L'infirmière Magazine n° 404 du 01/05/2019

 

DOSSIER

VISITES À L’HÔPITAL

LISETTE GRIES  

Poussés par les familles et par les impératifs de la prise en charge, les soignants accordent une place de plus en plus large aux visiteurs dans les hôpitaux. Ce qui n’est pas sans incidence sur leurs pratiques professionnelles.

Il y a trente ans, la question de la place des familles ne se posait même pas. La réflexion a beaucoup évolué depuis », se félicite Nathalie Boutier, directrice de la coordination des soins du CH de La Rochelle - Ré - Aunis (Charente-Maritime). En effet, à la faveur du développement de valeurs humanistes dans les soins et sous la pression des familles et des associations, les portes des établissements se sont ouvertes aux proches, petit à petit. « On s’est rendu compte que les interdits étaient contournés en cachette, remarque Guylaine Payo, cadre du pôle cardiologie au CHRU de Nancy (Meurthe-et-Moselle). Il a bien fallu s’adapter. »

Ainsi, si les règlements stipulent presque tous que les visites ne sont autorisées que l’après-midi, dans les faits, une certaine souplesse est admise, voire encouragée. « En principe, les visiteurs peuvent venir à partir de 13 h, mais s’ils sont discrets, je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’ils soient présents dès midi, pour participer au déjeuner », annonce Brigitte Bertotto, directrice des soins de l’Institut mutualiste Montsouris, à Paris. Pour les patients, être entouré pendant les repas est plus agréable, mais cela peut aussi s’avérer utile. « Des personnes se sont retrouvées face à un plateau-repas avec des barquettes à ouvrir alors qu’elles étaient incapables de retirer les opercules », rapporte Bernard Perriguey, président de l’association Cardio Franche-Comté. Les familles peuvent aussi aider à la prise alimentaire directement. « Aujourd’hui, ce n’est pas une nécessité dans l’organisation des services, mais cela nous apporte un certain confort », reconnaît Nathalie Boutier.

Place à la confiance

Le CH de La Rochelle mène par ailleurs une concertation pour envisager d’ouvrir ses portes au-delà de 20?h, afin de permettre aux familles qui travaillent tard de rendre visite aux malades en soirée. « Nous acceptons les visites au-delà des horaires indiqués, nous nous adaptons au maximum aux contraintes des familles », détaille de son côté Carol Savaris, cadre dans un établissement de soins psychiatriques. Ailleurs, on permet aux familles de rester la nuit quand la situation le justifie : fin de vie, retour de bloc tardif, forte anxiété, ainsi que dans de nombreuses maternités (voir encadré p. 21). Certains services ont même décidé de ne plus imposer aucune restriction horaire pour les allées et venues, essentiellement en réanimation, en soins palliatifs et en oncologie.

C’est le cas du CH de Morlaix (Finistère), dont le service de réanimation est passé de créneaux très limités (15 h-16 h et 18 h-20 h) à une ouverture 24 h/24. « Nous avions beaucoup de demandes de dérogations », se remémore Sandrine Paugam, cadre dans le service. Inspirée par des exemples d’ouverture en continu dans d’autres établissements, l’équipe a constitué un groupe de travail sur cette question. En février 2018, les nouveaux horaires ont été inaugurés, de même qu’un élargissement du nombre de personnes autorisées dans la chambre, passant de deux à trois. « Les familles sont davantage intégrées aux soins, comme les repas, l’administration de traitement, le changement de seringue, etc. Mais, finalement, leurs visites durent globalement moins longtemps et elles demandent beaucoup moins à accéder au dossier du patient », observe Sandrine Paugam.

Pour l’équipe, un temps d’adaptation a été nécessaire. L’organisation des soins doit être plus souple et il faut pouvoir répondre aux questions des familles. « Cela nous demande aussi une certaine vigilance pour s’assurer que le patient n’est pas fatigué ou agacé. Quand c’est le cas, nous demandons aux proches d’écourter leur visite », détaille la cadre. Pour certains soins, les visiteurs sont invités à quitter la chambre. Là encore, des explications sont fournies. Afin de se préserver d’une trop forte sollicitation, les soignants proposent aux familles de « venir selon leurs disponibilités », sans dire explicitement que le service est ouvert « en permanence ». « Avec un an d’expérience, personne dans l’équipe ne souhaite revenir en arrière. La gestion des visites a gagné en fluidité et nos relations avec l’entourage des malades aussi », se félicite Sandrine Paugam.

Avec l’accord du patient

La raison de ces changements de cap : le bien-être du patient. « Quand on est hospitalisé, les visites des proches sont primordiales. Cela relève de la bientraitance », insiste Bernard Perriguey. Mais s’ouvrir à l’entourage, c’est aussi mettre un pied dans la complexité des relations familiales. Il arrive que le patient ne veuille pas de visites ou ne souhaite pas recevoir certaines personnes en particulier. « Le mieux, c’est d’en parler directement avec lui », suggère Brigitte Bertotto. Au besoin, une affiche sur la porte mentionne que les visites sont interdites, sans donner plus de précisions. « Les personnes autorisées par le patient viennent se présenter afin qu’on les identifie », ajoute-t-elle.

