L'infirmière Magazine n° 404 du 01/05/2019

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

THIERRY PENNABLE  

L’antibiorésistance des bactéries est un phénomène naturel, amplifié par l’utilisation massive des antibiotiques. La perspective d’une inefficacité de ces médicaments oblige à agir en urgence contre le développement et la diffusion des bactéries résistantes.

1. RAPPEL SUR LES BACTÉRIES

On distingue :

→ Les bactéries commensales, qui sont normalement présentes à la surface de la peau et des muqueuses (voies aériennes supérieures, tube digestif et cavité vaginale). Elles n’entraînent généralement pas d’infection mais peuvent devenir pathogènes en cas d’altération des défenses immunitaires ou de geste invasif (voir bactéries opportunistes ci-après).

→ Les bactéries saprophytes, qui vivent aux dépens de l’organisme, au niveau de la peau, du tube digestif ou de la flore vaginale. Elles se nourrissent des déchets générés par l’organisme et participent à leur dégradation. Habituellement inoffensives pour l’homme, les bactéries saprophytes peuvent devenir pathogènes en cas d’immunodépression (voir bactéries opportunistes ci-après).

→ Les bactéries pathogènes, qui comprennent :

• Les bactéries pathogènes strictes, ou spécifiques, qui sont des bactéries responsables de maladies sauf dans le cas des porteurs sains. C’est par exemple le cas pour le bacille de Koch (Mycobacterium tuberculosis), responsable de la tuberculose : environ 90 % des personnes infectées ne développent pas la maladie et sont asymptomatiques et pas contagieuses, alors que la tuberculose devient active, symptomatique et contagieuse chez 5 à 10 % des personnes infectées, notamment en cas de système immunitaire affaibli (VIH, malnutrition, diabète…).

• Les bactéries opportunistes habituellement inoffensives, qui deviennent pathogènes lorsque les défenses de l’hôte sont affaiblies. Par exemple en cas de rupture de la barrière cutanéomuqueuse (épiderme ou couche cornée de la peau ou épithélium des muqueuses), de baisse de l’immunité ou d’antibiothérapie entraînant leur sélection et leur prolifération. Les bactéries opportunistes sont souvent des bactéries commensales (ex. : entérocoque, Escherichia coli, Staphylococcus epidermidis), parfois des bactéries saprophytes (ex. : Pseudomonas aeruginosa).

2. L’ANTIBIORÉSISTANCE DES BACTÉRIES

La capacité d’une bactérie à résister à l’action d’un ou plusieurs antibiotiques, l’antibiorésistance, s’explique par différents mécanismes (voir schéma p. 39). Cette résistance peut être :

- naturelle : lorsqu’une bactérie dispose naturellement de mécanismes de résistance qui la rendent insensible à certains antibiotiques ;

- acquise : lorsqu’une bactérie, jusqu’alors sensible à un antibiotique, développe par mutations génétiques des mécanismes de défense qui diminuent ou annulent l’action de cet antibiotique.

Acquisition d’une résistance

Une bactérie auparavant sensible peut devenir résistante à un ou plusieurs antibiotiques par :

- une mutation génétique affectant le chromosome de la bactérie pendant la division cellulaire (transmission verticale). Dans ce cas, le gène de la résistance est transmis de la cellule mère à la cellule fille lors de la multiplication des bactéries. Il n’y a pas de transmission aux bactéries présentes à proximité ;

- un échange de matériel génétique (plasmide, transposon) entre bactéries qui peuvent être d’espèces différentes (transmission horizontale). Autrement dit, une résistance développée chez une espèce bactérienne peut être transmise à d’autres espèces, ce qui contribue à l’expansion et à la diffusion du mécanisme de résistance. Ces résistances dites « plasmidiques » sont beaucoup plus nombreuses que les résistances acquises par mutation génétique, et représenteraient 80 % des résistances acquises(1).

Le rôle des antibiotiques

Pression de sélection des antibiotiques

L’antibiorésistance acquise par des souches de bactéries jusqu’alors sensibles à un ou plusieurs antibiotiques est un phénomène naturel dû à la survenue de mutations génétiques à l’occasion de la multiplication très rapide des bactéries. Les antibiotiques ne créent pas par eux-mêmes de résistance chez les bactéries, mais ils accélèrent la diffusion des résistances dans les populations bactériennes en exerçant une pression de sélection. Ce phénomène est dû au fait qu’un antibiotique administré élimine les bactéries qui sont sensibles à son action et laisse se développer les bactéries résistantes qui vont alors se multiplier.

