Pascale THIBAULT-WANQUET, Auteur des ouvrages « Les aidants naturels auprès de l’enfant à l’hôpital » (Masson, 2008) et « L’adulte hospitalisé : travailler avec la famille et l’entourage » (Masson, 2016)
DOSSIER
INTERVIEW
Ancienne cadre supérieure en puériculture, responsable de formation continue (Asmaé santé) et rédactrice en chef d’Objectifs soins et management, Pascale Thibault-Wanquet décortique les freins à la présence élargie des proches à l’hôpital.
L’Infirmière Magazine : Qui désignez-vous par le terme « aidants naturels » ?
Pascale Thibault-Wanquet : Il s’agit de toutes les personnes (famille, amis, voisins, etc.) qui aident un patient dans ses difficultés en lien avec la maladie. En France, on considère que les aidants ne sont que bénévoles. Au Canada, à l’inverse, on inclut des personnes rémunérées pour cette mission. Ce qui est au cœur de cette notion, c’est la relation d’affectivité et d’intention qui lie l’aidant au patient.
L’I. M. : Sont-ils toujours les bienvenus à l’hôpital ?
P. T.-W. : Non. Les règlements ont tendance à exclure certaines personnes des visites. Ainsi, en néonatalogie, les parents sont souvent les seuls autorisés, même si des visites peuvent être organisées pour la fratrie. Mais les grands-parents doivent souvent rester de l’autre côté de la porte. En pédiatrie, ce sont les amis ou la nounou qui sont encore trop peu acceptés. Même les parents sont vus avec une certaine méfiance : ils sont souvent invités à quitter la chambre durant les soins. Aux urgences adultes, le patient ne peut en général pas être accompagné. Pourtant, il est important pour le malade et pour son entourage d’avoir l’appui de toutes les personnes de bonne volonté.
L’I. M. : Pourquoi les établissements limitent-ils les visites ?
P. T.-W. : Ils évoquent le risque d’agression pour les soignants. Les locaux sont aussi parfois inadaptés, avec des petits box séparés par de simples rideaux. Les directions imposent donc un règlement, qui fixe les horaires de visite et interdit souvent l’accès aux enfants de moins de 15 ans. Ces textes sont le résultat d’actualisations successives apportées aux premiers règlements, instaurés à la fin du XIXe siècle. À cette époque, l’extérieur était vu comme une source de risque infectieux, mais les parents étaient aussi généralement considérés par les professionnels comme inaptes à prendre leurs enfants en charge. Cette méfiance originelle infuse encore les cultures de service.
L’I. M. : Les soignants sont donc eux-mêmes réticents à une plus grande présence des proches ?
P. T. -W. : Je crois qu’ils sont mal à l’aise d’être sous le regard de l’entourage, à qui ils ne font pas spontanément confiance. Ils se sentent moins observés et travaillent sans crainte d’être jugés quand les aidants sortent pendant les soins, notamment. Il y a aussi une forme de jeu de pouvoir : dans une configuration de soin classique, le professionnel a de l’ascendant sur le patient. Le visiteur bouscule cette relation. On observe aussi une certaine arrogance de la part des soignants. De là découlent des erreurs de communication importantes, qui peuvent engendrer des tensions, voire des conflits, qui servent ensuite de justification aux restrictions des visites.
L’I. M. : De votre côté, vous prônez une présence élargie des aidants…
P. T.-W. : Oui, dans la mesure où le patient est d’accord. Il faut échanger avec lui pour comprendre ce qui est important pour lui. Pour les enfants, la place des parents est à leurs côtés. J’ai commencé ma carrière dans les années 1970 dans un service de pédiatrie avant-gardiste, où les parents avaient toute leur place. J’ai lutté ensuite pour la levée des résistances d’autres établissements. Depuis quelques années, la notion de proximologie s’est développée, surtout pour l’accompagnement des personnes âgées dépendantes. Dans cette conception, les aidants naturels sont des éléments déterminants de la prise en charge des malades. De façon générale, on peut considérer que lorsqu’une personne est en position de vulnérabilité, ce qui est souvent le cas quand on est hospitalisé, elle a besoin de ses repères affectifs.
L’I. M. : Quelles sont les conditions nécessaires pour une cohabitation apaisée entre les soignants et les proches ?
P. T.-W. : Il faut que les soignants soient convaincus que la place des proches est là, à l’hôpital. C’est encore plus vrai pour les enfants : quand ils sont en danger, les parents ont un réflexe quasi animal de protection. Il faut en tenir compte. En cas d’agressivité, on pourra apaiser les tensions en se souvenant de ce mécanisme de protection. De plus, les proches peuvent être intégrés aux soins, il faut leur donner un rôle pour qu’ils ne restent pas des spectateurs impuissants. Les équipes doivent également apprendre à mieux communiquer avec les familles.