmières au grand débat ne viendra peut-être pas des organisations, mais des professionnelles elles-mêmes, à titre individuel. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil sur le site Granddebat.fr, qui recueille les contributions des Français sur les quatre thématiques définies par le gouvernement : transition écologique ; démocratie et citoyenneté ; fiscalité et dépenses publiques ; et enfin, organisation de l’État et des services publics. Sous ce dernier thème, les contributions émanant d’infirmières sont nombreuses. « Augmenter les salaires des infirmières ! Arrêter de supprimer des postes dans les établissements de santé ! Embaucher plus d’infirmières dans les services ! Plus de reconnaissance de notre métier ! », s’exclamait par exemple une certaine Chris, le 11 février. « Les infirmières existent, on ne les voit pas car elles travaillent beaucoup, mais elles ne sont pas des nonnes et veulent être rémunérées à la juste valeur des soins prodigués », écrivait la veille une infirmière libérale sous le pseudonyme de BM68.
D’autres contributions se voulaient plus pragmatiques, en touchant notamment à des sujets tels que celui de la retraite. « Depuis deux ans, j’essaie de demander un dossier de rétablissement de mes trimestres faits à l’hôpital sans succès, et ce malgré l’aide de médiateurs », se désolait une certaine 31CH le 24 février. Reste à savoir ce que les algorithmes et les responsables politiques chargés de faire la synthèse des contributions au grand débat feront de tout cela. Réponse à partir du mois d’avril !
1- Objectif national de dépenses de l’Assurance maladie.
Le « groupe des 26 » a encore frappé. Ce rassemblement informel de représentants des usagers, de médecins, de paramédicaux ou encore de directeurs avait fait parler de lui début 2018, en émettant des propositions pour l’hôpital public. Il a fait connaître en février sa contribution au grand débat, qui prend la forme de quatre grandes idées.
→ Faire en sorte que les soignants du public puissent bénéficier de l’équivalent de l’augmentation de la prime d’activité, qui avait permis d’annoncer en début d’année une hausse du Smic pour les salariés du privé.
→ Élargir les directoires des établissements de santé à la présence des patients, avec une voix consultative.
→ Renforcer les moyens des directions départementales des ARS pour conduire la transformation des organisations territoriales.
→ Créer une « task-force », composée de représentants de patients et de professionnels de santé, et chargée de formuler un avis obligatoire sur les textes gouvernementaux portant sur le secteur.
« Nous nous sommes dit qu’il fallait absolument que nous mettions quelque chose sur la table dans le cadre du grand débat », explique Nathalie Depoire, présidente de la CNI et membre du groupe des 26. L’IDE estime que ce collectif est un bon espace pour cela, car il s’agit selon elle d’un ensemble de professionnels expérimentés, partageant de nombreux points de consensus. Son espoir pour le grand débat ?
« Que les choses changent, et que les grands absents de la loi Santé, dont la première rédaction est très médico-centrée, ne soient pas oubliés. »