Même en psychiatrie, cette démarche est nécessaire. « Parfois, nous pensons que les personnes que le patient considère comme ses proches entretiennent avec lui des relations toxiques, mais nous devons respecter son choix et ne pas décider à sa place », confie Carol Savaris. L’équipe peut aussi avoir un rôle de médiateur pour apaiser des situations conflictuelles. Les visites sont également l’occasion d’observer le système familial afin de mieux comprendre certains symptômes. « Si la famille fait partie du problème, il ne sert à rien de l’écarter puisque c’est là que retournera le patient à la fin de son hospitalisation, remarque-t-elle. La plupart du temps, cependant, les familles deviennent de vrais partenaires de la prise en charge. »

Et pendant les soins ?

Ce postulat est aussi défendu par l’association Sparadrap, qui milite pour que les parents soient associés aux soins prodigués à leurs enfants(1). « Même si les choses ont bien évolué ces quinze dernières années, il reste du chemin à parcourir », regrette Myriam Blidi, chargée de projets et de formation. Pour les hospitalisations courtes, notamment, ou pour des pathologies jugées bénignes, les parents ne sont pas toujours autorisés à rester en permanence avec leur enfant et les autres proches (grands-parents, amis de la famille, etc.) sont rarement acceptés. « Or, pour l’enfant, c’est un moment important de sa vie, qu’il ne peut traverser sereinement qu’en étant entouré », insiste-t-elle. Le problème se pose également pour les soins d’ordre médical. Les soignants préfèrent souvent être tranquilles pour réaliser des gestes douloureux ou précis. « Il est moins anxiogène pour un parent d’être présent auprès de son enfant qui souffre plutôt que de l’entendre pleurer sans pouvoir réagir », souligne Myriam Blidi. Elle conseille aux soignants de confier un rôle aux parents : distraire l’enfant, lui faire des câlins, etc. « Lorsque les parents sont présents, les prescriptions d’antalgiques augmentent : ils savent mieux que quiconque reconnaître les signes de douleur de leur enfant », remarque-t-elle.

Pour les adultes aussi, la présence des proches pendant les soins pose problème. La plupart des équipes leur demandent de sortir, en invoquant des raisons d’hygiène ou pour éviter de les choquer par des soins impressionnants. « Les soins restent un moment privilégié pour maintenir la relation de confiance entre soignants et soignés », avance aussi Nathalie Boutier. Pour les associations, cette demande est relativement injustifiée. « Tant que le patient est d’accord, le conjoint ou la personne de confiance devrait pouvoir assister aux soins », plaide Bernard Perriguey.

Il n’est pas improbable que cette revendication soit acceptée dans les années à venir. « L’implication de l’entourage dans la prise en charge va se développer, prédit Nathalie Boutier. Quand une personne est opérée en ambulatoire, on compte sur les proches pour les soins à domicile. Il est donc logique qu’on leur laisse aussi la place qu’ils réclament lors de séjours hospitaliers. »

1 - L’association propose des conseils et des ressources afin de mieux associer les parents aux soins, qui sont disponibles sur son site internet : bit.ly/2HRReSo

CANADA

Jusqu’en salle de réveil

En 2015, la Fondation canadienne pour l’amélioration des soins (Canadian Foundation for Healthcare Improvement - CFHI) a lancé une campagne intitulée « Better together », visant notamment à proposer aux personnes opérées de se réveiller en présence d’un proche. À l’hôpital Humber River de Toronto, l’entourage peut suivre par SMS ou sur un écran en salle d’attente où en est le patient. Une étude menée auprès des IDE du service met en évidence les bénéfices de cette solution : 100 % d’entre elles estiment que la présence des proches est bénéfique pour le patient et 80 % pensent même que cette présence est bénéfique pour l’équipe infirmière(1).

En pédiatrie, une étude menée en 2010 par l’université de Calgary a mis en évidence que la présence d’un parent en salle de réveil n’avait pas d’incidence sur les pleurs des enfants(2). En revanche, ceux qui se sont réveillés en étant accompagnés ont moins souffert de troubles du comportement dans les deux semaines qui ont suivi l’opération (46 % vs 29 %). La pratique semble relativement commune au Canada, mais reste encore exceptionnelle de ce côté de l’Atlantique.

1 - À lire sur : bit.ly/2HCMj8C

2 - À lire sur : bit.ly/2HMhe1v

MATERNITÉ

Les portes se ferment

Dans les maternités, où il était de coutume de venir en nombre pour rendre visite à la jeune mère et au nouveau-né, le mouvement est plutôt à contre-courant des autres services. « Les séjours se sont réduits à trois jours en moyenne : l’important est de permettre à la mère de se reposer », explique Christine Macquet, cadre du pôle gynécologie-obstétrique du CHRU de Nancy (54). Ces quelques jours doivent aussi permettre de démarrer l’allaitement et demandent donc que l’intimité des mères et des bébés soit préservée. Quand les visiteurs sont trop nombreux ou restent trop longtemps, les équipes interviennent. À l’Institut mutualiste Montsouris de Paris (75), les visites ne sont autorisées que de 16 h à 20 h. « Les familles ont parfois du mal à comprendre, mais les femmes nous remercient », sourit Christine Macquet.

Seule exception : le père, ou la personne accompagnante, qui a gagné une place de choix. Des lits sont de plus en plus souvent proposés pour qu’ils puissent même passer la nuit à la maternité. « On a dû se ré-équiper en lits d’appoint pour répondre à toutes les demandes », constate Christine Macquet. Ils sont également invités à participer à tous les soins prodigués au bébé, voire à la mère, afin de favoriser un retour à domicile dans de bonnes conditions.

La présence des fratries est également autorisée afin de leur permettre de rencontrer le bébé et de se rassurer sur l’état de leur mère. Mais les équipes conseillent des visites courtes, pour éviter qu’elles ne tournent au vinaigre.