Au-delà du foyer infectieux

L’objectif d’un traitement par antibiotique est d’éliminer les bactéries responsables d’une infection, ce qui expose à un risque de sélection de mutants résistants au sein de l’espèce bactérienne du foyer infectieux ciblée par le traitement. Toutefois, « ce qui est plus problématique, c’est le risque de sélection de souches résistantes dans la grande variété de bactéries présentes dans les flores commensales de l’organisme, les flores intestinale, rhino-pharyngée et cutanée. Alors que le foyer infectieux en lui-même ne contient en général qu’une sorte de bactérie », souligne le Pr Vincent Jarlier, ex-chef du laboratoire de bactériologie-hygiène des hôpitaux universitaires Pitié-Salpêtrière, à Paris. Sachant que tous les antibiotiques exercent une pression de sélection au-delà des bactéries ciblées, y compris les antibiotiques à spectre étroit actifs sur peu d’espèces bactériennes. « D’un point de vue écologique, les conséquences de la pression de sélection exercée sur les un à dix millions de bactéries ciblées dans le cas d’une cystite ne sont pas comparables avec celle exercée parmi les mille milliards de bactéries contenues par gramme de matière fécale », fait remarquer Vincent Jarlier. Dans un deuxième temps, le risque est que les nombreuses bactéries qui composent les flores commensales de l’organisme transfèrent leur résistance à des espèces bactériennes pathogènes, potentiellement responsables d’infections devenues difficiles à traiter.

Adaptabilité des bactéries

« La résistance des bactéries évolue dans le temps, rappelle le Dr Véronique Wattez, médecin hygiéniste de l’équipe opérationnelle d’hygiène hospitalière du CH de Vienne (38). Lorsqu’une souche bactérienne devient résistante à une classe d’antibiotique et qu’une nouvelle classe d’antibiotique est découverte, celle-ci est utilisée et la bactérie peut alors développer une nouvelle résistance vis-à-vis de ce nouveau traitement et ainsi de suite. » Les pénicillinases capables d’inhiber l’action de certains antibiotiques du groupe des pénicillines sont apparues après l’introduction de la pénicilline dans les thérapeutiques. La découverte et l’utilisation des céphalosporines qui a suivi a provoqué une pression de sélection qui a favorisé le développement des bactéries produisant des β-lactamases à spectre étendu (voir les EBLSE p. 42). S’ensuit une utilisation accrue des antibiotiques carbapénèmes pour traiter ces bactéries produisant des BLSE, qui mène à son tour à la sélection des bactéries résistant aux carbapénèmes, comme les entéro-bactéries productrices de carbapénèmases (voir les BHRe, p. 44). À ce stade, les options thérapeutiques sont rares, voire inexistantes.

Une ère post-antibiotique ?

« Si nous ne prenons pas des mesures d’urgence, nous entrerons bientôt dans une ère post-antibiotique dans laquelle des infections courantes et de petites blessures seront à nouveau mortelles », alertait l’Organisation mondiale de la santé en 2018(2). La pression de sélection exercée par les antibiotiques sur les populations bactériennes contribue à ce risque :

- par l’utilisation massive et répétée des antibiotiques, à bon ou mauvais escient, en santé humaine et animale. Sachant que les bactéries résistantes chez les animaux peuvent se transmettre à l’homme directement ou via la chaîne alimentaire ;

- et par la mauvaise utilisation des antibiotiques, qu’il s’agisse de traitements trop courts, trop longs ou à posologie inadaptée.

Conséquences de l’antibiorésistance

L’OMS pointe le fait que le développement de résistances aux antibiotiques qui peuvent toucher toute personne, à tout âge et dans n’importe quel pays :

- rend plus difficile le traitement d’un nombre croissant d’infections, comme la pneumonie, la tuberculose, la gonorrhée ou la salmonellose, les antibiotiques utilisés pour les soigner perdant leur efficacité ;

- entraîne une prolongation des hospitalisations, une augmentation des dépenses médicales et une hausse de la mortalité.

