L'infirmière Magazine n° 403 du 01/04/2019

 

SECRET MÉDICAL

SUR LE TERRAIN

MON QUOTIDIEN

PHILIPPE SVANDRA*   AURÉLIE VION**  


*formateur/consultant, cadre supérieur de santé, docteur en philosophie

Interrogeant à la fois les notions de confidentialité, de respect de la vie privée et de l’intimité du patient, mais aussi de morale et d’éthique, la question ne peut appeler une réponse nette et tranchée. « Le juriste s’interrogera pour savoir si cela est légal ou illégal (notamment en termes de secret professionnel), le moraliste cherchera à savoir si cela est bien ou mal en termes déontologiques (par rapport au respect des devoirs de sa profession), indique Philippe Svandra, formateur/consultant, cadre supérieur de santé et docteur en philosophie. Pour ma part, je souhaiterais poser la question en termes d’éthique pratique, en reformulant la question ainsi : est-il souhaitable ou non de parler des patients avec ses collègues en dehors de son lieu de travail ? Autrement dit, est-il bénéfique ou risqué, pour moi-même et mes collègues, de le faire ? » À première vue, mieux vaudrait éviter de parler des patients en dehors de son lieu de travail, quand bien même on le ferait avec des collègues. Il en va tout d’abord du respect du secret professionnel (lire ci-dessous). Deuxième raison : parce qu’il est recommandé de bien faire la séparation entre vie professionnelle et vie privée. « Marquer nettement cette différence permettrait de lutter contre le débordement de la vie professionnelle sur les relations d’amitié (et inversement), note Philippe Svandra. Toutefois, cette volonté d’opposer vie professionnelle et privée est-elle seulement possible et véritablement tenable dans la réalité ? » Ce n’est pas parce que la blouse blanche est raccrochée au vestiaire que l’on oublie aussitôt les échanges parfois bouleversants que l’on a pu avoir avec les malades. « Nos collègues, du moins ceux en qui nous avons confiance, sont alors sûrement les mieux à même de nous comprendre, mieux assurément que ceux qui ne connaissent pas les difficultés mais aussi les bonheurs de nos métiers », plaide Philippe Svandra.

VERTU CATHARTIQUE ?

→ Pour la psychologue du travail Pascale Molinier(1), il est non seulement inévitable mais aussi bénéfique de pouvoir parler des malades hors du travail. Ces échanges présenteraient une dimension de catharsis, un « lâcher pulsionnel » bénéfique. « Il y aurait selon elle une vertu quasi thérapeutique à parler des malades – mais aussi des collègues, des cadres ou des médecins – hors du contexte du travail, souligne Philippe Svandra. Loin de tout jugement moralisateur hors contexte, ces moments de lâcher-prise, voire parfois d’autodérision, seraient donc nécessaires car ils nous aideraient à mieux supporter la vulnérabilité, la maladie, la souffrance et la mort de ceux que nous soignons au quotidien. »

1 - Pascale Molinier, « Éthique et bouts de ficelles », dans la revue en ligne « Psychiatrie, psychanalyse et sociétés ». À consulter sur : bit.ly/2SiJ8E0.

LES BONNES PRATIQUES

→ Privilégier la prudence. Éviter de parler à tort et à travers ou dans des lieux inappropriés (à la cantine, au café…).

→ Respecter l’anonymat des patients. Taire le nom du patient (en l’appelant Mme X.) n’est pas toujours suffisant.

→ Attention au partage d’informations sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, y compris sur les groupes fermés…). La règle d’or reste toujours la même : respecter l’anonymat du patient. L’infirmier est responsable de ce qu’il publie.

→ En libéral, ne pas oublier de toujours demander l’accord du patient avant de transmettre des informations aux autres professionnels de santé.

Le point de vue de l’avocat

→ Pour Gilles Devers, avocat au barreau de Lyon (69) et ancien infirmier hospitalier, il ne faut « en aucun cas » parler des patients entre collègues hors du lieu de travail, les infirmiers étant soumis au devoir de secret professionnel (article L. 4 314-3 du code de la santé publique).

→ Si la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades a autorisé le partage d’informations entre professionnels de santé, celui-ci n’est possible qu’à certaines conditions : « Le partage ne doit se faire qu’au sein d’une même équipe et pour ce qui est strictement nécessaire à la continuité et la coordination des soins, souligne Gilles Devers. Si le patient fait des confidences d’ordre familial ou politique par exemple, l’infirmière n’a pas à en parler. »

→ Chaque patient a droit à la protection de ses données privées, à l’hôpital comme au domicile. Les professionnels de santé sont les garants de cette confidentialité qui permet d’instaurer la confiance indispensable à une bonne prise en charge. Parler d’un patient en dehors de son lieu de travail constituerait alors une violation du secret professionnel et de l’obligation de discrétion à laquelle sont soumis les infirmiers hospitaliers.