L'infirmière Magazine n° 404 du 01/05/2019

 

FORMATION

REVUE DE LA LITTÉRATURE

MARIE TRINGALI*   VALÉRIE BERGER**   EMMANUELLE CARTRON***  


*Ibode, CHU de Bordeaux marie.tringali@chu-bordeaux.fr
**IDE, Ph. D., cadre supérieure de santé, coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR. valerie.berger@ chu-bordeaux.fr
***IDE, Ph. Ds., coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Nantes, membre de la CNCPR. emmanuelle.cartron@chu-nantes.fr

La chirurgie ambulatoire connaît ces dernières années un intérêt croissant, notamment en pédiatrie, du fait des incitations gouvernementales, d’une part, et de la forte demande parentale, d’autre part. La charte européenne de l’enfant hospitalisé, du 13 mai 1986, favorise quant à elle explicitement ce type de prise en charge en exprimant « le droit aux meilleurs soins pour l’enfant, en considérant la priorité de l’hospitalisation de jour si elle est réalisable, plutôt que l’hospitalisation traditionnelle ».

En chirurgie pédiatrique, c’est la spécialité ORL qui est la plus représentée. En 2014, sur 556 423 actes réalisés en ambulatoire en chirurgie pédiatrique en France, la chirurgie ORL représentait 55 % des interventions(1). Au CHU de Bordeaux, 41 % des enfants ont ainsi bénéficié d’une prise en charge en ambulatoire. Les enfants concernés par ce type d’hospitalisation bénéficient alors de moins de temps pour s’acclimater à l’environnement hospitalier. De même, le personnel soignant dispose aussi d’un temps réduit pour préparer l’enfant et son entourage à vivre cette expérience de la chirurgie. Cet environnement peut alors paraître hostile, mystérieux et anxiogène pour l’enfant et ses parents. Selon McCann et Kain, 40 à 60 % des enfants opérés sont anxieux(2). Cette anxiété fait obstacle à la coopération lors de l’induction, avec pour conséquences possibles un refus du masque à oxygène et une induction anesthésique forcée, qui est un facteur de risque de troubles psycho-comportementaux (agitation, troubles du sommeil, de l’alimentation, de l’humeur, énurésie) en post-opératoire. Par ailleurs, l’équipe de Kain a démontré qu’un niveau important d’anxiété pré-opératoire chez l’enfant est corrélé à des scores de douleur élevés ainsi qu’à une consommation d’antalgiques plus importante(2).

Le développement actuel de la chirurgie ambulatoire engendre alors de nouveaux besoins et de nouveaux enjeux dans le soin. Les soignants sont en recherche de stratégies d’accompagnement différentes, afin d’améliorer la prise en charge des familles et des enfants et de diminuer leur anxiété pré-opératoire. C’est pourquoi, au CHU de Bordeaux, nous avons créé un film d’animation informatif, à double lecture, pour les enfants et leurs parents. Il met en scène patients et soignants sous forme d’avatars et retrace le parcours de l’enfant depuis le sas de transfert du bloc opératoire jusqu’en salle de soins post-interventionnelle. L’outil est mis à disposition des familles et des enfants dès la consultation chirurgicale et diffusé sur le site internet du CHU.

→ La question de recherche qui en découle est donc la suivante : la préparation des familles à une intervention chirurgicale par le biais d’un film d’animation, à double lecture, disponible sur Internet, permet-elle de réduire l’anxiété pré-opératoire des enfants de 3 à 7 ans, comparativement à la préparation standard actuelle ?

Une revue de littérature a été envisagée pour :

- vérifier qu’un tel outil n’a pas déjà été testé ;

- recenser les outils de prévention de l’anxiété existant en pré-opératoire ;

- identifier les critères d’évaluation de l’anxiété des enfants.

MÉTHODOLOGIE

Cette revue de littérature a été réalisée en 2016 au début du projet. L’identification des mots-clés nécessaires à l’interrogation des bases de données a été réalisée par la méthode Pico (Patient, Intervention, Compare to, Outcomes) :

P : anxiété, intervention chirurgicale, enfant, chirurgie ambulatoire

I : information, technologie information communication

C : visite bloc opératoire, programme de préparation pré-opératoire

O : réduction anxiété, échelle d’anxiété

→ Le site HeTop a permis ensuite de traduire ces mots-clés en anglais et d’en retrouver les synonymes parmi la liste de MeSH (Medical SubHeading) :

• Anxiety

• Paediatric surgery

• Outpatient surgery

• Day surgery/ Ambulatory surgery

• Parents

• Information preoperative

• Information needs

• Preoperative teaching

• Preoperative information

• Virtual tour

• New communication technologies

• Webtips

• Anxiety scale

→ La recherche d’articles scientifiques a été réalisée à l’aide des moteurs de recherche Pubmed (spécialisé en biologie et en médecine), Science Direct (plateforme Elsevier : publications scientifiques, techniques et de santé complètes) et Cairn (publications de sciences humaines et sociales) pour l’essentiel.