Lutte contre l’antibiorésistance

Un plan d’action mondial

En 2015, un plan d’action mondial a été élaboré en vue de combattre la résistance aux antimicrobiens, dont la résistance aux antibiotiques considérée comme la menace la plus urgente. Cinq objectifs stratégiques ont été définis :

- mieux faire connaître et comprendre le problème, « en faisant de la résistance aux antimicrobiens un élément fondamental de la formation [des] professionnels dans le secteur de la santé »(3) ;

- renforcer la surveillance et la recherche ;

- réduire l’incidence des infections grâce à des mesures d’assainissement, d’hygiène et de prévention des infections ;

- optimiser l’usage des agents antimicrobiens, et donc des antibiotiques ;

- garantir des investissements durables pour combattre la résistance aux antimicrobiens « et accroître les investissements dans la mise au point de nouveaux médicaments, outils diagnostiques, vaccins et autres interventions »(3).

Un meilleur usage des antibiotiques

L’objectif doit être de réduire et de mieux cibler la consommation d’antibiotiques, dont la France est parmi les premiers utilisateurs mondiaux, avec une consommation à la baisse dans les années 2 000 mais repartie aujourd’hui à la hausse, en particulier en ville. Pour cela, il conviendrait de(1) :

- distinguer les infections virales des infections bactériennes, notamment grâce aux tests de dépistage rapide sous-utilisés en France (car les antibiotiques n’affectent pas les virus) ;

- choisir un antibiotique pertinent en évitant l’utilisation systématique d’antibiotiques précieux, récents ou à large spectre, lorsque d’autres plus courants, ou à spectre plus étroit, sont aussi efficaces ;

- adapter la cure aux besoins, par exemple en limitant la durée des traitements au strict nécessaire et en réévaluant l’intérêt d’une antibiothérapie probabiliste dans les quarante-huit à soixante-douze heures avec les résultats du laboratoire.

Des précautions d’hygiène

Les précautions d’hygiène appliquées lors des soins visent à prévenir la transmission croisée des micro-organismes et à minimiser le risque de leur diffusion (lire p. 47).

3. LES BMR

Les bactéries multi-résistantes (BMR) sont résistantes à plusieurs familles d’antibiotiques et ne sont plus sensibles qu’à un petit nombre d’antibiotiques disponibles en thérapeutique. La multi-résistance des BMR limite les possibilités thérapeutiques en cas d’infection et marque une étape vers l’« impasse thérapeutique », c’est-à-dire vers l’absence de traitement disponible pour lutter contre des infections à ces bactéries (voir schéma p. 41).

Des objectifs sanitaires pragmatiques

« Les critères qui président à l’identification des BMR devant faire l’objet d’une lutte contre les transmissions croisées relèvent de choix rationnels, explique le Pr Vincent Jarlier. Cela concerne des espèces commensales à risque de diffusion importante dans la population et donc pas les bactéries hautement pathogènes, agressives, responsables de maladie contagieuse, comme le bacille de la tuberculose, le gonocoque ou le méningocoque, bien qu’il existe des bactéries résistantes dans ces espèces. » Il peut paraître étonnant que des bactéries comme Acinetobacter baumannii ou Pseudomonas aeruginosa, espèces bactériennes parfois opportunistes et à l’origine d’infections nosocomiales, chez lesquelles il existe des souches résistantes à de nombreux antibiotiques, ne fassent pas l’objet d’un objectif sanitaire global étendu à tous les services des établissements de santé. « Ces bactéries n’étant pas commensales et pas responsables d’infections communautaires, elles ne font donc pas l’objet d’un objectif sanitaire global. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas lieu de prendre en charge une épidémie à ces bactéries à un moment donné dans un service particulier », précise le spécialiste.

