L'infirmière Magazine n° 404 du 01/05/2019

 

CARRIÈRE

GUIDE

CAROLINE COQ-CHODORGE  

Qu’elles soient verbales ou physiques, les violences font désormais partie du quotidien des professionnels de santé. Elles ne doivent pas être banalisées. Signalement, plainte, analyse : les pratiques varient.

Les urgences de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, ont subi cinq agressions depuis le début de l’année. La dernière a été particulièrement mal vécue par le personnel, qui s’est mis en grève le 18 mars et dont le mouvement s’est étendu aux autres services d’urgence de l’AP-HP. « Une infirmière, seule dans un box avec un patient, a essuyé des insultes, puis reçu un coup de poing », raconte l’IDE anesthésiste Olivier Youinou, secrétaire général de Sud santé. Mais c’est la gestion administrative de cette agression, défaillante, qui a suscité la colère des urgentistes. « Après l’agression, l’infirmière a voulu porter plainte, poursuit le syndicaliste. Elle a suivi la procédure et contacté l’administrateur de garde. Mais il n’a pas jugé bon de se déplacer. Elle a dû prendre un taxi pour se rendre au commissariat. C’est un abandon, qui s’ajoute à l’agression. » En réponse à nos questions, l’AP-HP rappelle que la procédure prévoit, entre autres, que le responsable de la sécurité de l’établissement soit prévenu et « informe l’agent victime sur ses droits ». Et si l’agent souhaite porter plainte, il doit même lui proposer de l’accompagner au commissariat. « Une faute professionnelle a été commise », juge Olivier Youinou.

Des violences en hausse ?

Ces situations sont-elles de plus en plus fréquentes ? Les chiffres sont incertains. Depuis 2005, l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) recueille, sur la base du volontariat, les signalements de faits de violence. En 2017, l’ONVS a reçu 22 048 signalements d’atteintes aux personnes et aux biens, un chiffre en hausse, mais ce n’est qu’une « tendance », insiste l’ONVS. Car seuls 35,2 % des établissements publics et 4,5 % des établissements privés ont déclaré des faits de violence.

Au-delà des chiffres, il y a le ressenti des professionnels. Celui, par exemple, de Nadine Balaguer, directrice de l’Hôpital européen de Marseille, un établissement privé situé dans le IIIe arrondissement de Marseille, le plus pauvre de la ville : « Je ne peux que faire ce constat : les patients sont de plus en plus violents. Et ce n’est pas toujours lié au stress, à l’attente, à des troubles psychiatriques ou à des états d’ébriété. Les incivilités gratuites sont en augmentation. Les violences sont aussi de plus en plus graves. »

« Est-ce que les violences s’amplifient ou est-ce qu’on les déclare plus, et mieux ? » s’interroge, de son côté, le directeur adjoint du CH d’Arles, Louis Bonifassi.

Ne pas banaliser

« Les soignants travaillent dans l’empathie, mais ils doivent aussi établir un rapport d’autorité avec les patients, prévient Vincent Terrenoir, commissaire divisionnaire en charge de l’ONVS. Ce n’est pas normal de recevoir des insultes, elles détruisent à petit feu. » « Avoir un seuil de tolérance trop élevé favorise la violence et le passage à l’acte », insiste également Thierry Gaussen, responsable du service sécurité du CHU de Nîmes. Où se situe ce seuil, quand la violence est liée à la pathologie, a fortiori en psychiatrie ? « Il est rare que des professionnels portent plainte contre des patients », admet Florence Muret, cadre supérieure de santé, membre de la direction qualité du centre hospitalier de Cadillac, en Gironde, un établissement psychiatrique qui accueille une unité pour malades difficiles (UMD).

Déclarer l’événement

« Je ne peux qu’inciter les agents et les établissements à déclarer les violences à l’ONVS, encourage Vincent Terrenoir. Cela nous permet de les analyser et de les aider à se situer par rapport à d’autres établissements. » Le processus de déclaration incite également l’établissement à systématiser les fiches d’évènements indésirables graves et à les analyser. Le CH de Cadillac a ainsi créé un « comité de retour d’expérience, détaille Florence Muret. Nous nous livrons à une analyse approfondie des causes, pour faire évoluer nos pratiques. »

Porter plainte

La plupart des établissements acceptent de domicilier la plainte, protégeant ainsi le lieu de résidence de la victime. Mais il est difficile d’échapper à une confrontation avec son agresseur. Pour encourager la plainte, certains établissements accompagnent le professionnel de santé victime au commissariat. « Ce n’est pas une obligation, mais une bonne pratique », précise Vincent Terrenoir. Le dépôt de plainte et son suivi sont facilités lorsque l’établissement a signé des conventions avec la police et la justice. Nadine Balaguer se félicite de la signature d’une convention entre son établissement et la police : « Nous avons des relations privilégiées. Il y a toujours quelqu’un au bout du fil, leurs interventions sont rapides et le dépôt de plainte est facilité. » Le CHU de Nîmes a, lui, signé une convention avec la justice : « Un procureur est référent pour les professionnels de santé, relate Thierry Gaussen. Chaque victime est tenue au courant de l’avancée de sa plainte. Nous avons une réunion annuelle pour faire un point sur tous les dossiers, et nous rendons publiques toutes les condamnations. Aujourd’hui, je n’entends plus dire que porter plainte ne sert à rien. »

Réclamer la protection fonctionnelle

L’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, est limpide : « La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leur fonction, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en a résulté. » L’administration doit fournir à l’agent une assistance juridique, c’est-à-dire l’aider financièrement à mener ses actions en justice. Elle peut aussi se porter partie civile à ses côtés, ou porter plainte à sa place si elle peut justifier d’un préjudice.

