RELATION SOIGNANT/SOIGNÉ
SUR LE TERRAIN
MON QUOTIDIEN
MICHEL COMBRET* Lisette Gries**
*cadre supérieur de santé en secteur psychiatrique, expert auprès de la HAS et formateur consultant au Grieps, organisme de formation et de conseil en santé
Comportement agressif, agitation, antécédents de passage à l’acte : en psychiatrie, mais aussi en soins généraux, des patients peuvent faire peur aux soignants. « Il faut s’interroger : cette peur est-elle légitime car je suis en danger, ou provient-elle de mes représentations ?, conseille Michel Combret. Souvent, les situations de tension sont en partie générées par de mauvaises connaissances cliniques, que ce soit en psychiatrie, en gériatrie ou aux urgences. » C’est problématique, car on adopte alors des attitudes contre-productives, qui vont au final envenimer la situation. « On peut agir sur ses émotions, en utilisant des techniques de gestion du stress comme la sophrologie, par exemple », propose Michel Combret. « Rien ne sert en tout cas de nier sa peur : au contraire, pour la dompter, il faut d’abord bien la connaître », conseille Emmanuel Boudier, ancien IDE en psychiatrie, désormais thérapeute comportemental.
Pour ne pas se laisser déborder par cette émotion, on peut essayer de prendre du recul, notamment en faisant appel aux autres membres de l’équipe pluridisciplinaire. « Si la situation est tendue mais qu’il n’y a pas eu de violence, il existe des techniques d’apaisement. En adoptant soi-même une attitude plus calme et en prenant du temps avec le patient ou son entourage pour faire baisser leur propre angoisse, on évitera une escalade dans l’agressivité », conseille Michel Combret. Mais parfois, la peur survient devant une situation réellement dangereuse. « Dans ce cas, elle peut être une alliée grâce à l’adrénaline qu’elle libère, et nous aider à mieux réagir », remarque Emmanuel Boudier. Il est prudent de mettre en place des protocoles pour mettre les soignants à l’abri du danger. « Parfois, se retirer est la seule solution, mais en prenant garde de ne pas laisser une collègue seule avec le patient », conclut Michel Combret.
→ « Ce n’est pas le rôle d’un conjoint ou des amis de réceptionner la peur qu’une IDE a pu ressentir dans la journée », remarque Michel Combret. Il prône donc le déploiement de séances d’analyse des pratiques en équipe, avec une supervision ou un encadrement extérieur. « Il faut des lieux où l’on peut parler de sa peur sans honte, discuter de la situation et envisager des solutions, plaide-t-il. Non seulement, cela améliorera la qualité de la prise en charge, mais on évitera aussi de voir des soignants s’épuiser au travail, craindre de venir le matin et développer des pathologies professionnelles. » Cela est d’autant plus important dans les services où les situations effrayantes sont fréquentes, et où pour lesquels il n’existe pas de diplôme d’IDE spécialisée.
→ Questionner sa peur et la situation : est-ce que je crains le patient ? Sa pathologie ? Est-ce que je peux agir ou dois-je me mettre à l’abri ?
→ Souvent, adopter une attitude et un ton calmes diminuera le niveau d’angoisse : parler d’une voix posée, ne pas se précipiter vers un patient agité, ne pas le toucher sans le prévenir, rester à une distance d’une longueur de bras, ne pas nier ou tenter de minimiser son état.
→ Quand on a préféré se retirer d’un soin, revenir ensuite progressivement vers le patient avec des collègues pour ne pas laisser s’installer une défiance délétère.
→ Si la peur est récurrente, trouver des techniques de gestion des émotions : méditation, sophrologie, etc.
→ Quand la peur est liée aux manifestations de la pathologie des patients, envisager de compléter sa formation théorique pour mieux comprendre la clinique.
→ « Je crois qu’on peut parler d’osmose abusive entre psychiatrie et dangerosité, alerte Michel Combret. Certains patients qui présentent des troubles psychiques ont des manifestations agressives et violentes liées à la clinique, mais cela ne veut pas dire qu’ils représentent un danger pour les soignants. » Une bonne connaissance théorique de la prise en charge des malades psychotiques permet de désamorcer ses peurs. « Les soignants des soins généraux sont souvent effrayés par des patients issus du secteur psychiatrique : pourtant, s’ils sont autorisés à sortir, c’est qu’ils sont stabilisés », observe Emmanuel Boudier. Le guide méthodologique de la Haute Autorité de santé (HAS) sur la prévention de la violence en service de psychiatrie(1) rappelle que « les personnes souffrant de troubles mentaux sont avant tout victimes de violences et ne sont que rarement impliquées dans des violences faites aux tiers ». Mais lorsqu’on est amené à côtoyer des personnes qui sont passées à l’acte avant leur hospitalisation, la question se pose plus sérieusement. « Il faut tenter de ne pas réduire la personne à son acte : un travail en équipe peut faciliter cette mise à distance », conseille Michel Combret.
1- À consulter sur : bit.ly/2TMbxaS