Des critères rationnels

Les critères qui président à l’identification des BMR devant faire l’objet d’un objectif sanitaire global, étendu à tous les services des établissements de santé, relèvent de choix pragmatiques. Les BMR concernées sont des bactéries :

- commensales, normalement présentes dans l’organisme et donc facilement transmissibles d’homme à homme lors des soins ;

- responsables de nombreuses infections humaines dans leurs formes sensibles aux antibiotiques. Des espèces dites opportunistes, retrouvées dans les infections nosocomiales causées par exemple par le port de cathéter, les injections ou les interventions chirurgicales. Ce qui est particulièrement le cas pour Escherichia coli et Staphylococcus aureus ;

- devenues multirésistantes par modification génétique, ce qui complique le traitement en cas d’infection ;

- pour lesquelles il s’agit d’éviter l’impasse thérapeutique ;

- dont il est possible de bloquer la transmission d’homme à homme par des mesures d’hygiène, et d’éviter la fuite de l’hôpital vers la ville.

BMR commensales

Les BMR commensales ont rapidement fait l’objet de programmes nationaux ou locaux de lutte contre les infections nosocomiales à cause :

- de leur fréquence ;

- de leurs conséquences en termes de morbidité et de mortalité en cas d’infection ;

- du risque de diffusion communautaire de leur résistance aux antibiotiques.

« Staphylococcus aureus » résistant à la méticilline (SARM)

→ « Commensal » et pathogène. Staphylococcus aureus, le staphylocoque doré, considéré comme faisant naturellement partie de la flore bactérienne de la peau et des muqueuses et dont 30 à 50 % de la population est porteur sain(4), est aussi une bactérie pathogène pour l’homme à l’origine de multiples infections, lésion cutanée de type furoncles, panaris, impétigo et autres, endocardite, pneumonie aiguë, ostéomyélite ou septicémie. Les Staphylococcus aureus les plus dangereuses sont les souches multi-résistantes aux antibiotiques, dont fait partie le SARM ;

- l’appellation SARM n’étant pas exactement adaptée car ces bactéries sont aussi résistantes à d’autres antibiotiques que la méticilline. Les infections entraînant des pathologies surviennent à l’occasion de ruptures de la barrière cutanée (blessures), d’interventions chirurgicales ou lors de l’affaiblissement des défenses immunitaires dû à des maladies ou des traitements.

→ Dépistage(5)

• Dès l’admission du patient. Le dépistage du SARM est préconisé dès l’admission dans tout secteur d’hospitalisation, en réanimation, médecine chirurgie obstétrique (MCO), soins de suite et de réadaptation (SSR), soins de longue durée (SLD).

En réanimation :

- chez les patients à haut risque d’infection (patients dialysés chroniques, porteurs de cathéter central de longue durée, greffés hépatiques…) ;

- chez tous les patients en cas d’épidémie de SARM récente ou présente (mais pas dans les secteurs à faible fréquence de SARM en l’absence de situation épidémique).

En MCO et SSR, si une politique de dépistage est décidée par l’établissement, le dépistage est recommandé à l’admission :

- en situation d’épidémie récente ou installée ;

- pour les patients à risque de portage de SARM (dialysés chroniques, porteurs de cathéter central de longue durée, greffés hépatiques…).

En SLD, si une politique de dépistage est décidée par l’établissement (sans aute critère spécifique).

• En cours de séjour. En service de réanimation, un dépistage régulier est recommandé si un dépistage a été effectué à l’admission.

Entérobactéries produisant des β-lactamases à spectre étendu (EBLSE)

Sont en particulier visées Escherichia coli et Klebsiella pneumoniae :

→ « Escherichia coli », aussi appelée E. coli ou colibacille, est une bactérie commensale de l’intestin de la plupart des mammifères, mais pathogène dans des localisations extra-intestinales. Selon sa localisation, elle peut être responsable de méningites, abcès, péritonites, septicémies et surtout d’infections urinaires. E. coli partage avec Staphylococcus aureus le premier rang des germes responsables d’infections nosocomiales(4).

→ « Klebsiella pneumoniae » est commensale de l’intestin humain et des voies aériennes supérieures. La bactérie est multi-résistante aux antibiotiques, certaines souches résistent aussi aux carbapénèmes, qui sont les antibiotiques les plus puissants. Certaines K. pneumoniae sont à l’origine d’infections nosocomiales des voies respiratoires et urinaires, d’autres sont responsables d’infections communautaires provoquant des abcès au foie, des septicémies et des pneumonies sévères pouvant entraîner la mort. La transmission des souches de K. pneumoniae en milieu hospitalier est surtout manuportée.