Se faire aider

D’un point de vue administratif, l’une des premières démarches à accomplir est de déclarer un accident du travail (lire interview ci-contre). Mais, « quand un professionnel de santé a été détruit par une violence, verbale ou physique, comment l’accompagner » ? Voici la question, résumée par Vincent Terrenoir, à laquelle doivent répondre les établissements de santé. Florence Muret indique que ce sont souvent les menaces qui ont le plus grand impact sur les soignants : « Ils commencent à avoir peur, pour eux, pour leur famille. » L’établissement psychiatrique a mis au point un arsenal de prise en charge, avec : « la médecine du travail, les psychologues. Et pour les situations les plus graves, nous faisons appel à notre centre d’accueil spécialisé dans le repérage et le traitement des traumatismes psychiques (Caspertt). »

Et l’infirmière libérale ?

Les violences faites aux Idel apparaissent comme un angle mort. « Elles ne sont pas dans le champ d’étude de l’ONVS », reconnaît Vincent Terrenoir. Les syndicats et l’Ordre national infirmier (ONI) ont mis en place un Observatoire des violences aux infirmières (OVI), mais le président de l’Ordre, Patrick Chamboredon, reconnaît lui-même que « la plateforme de déclaration ne fonctionne pas, nous sommes en train de la revoir ».

En cas d’arrêt de travail, elles sont peu protégées sur leur perte de revenus, à moins qu’elles aient souscrit un contrat de prévoyance. Si elles souhaitent porter plainte, une convention a été signée entre l’ONI, la police et la justice pour accélérer le dépôt de plainte et faciliter son suivi. Mais la suppression des conseils départementaux de l’ONI rend cet accompagnement difficile. Les unions régionales des professions de santé (URPS) peuvent être, localement, des interlocuteurs utiles.

Les démarches à effectuer

En cas de violence, que doit faire le personnel victime ?

→ Signaler aux collègues, au cadre, à la direction, à l’administrateur de garde.

→ Déposer une plainte ou une main courante au service des forces de l’ordre ou sur place : seul ou accompagné par l’établissement, se domicilier sur le lieu professionnel.

→ Établir un certificat médical, rédiger un rapport circonstancié et horodaté, solliciter une prise en charge psychologique.

→ Faire une déclaration d’accident du travail avec rapport circonstancié et horodaté, soi-même ou par le cadre, si besoin par un témoin.

→ Informer et communiquer le dépôt de plainte à la direction, demander l’assistance d’un avocat par l’intermédiaire de l’établissment.

→ Fournir les documents requis (certificat médical, rapport circonstancié, lettre de demande de prise en charge de protection juridique, témoignages, preuves des préjudices).

→ Rédiger ou demander à l’encadrement de rédiger le signalement à l’ONVS.

Source : Fiches réflexe sur la conduite à tenir dans les situations de violence dans les établissements publics, sanitaires et médico-sociaux, rédigées par la FHF, la MACSF et l’ONVS.

À consulter sur : bit.ly/2OXlgWi

SAVOIR PLUS

→ Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, article 11.

→ Loi du 18 mars 2003, correctionnalisation de toutes les violences commises à l’encontre des personnels de santé.

→ Article 44-48 et 54 du code pénal, aggravation des peines. 3 L’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) : dgos-onvs@sante.gouv.fr

→ Pour télécharger la fiche de signalement à l’ONVS : bit.ly/2Ik2Q0C

INTERVIEW

GERMAIN DECROIX EXPERT JURIDIQUEPOUR LA MACSF

Constatez-vous une augmentation des violences faites aux infirmières ?

• Il n’existe pas de chiffres pour la profession infirmière. Mais nous avons de plus en plus de sociétaires professionnels de santé victimes de violences à défendre. Ils font appel à nous quand ils ne sont pas suffisamment accompagnés par leur établissement ou quand l’agression a été commise dans le cadre de leur exercice libéral. À l’hôpital, il y a un certain fatalisme par rapport à la violence. Est-ce qu’un coup de poing, par un patient atteint de la maladie d’Alzheimer, fait partie du métier ? En droit du travail, c’est une violence. Est-ce que les infirmières ont été formées à prévenir la violence, à l’éviter ? Les Ifsi devraient intégrer la question de la violence à la formation initiale systématiquement.

Quelles démarches doit accomplir une infirmière victime de violences à l’hôpital ?

• Tout salarié victime de violence est victime d’un accident du travail, et doit faire une déclaration en ce sens. Cela lui ouvre droit à une prise en charge à 100 % des frais de santé. En cas d’atteinte physique, il faut établir un certificat médical des lésions. C’est indispensable pour porter plainte. Un sujet est plus incertain juridiquement : est-ce qu’on admet que des violences verbales constituent un accident du travail ? Des insultes répétées peuvent conduire à des burn out, à des dépressions, à des arrêts de travail de longue durée.

L’agent doit-il systématiquement porter plainte ?

• Seul un tiers des violences signalées à l’Observatoire national des violences en milieu de santé ont fait l’objet de plaintes. Dont beaucoup restent sans suite. Les auteurs sont impunis et peuvent récidiver. Pourtant, le code pénal reconnaît comme aggravées les infractions contre les professionnels de santé. Des violences volontaires sont punies de dix ans d’emprisonnement, mais contre un professionnel de santé, la peine est portée à quinze ans. Dans le cas de violences commises, par exemple, par une personne sans domicile fixe, les agents ont tendance à considérer que la plainte est inutile, parce qu’il est insolvable. Mais en cas de dommages-intérêts, la Commission d’indemnisation des victimes des infractions paie à la place de la personne insolvable.

PROPOS RECUEILLIS PAR C.C.-C