Ont été inclus les articles de publication rédigés en anglais, en espagnol ou en français ; disponibles en version intégrale ; parus entre 2005 et 2016 (la littérature anglophone étant très riche sur ces thématiques).

Ont été exclus les articles de presse et ceux faisant référence à des études en cours.

→ Les équations de recherche ont été posées en fonction des bases de données.

→ Une lecture critique des articles a été réalisée à l’aide de la grille de lecture proposée par R. Salmi(3). Celle-ci permet d’effectuer une sélection des articles d’abord à la lecture des titres, puis des abstracts et enfin, elle facilite l’identification des biais dans l’étude (problèmes d’inclusion ou de recueil des données, critères de jugement inadéquats…). La réalisation de fiches de lecture est alors simplifiée et permet une synthèse des articles.

RÉSULTATS

→ Au total, 687 articles ont été identifiés et 57 articles ont été sélectionnés après la lecture des titres. L’exclusion des doublons ainsi que la lecture des abstracts a permis d’en éliminer 39 autres.

Enfin, après avoir examiné les différents niveaux de preuve et le contenu (la taille de l’échantillon, les caractéristiques des patients (âge, type de chirurgie), le type d’échelle de mesure d’anxiété utilisé, le résumé des résultats) présenté dans chacun des articles, seuls 17 ont été choisis dans l’analyse.

→ L’origine des articles choisis est variée et essentiellement en langue anglaise : journaux scientifiques américains : Anesthesia & Analgesia (Impact Factor = 3,3) ; Seminars in Pediatric Surgery (IF = 2,216) ; American Society of Perianesthesia Nurses (IF = 0,943) ; Annals of Physical and Rehabilitation Medicine ; Journal of Pediatric Nursing ; Pediatric Anesthesia ; Anesthesiology Clinic North America ; une revue scientifique chilienne : Revista Chilena de Pediatria ; revues françaises : Annales françaises d’anesthésie et de réanimation, Journal anesthésie et réanimation, Le Praticien en anesthésie réanimation.

→ Les articles retenus sont des revues de littérature, des études descriptives et une étude évaluative avec essai randomisé.

→ Deux grandes thématiques se dégagent de cette sélection de documents : les stratégies et les besoins d’information des familles en pré-opératoire et le choix de l’outil de communication ainsi que ses caractéristiques. Healy et McEwen indiquent l’importance de l’information en pré-opératoire et qu’un manque d’information concernant l’intervention et ses suites peut induire une anxiété(4,5). L’étude de Galéano, prouve, quant à elle, que la compréhension de l’information délivrée lors de la consultation pré-anesthésique par les parents, influence favorablement l’« anxiété ressentie » de ceux-ci(6). Parallèlement, la suite des travaux de Kain décrit la répercussion de l’angoisse des parents sur l’enfant(7). Il démontre par la suite, avec Caldwell-Andrews, la nécessité d’accompagner l’enfant pendant cette période pré-opératoire et d’inclure son entourage dans un programme de préparation à l’intervention chirurgicale(8,9).

Les stratégies d’information pré-opératoires sont multiples et toujours ludiques afin de capter l’attention de l’enfant et de démystifier l’environnement hospitalier. On retrouve alors l’utilisation de la vidéo, de dessins animés, de fiches d’information, de programme de préparation, de jeux interactifs sur tablette ou encore des conseils en ligne(10, 11, 12, 13, 14). Toutes ces initiatives ont pour effet de réduire l’anxiété pré-opératoire. En effet, l’étude de Fortier, par exemple, montre que, pour 82 patients étudiés, le score d’anxiété médian du groupe d’enfants bénéficiant d’un programme de préparation (WebTIP) est de 43,5, contre 57 pour le groupe au bloc opératoire sans préparation (p = 0,01), soit une baisse significative de l’anxiété au moment de l’induction(15).

Par ailleurs, le choix des outils ou des stratégies utilisés en pré-opératoire dans les établissements de santé est désormais conditionné par leur coût. Les publications de Kain et Sciard montrent alors que le développement des supports informatiques ou d’Internet apparaît comme une solution nouvelle, moins onéreuse pour donner de l’information (éducation, prévention…) sur la santé aux usagers(14, 16).

DISCUSSION

En résumé, si l’on se réfère aux études de Perry et Sartori, pour être efficaces, les outils choisis doivent impliquer les parents, être appropriés à l’âge de l’enfant et être proposés en amont de l’intervention(17, 18).

À ce jour, il existe en France peu d’outils pour la catégorie d’âge 3/7 ans répondant à tous ces critères.

Un jeu vidéo a en effet été développé par l’équipe du CHU de Rennes. L’étude menée par Febvre montre que pour 42 enfants étudiés, les scores d’anxiété sont stables et faibles sur l’ensemble du parcours(19). Une vidéo explicative a été mise en ligne par le CHU de Necker. Nous n’avons pas trouvé de travail de recherche évaluant cette vidéo. À notre connaissance, aucun support ne regroupe l’ensemble des trois critères essentiels précités.