→ Dépistage des EBLSE(5). En réanimation, MCO et SSR, il est recommandé d’effectuer un dépistage de tous les patients à l’admission en situation d’épidémie récente ou installée. En SLD, il est recommandé de ne pas dépister EBLSE.

BMR saprophytes

« Acinetobacter baumannii » multi-résistant aux antibiotiques (ABRI)

Acinetobacter baumannii peut être présent sur la peau ou les muqueuses sans être pathogène. Chez les patients fragilisés, la bactérie souvent résistante à de nombreux antibiotiques (ABRI) peut être responsable d’infections parfois sévères, voire létales : infections pulmonaires, septicémies, infections de plaies ou de brûlures… Acinetobacter baumannii peut persister longtemps dans l’environnement hospitalier où sa transmission est manuportée.

→ Dépistage : le dépistage d’ABRI est recommandé à l’admission en réanimation et en MCO :

- pour tous les patients en situation d’épidémie récente ou installée ;

- pour des patients à risque de portage d’Acinetobacter baumannii (patients originaires de services, hôpitaux ou pays en situation épidémique ou endémique). Pour eux, un dépistage régulier en cours de séjour est aussi recommandé en réanimation.

« Pseudomonas aeruginosa » multi-résistants aux antibiotiques (PA)

Pseudomonas aeruginosa, aussi appelé bacille pyocyanique, saprophyte des sols et des eaux, est très répandu dans la nature. Il est aussi présent à l’état commensal dans les téguments et l’intestin chez l’homme. Longtemps considérée comme uniquement responsable de suppurations cutanées (surinfection de plaies, blessures, brûlures, escarres), la bactérie peut aussi être à l’origine d’infections pulmonaires, notamment chez les personnes atteintes de mucoviscidose, d’infections urinaires, de méningites ou encore de septicémies, en particulier en soins intensifs.

→ Le dépistage de Pseudomonas aeruginosa est recommandé à l’admission en réanimation en situation d’épidémie récente ou installée.

4. LES BHRE

« Les BMR sont des bactéries pour lesquelles il existe encore un arsenal thérapeutique. Les BHR émergentes (BHRe) sont plus difficiles à prendre en charge car elles sont résistantes à des classes thérapeutiques vis-à-vis desquelles les BMR ne sont pas résistantes, comme les glycopeptides ou les carbapénèmes, souligne le Dr Véronique Wattez. Les seuls moyens thérapeutiques alors disponibles pour traiter une infection à BHRe sont les associations d’antibiotiques pour prévenir l’apparition de nouvelles résistances, sachant que la bactérie est résistante à chacun de ces produits, ou le recours à de nouvelles molécules lorsqu’elles existent, ce qui est de moins en moins le cas. » Il n’est donc pas étonnant de retrouver ces BHRe sur la première liste de bactéries contre lesquelles il est urgent d’avoir de nouveaux antibiotiques, publiée en 2017 par l’OMS (voir encadré p. 42).

Définition des BHRe

Certaines bactéries multi-résistantes sont qualifiées de « hautement résistantes émergentes » (BHRE). « Hautement » car elles résistent à encore plus d’antibiotiques que les BMR. « Émergentes » car elles ne concernent jusqu’à présent que des cas sporadiques ou des groupes de personnes limités, ce qui n’est pas le cas du SARM et des EBLSE du fait de leur fréquence. Les BHRe sont des bactéries :

- commensales du tube digestif, donc à fort potentiel de diffusion tant à l’hôpital qu’en ville ;

- multi-résistantes à encore plus d’antibiotiques que les BMR ;

- émergentes en France ;

- dont les mécanismes de résistance sont transférables à d’autres espèces de bactéries. Vincent Jarlier cite l’exemple des « entérocoques résistant à quasiment tous les antibiotiques, dont les glycopeptides, et dont les mécanismes de résistance sont portés par les plasmides et sont donc mobiles. La découverte aux États-Unis de souches de SARM qui avaient intégré le gène résistant à la vancomicine [un antibiotique glycopeptide] a généré une forte inquiétude car il n’y avait plus de médicaments efficaces pour traiter ces infections à staphylocoque doré devenu hautement résistant. »

BHRe ciblées en France

En France, deux souches de bactéries correspondent à la définition des BHRe : les entérobactéries productrices de carbapénèmases (EPC) et les Enterococcus faecium résistants aux glycopeptides (ERG).

