QU’ONT À CRAINDRE LES PETITS ÉTABLISSEMENTS ? - L'Infirmière Magazine n° 404 du 01/05/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 404 du 01/05/2019

 

HÔPITAUX DE PROXIMITÉ

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ADRIEN RENAUD  

Parmi les mesures phares de la loi Santé actuellement discutée par les parlementaires figure la création de 500 à 600 hôpitaux de proximité d’ici 2022. Quel sera le sort des établissements qui obtiendront ce label, et celui de ceux qui ne l’auront pas ? Pour l’instant, un certain flou demeure.

Devant les députés réunis pour examiner en première lecture son projet de loi Santé en mars dernier, la ministre de la Santé et des Solidarités, Agnès Buzyn, l’avait assuré : les hôpitaux de proximité que son texte entend promouvoir ne dissimulent aucune « carte hospitalière cachée ». Seuls des esprits mal intentionnés pourraient donc voir dans la restructuration des petits établissements qui s’annonce une manière détournée de fermer des lits et des services. Reste que les acteurs du secteur sont inquiets : les hôpitaux concernés ne savent pas encore véritablement à quelle sauce ils vont être mangés, ni ce que leur apportera concrètement leur nouveau statut.

Tenons-nous en au portrait-robot que le projet de loi, avant son passage par le Sénat, brossait des futurs hôpitaux de proximité : il s’agirait d’établissements ouverts sur la ville et le médico-social, sans chirurgie (sauf dérogation) ni maternité, mais avec des lits de médecine, des plateaux techniques d’imagerie et de biologie, des consultations spécialisées, de la gériatrie, éventuellement un service d’urgence…

Le texte précise également que la liste exacte des établissements concernés, ainsi que leur mode de fonctionnement, seront définis par le gouvernement par ordonnance.

En l’état actuel des choses, les petits hôpitaux et le personnel qui y travaille en sont réduits aux conjectures pour savoir ce qui les attend. Pour les aider à y voir plus clair, le mieux est encore de se fier à la parole de la ministre de la Santé : en audition devant la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, Agnès Buzyn avait cité, le 5 mars dernier, le centre hospitalier de Pont-Audemer, dans l’Eure, comme modèle de ce qu’elle attendait d’un hôpital de proximité. Qu’a-t-elle trouvé de si séduisant dans cet établissement normand, qu’elle a visité en février ?

Le CH de Pont-Audemer, un modèle à suivre ?

« Nous avons su adapter notre offre de soins aux besoins de la population », répond Bruno Anquetil, directeur du CH. Cet ancien infirmier reconnaît que son hôpital a « subi quelques chocs » au cours des dernières années, avec notamment la fermeture des services de maternité et de chirurgie, mais il souligne que ces restructurations ont « obligé la communauté hospitalière à se réinventer » : certaines consultations y sont assurées par des spécialistes venus de l’hôpital du Havre, le service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et l’hospitalisation à domicile (HAD) y sont particulièrement développés, l’accent est mis sur la télémédecine…

Mais lorsqu’on parle de Pont-Audemer à Dominique Colas, président de l’Association nationale des centres hospitaliers locaux (ANCHL), celui-ci sourit amèrement. « À Pont-Audemer, ils ont tout, y compris scanner et IRM, souligne-t-il. Si tous les hôpitaux de proximité doivent avoir une IRM, on va rire. » Pour ce directeur d’hôpital, la réforme risque de mener à une concentration des moyens sur certains établissements. « On se dirige vers un mode de fonctionnement de type “assistance publique” dans chaque département », dénonce-t-il, les hôpitaux de proximité jouant le rôle d’antenne locale de la maison-mère située dans le chef-lieu.

Pour Dominique Colas, l’objectif gouvernemental consistant à labelliser 500 à 600 hôpitaux de proximité d’ici 2022 est donc trompeur : il faut s’attendre à ce que la réforme fasse baisser, et non augmenter, le nombre de structures présentes dans les territoires.

À ceci s’ajoute un risque que le président de l’ANCHL ne peut pas écarter : celui de voir une partie du demi-millier d’hôpitaux de proximité souhaité par le gouvernement provenir non pas d’une montée en compétence de petits établissements, mais d’un contingent d’hôpitaux de plus grande taille que l’on aura préalablement délestés de leur service de maternité ou de chirurgie.