Nous avons donc imaginé un film d’animation pédagogique, à double lecture, qui met en scène patient et soignants sous forme d’avatars et retrace le parcours de l’enfant depuis le sas de transfert du bloc opératoire jusqu’en salle de soins post-interventionnelle. Ce film de trois minutes a été créé en collaboration avec les étudiants de l’École supérieure des métiers de l’image (Esmi) de Bordeaux. Il a nécessité l’élaboration d’un cahier des charges et la conception d’un scénario au regard du développement psychomoteur d’un enfant de 3 à 7 ans. Selon un avis de l’académie des sciences, remis le 8 janvier 2013, la réalité virtuelle est l’occasion, à cet âge, de la construction de la pensée symbolique(20). Les enfants apprennent à privilégier alternativement le réel et le virtuel (le « semblant »), et à en jouer. L’univers du bloc opératoire est reproduit et permet alors une projection réelle dans ce milieu.

Enfin, l’outil est à double lecture, il offre un langage écrit destiné à l’accompagnant, et l’utilisation d’une voix off et l’usage de pictogrammes pour l’enfant. L’effet d’un tel film sur l’anxiété n’a jamais été évalué, il n’existe donc pas encore de données sur les résultats attendus et la faisabilité des modalités de visionnage proposées.

CONCLUSION

Cette revue de littérature a donc permis de recenser les outils mis à disposition des familles dans le cadre d’une préparation pré-opératoire et de cibler les caractéristiques essentielles répondant à leurs besoins. Elle a été essentielle pour confirmer notre hypothèse et constituer un protocole d’étude. Notre projet a été retenu à l’appel à projets interrégional de recherche en soins du groupement interrégional de recherche clinique et d’innovation-Sud-Ouest Outre-mer hospitalier. Cette étude pilote va permettre d’obtenir des données chiffrées sur l’efficacité d’un tel film sur l’anxiété des enfants et des familles et son implémentation dans les centres de chirurgie pédiatrique.

BIBLIOGRAPHIE

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  • 3. Salmi L. R., Salamon R., Lecture critique et communi-cation médicale scientifique, Elsevier-Masson, 2012.
  • 4. Healy K., « A Descriptive Survey of the Information Needs of Parents of Children Admitted for Same Day Surgery », Journal of Pediatric Nursing, 2013, 28 (2), 179-185.
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  • 6. A. Galéano, M.-H. Blond, M. Ferrandière, A.-I. Lecuyer, S. Duchêne, M. Laffon, C. Mercier, « Évaluation de l’information donnée aux parents en consultation pré-anesthésique programmée dans un hôpital pédiatrique », Annales françaises d’anesthésie et de réanimation (24), 2005, 1334-1342.
  • 7. Kain Z.N., Wang S.M., Mayes L.C., Caramico L.A., Hofstadter M.B., « Distress during the induction of anesthesia and postoperative behavioral outcomes », Anesthesia & Analgesia (88), 1999, 1 042-104.
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  • 9. Kain Z.N., Caldwell-Andrews A.A., Mayes L.C., Weinberg M.E., Wang S.M., MacLaren J.E. et al., « Family-centered preparation for surgery improves periope-rative outcomes in children : a randomized controlled trial », Anesthesiology (106), 2007, 65-74.
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  • 14. Kain Z.N., Chorney J. M., Fortier M. A., Mayes L., « Web-based tailored intervention for preparation of parents and children for outpatient surgery », Anesthesia & Analgesia (120), 2015, 905-14.
  • 15. Fortier M.A., Bunzli E., Walthall J., Olshansky E., Saadat H., Santistevan R., Mayes L., Kain Z.N., « Web-based tailored intervention for preparation of parents and children for outpatient surgery », Anesthesia & Analgesia (120 (4)), 2015, 915-22.
  • 16. Sciard D., Beaussier M., « Mieux communiquer avec les patients non hospitalisés », Le Praticien en anesthésie réanimation, (20 (2)), 2016, 73-77.
  • 17. Perry J. N., Hooper V. D., Masiongale J., « Reduction of Preoperative Anxiety in Pediatric Surgery Patients Using Age-Appropriate Teaching Interventions », Journal of Perianesthesia Nursing (27 (2)), 2012, 69-81.
  • 18. Sartori J., Espinoza P., Diaz M.S., Ferdinand C., Lacassie H.J., Gonzalez A., « Qué informacion preoperatoria desean los padres de ninos que seran operados ? », Revista Chilena de Pediatria (86 (6)), 2015, 399-403.
  • 19. Febvre N., Delahaye S., « Évaluation de l’anxiété préopératoire de l’enfant : score M-Ypass VS échelle des émoticônes », Anesthésie et réanimation (1), 2015, A325-A326.
  • 20. Bach J.-F., Houde O., Lena P., Tisseron S., Postaire E., Bernard-Delorme A., Descamps-Latscha B., L’enfant et les ecrans : un avis de l’Académie des sciences, Le Pommier, 2013.

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L’auteure déclare ne pas avoir de liens d’intérêt