→ Les EPC. Les entérobactéries sont des bactéries commensales de l’intestin qui peuvent aussi être responsables de graves infections. Les carbapénèmases produites par certaines souches d’entérobactéries sont des enzymes qui inactivent les carbapénèmes, dernière génération des antibiotiques de la classe des β-lactamines, et qui limitent fortement les options thérapeutiques en cas d’infection. Les EPC sont principalement responsables d’infections urinaires, de bactériémies et de pneumopathies. Klebsiella pneumoniae et Escherichia coli sont les espèces les plus fréquemment retrouvées dans les infections nosocomiales impliquant des EPC en France(6).

→ Les ERG. Les entérocoques sont des bactéries normales de la flore intestinale. Il en existe plus de 17 espèces, mais ce sont les Enterococcus faecalis et les Enterococcus faecium qui sont le plus souvent responsables des infections chez l’humain. Au cours des dernières décennies, des souches d’Enterococcus faecium ont développé de nouveaux facteurs de résistance aux glycopeptides. Ces ERG sont responsables d’infections nosocomiales des voies urinaires, des plaies et des tissus mous. La vancomycine étant un antibiotique glycopeptide, les ERG sont parfois dénommés « entérocoques résistants à la vancomycine » ou « ERV ».

Dépistage des BHRe

Patients ciblés par le dépistage

- ceux ayant eu une hospitalisation de plus de 24 h à l’étranger dans les douze derniers mois ;

- les patients ayant été antérieurement identifiés comme porteurs de BHRe ou ayant été en contact avec un patient porteur de BHRe (lire p. 43).

Dépistage des patients contact

→ Définition : le terme « patient contact » définit tout patient pris en charge par la même équipe soignante qu’un patient identifié comme « porteur » d’une BHRe, qu’il s’agisse :

- de soignants paramédicaux et/ou médicaux, exerçant de jour ou de nuit, dès lors que des contacts physiques ont pu être générés durant la prise en charge ;

- de l’hospitalisation en cours ou des hospitalisations précédentes dès lors que l’exposition à un patient porteur est repérée.

→ Le modalités du dépistage(7), chez les patients contact, dépendent du niveau de risque de devenir porteur d’une BHRe identifiée chez un autre patient avec qui il est ou a été en contact.

• Le risque est considéré comme faible si le patient porteur de BHRe a bénéficié de « précautions complémentaires de type contact » (PCC) dès son admission (lire p. 49).

Un dépistage hebdomadaire des patients contact est préconisé pour identifier au plus tôt les patients devenus porteurs à leur tour (cas secondaires). Le dépistage des contacts pourra cesser à l’arrêt de l’exposition, c’est-à-dire après la sortie du patient porteur, et après au moins un dépistage post-exposition. En cas de transfert d’un patient contact, au moins un dépistage est recommandé dans le service d’accueil.

• Le risque est considéré comme moyen si le patient porteur a été identifié en cours d’hospitalisation sans que des PCC aient été appliquées. Dans ce cas :

- les patients contact doivent être mis en PCC et dépistés, y compris ceux déjà transférés dans un autre service ou établissement s’ils ont été exposés au patient porteur ;

- seuls les transferts inévitables seront organisés tant que l’éventualité d’une transmission n’a pas été évaluée par trois dépistages à une semaine d’intervalle.

En cas de transfert, le patient doit être isolé dans l’unité d’accueil et dépisté ;

- si, à l’issue de trois dépistages, aucun cas de transmission n’est repéré, le risque que les patients contact deviennent porteurs de la BHRe est réévalué en risque faible et les transferts peuvent reprendre.

• Le risque est considéré comme élevé lorsqu’un ou plusieurs cas de transmission ont été identifiés parmi les patients contact. On parle de situation épidémique à partir d’une transmission. Dans ce cas, le dépistage de tous les patients contact est maintenu tout au long de leur hospitalisatio, les transferts sont déconseillés sauf nécessité impérative. Le niveau de risque est réévalué en risque moyen si la situation épidémique est complètement maîtrisée.

1- Inserm, « Résistance aux antibiotiques. Un phénomène massif et préoccupant », mars 2018.