Avis de gros temps

Pour les professionnels travaillant dans les petits établissements, il y a donc à ce stade une seule certitude : les hôpitaux de proximité vont apporter des bouleversements. Reste à savoir lesquels. « Ce que nous demandons, c’est d’être informés suffisamment tôt sur les projets », déclare Bruno Lamy, IDE et secrétaire général adjoint de la fédération Santé-sociaux de la CFDT. Pour ce militant, tout résidera donc dans la manière dont les mobilités à venir seront organisées.

« On peut considérer qu’une mobilité est possible, et elle peut même être favorable et positive, si elle est choisie et organisée dans le cadre d’un projet et d’un parcours professionnels, mais il faut que les règles soient claires », estime Bruno Lamy.

Tout résidera donc dans l’accompagnement, mais pour l’instant, le cédétiste avoue que les syndicats ont reçu peu d’informations de la part du gouvernement sur les transformations à venir. « Nous n’en sommes qu’au début, la loi doit encore passer par le Sénat, il y aura les décrets et les ordonnances, des négociations vont s’ouvrir dans ce cadre, se rassure-t-il. Mais nous avons des points de vigilance. »

Opportunité ou menace ?

Reste que si l’on en croit Bruno Anquetil, la transformation peut être, pour les infirmières, une source d’opportunités. Le patron du CH de Pont-Audemer cite notamment la télémédecine, qui va selon lui se trouver au cœur de l’activité des hôpitaux de proximité, et qui offre des possibilités d’évolution professionnelle aux paramédicaux. « Nous avons prévu de former des infirmières avec des DU de télémédecine, détaille-t-il . Ce seront des professionnelles spécialisées qui rayonneront dans le territoire. » Et le directeur envisage également des transferts de tâche en faveur des paramédicaux, sur des sujets tels que la vaccination. « Les IDE vont monter en compétence », assure-t-il. Reste que si l’on pose la question des ressources humaines à Dominique Colas, on est confronté à un discours bien moins optimiste que celui de Bruno Anquetil. « Je serais très étonné si une manne céleste abondante nous permettait soudainement d’avoir les moyens de fonctionner correctement », soupire le président de l’ANCHL.

Bruno Lamy, pour sa part, est mitigé. « D’un côté, on a un gouvernement qui a annoncé vouloir supprimer 120 000 postes de fonctionnaires, et on peut donc légitimement se demander si les hôpitaux de proximité ne sont pas un moyen de réduire la masse salariale, remarque-t-il. Et en même temps, j’ai l’impression que ce gouvernement a tout intérêt à répondre aux besoins de la population en proximité. » Bref, le fin mot de l’histoire sera, comme souvent en manière de santé, connu à l’automne prochain. Les détails du financement des hôpitaux de proximité ne seront en effet connus qu’une fois la prochaine loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) votée.

FERMETURE DE MATERNITÉS

Transports, hôtel, formation… les solutions d’Agnès Buzyn

S’il est un sujet politiquement explosif, c’est bien la fermeture des maternités. Les récents débats autour de celles de Bernay dans l’Eure, de Creil dans l’Oise ou encore du Blanc dans l’Indre, sont là pour le prouver. De ce point de vue, les futurs hôpitaux de proximité prévus sans maternité risquent de jeter de l’huile sur le feu. Mais les parturientes dépendant d’un établissement ayant fermé la leur ne doivent pas s’inquiéter, du moins si l’on en croit Agnès Buzyn. Lors d’une rencontre avec la presse spécialisée organisée par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis) fin mars, la ministre de la Santé a en effet annoncé qu’elle dévoilerait prochainement un « engagement maternité » censé répondre à leurs besoins. L’objectif ? « Assurer aux femmes enceintes une forme de sécurité des transports avec une accessibilité beaucoup plus simple à des transports pris en charge à 100 %, quel que soit le nombre d’aller-retours à la maternité », a expliqué la ministre, citée par l’agence APMNews. Agnès Buzyn a par ailleurs indiqué vouloir développer les hôtels hospitaliers pour que les parturientes puissent rester « à proximité de la maternité pour les deux-trois derniers jours avant un accouchement ».

Autres pistes évoquées, toujours selon APMNews, la « contractualisation avec des sages-femmes libérales qui pourront accompagner ces femmes vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans des ambulances », ou encore « la formation ad hoc des médecins urgentistes qui seront toujours présents dans les hôpitaux » dont la maternité a été fermée. Le modèle d’Agnès Buzyn est assez transparent : elle a notamment cité comme référence des pays comme l’Australie et la Suède, « où les maternités sont très éloignées, beaucoup plus que trente ou quarante-cinq minutes ».

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