2- OMS, « Résistance aux antibiotiques », 5 février 2018.

3- OMS, « Plan d’action mondial pour combattre la résistance aux antimicrobiens », 2015.

4- Institut Pasteur, « Staphylocoque », juin 2016. À lire sur : www.pasteur.fr

5- D’après SF2H, « Prévention de la transmission croisée : précautions complémentaires contact », avril 2009.

6- Santé publique France, « Surveillance des EPC en France : bilan 2004-2016 ».

7- D’après le Haut Conseil de la santé publique, « Prévention de la transmission croisée des bactéries hautement résistantes aux antibiotiques émergentes », juillet 2013.

UN BESOIN URGENT

La liste des « bactéries les plus menaçantes pour la santé humaine » publiée par l’OMS en 2017 distingue trois groupes de bactéries pour lesquelles l’urgence du besoin de nouveaux antibiotiques est jugée critique, élevée ou moyenne.

→ Urgence critique pour : Acinetobacter baumannii, Pseudomonas aeruginosa et Entero-bacteriaceae (dont Klebsiella, E. coli, Serratia, et Proteus).

→ Urgence élevée pour : Enterococcus faecium, Staphylococcus aureus, Helicobacter pylori, Campylobacter spp (spp pour « species plurimae » : plusieurs espèces), salmonellae, neisseria gonorrhoeae.

et Proteus).

→ Urgence moyenne pour : Streptococcus pneumoniae, Hæmophilus.

EN PRATIQUE

MÉTHODES DE DÉPISTAGE

Classiquement, la recherche de BMR ou BHRe se fait en fonction de leur site habituel. Toutefois, ces bactéries peuvent être aussi être dépistées autrement en fonction des situations médicales. Ainsi, en 2018, 72 % des signalements d’entérobactéries productrices de carbapénèmases (EPC) étaient identifiés par un prélèvement rectal, 3 % par une hémoculture(1).

→ Écouvillon nasal. Le prélèvement ou écouvillon nasal est réalisé pour le dépistage du SARM. Il consiste à réaliser un écouvillonnage des fosses nasales antérieures des deux narines avec un même écouvillon humidifié au sérum physiologique ou à l’eau stérile et à prélever en effectuant cinq rotations complètes de l’écouvillon et avec une profondeur d’un à deux centimètres. Remarque : chez un patient porteur d’une plaie chronique, faire un écouvillonnage au niveau de la plaie par un prélèvement effectué au milieu de la plaie et avant le nettoyage de celle-ci est associé à l’écouvillonnage nasal.

→ Écouvillon rectal. Le recueil d’un échantillon de selles ou, à défaut, l’écouvillonnage rectal, est réalisé pour le dépistage de EBLSE, de Pseudomonas aeruginosa, d’Acinetobacter baumannii, ainsi que des EPC et des ERG (qui ont des BHRe). En cas d’écouvillonnage rectal, la présence de matières fécales sur l’écouvillon est vérifiée visuellement.

→ Prélèvement de gorge ou aspiration trachéale. Le dépistage de Pseudomonas aeruginosa et d’acinetobacter baumannii se fait par prélèvement de gorge ou par aspiration trachéale si le patient est porteur d’un dispositif intra-trachéal.

Pour le prélèvement de gorge, la langue est abaissée pour dégager le pharynx et éviter tout contact avec la salive pendant que le patient émet le son « A » pour diminuer le réflexe nauséeux. Le prélèvement est réalisé avec un écouvillon sur les amygdales et les piliers du voile du palais.

→ Organisation du soin

Les prélèvements s’effectuent avant toute toilette et/ou antisepsie. Un seul écouvillon est utilisé par site de prélèvement. L’association de plusieurs sites de prélèvements augmente la sensibilité du dépistage. Le patient est assis ou couché selon le site de prélèvement et l’éclairage est adapté à la réalisation de l’acte. « Les écouvillonnages ne posent pas de problème technique, remarque Marie-Gabrielle Leroy, infirmière hygiéniste à la clinique du Millénaire (Montpellier) et administratrice de la SF2H. Les écouvillonnages rectaux peuvent être effectués par les patients qui en sont capables, sachant qu’une contamination extérieure ne pose pas de problème. »

1- Santé publique France, « La lettre du signalement », février 2019.