Le coût de la maladie - L'Infirmière Magazine n° 405 du 01/06/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 405 du 01/06/2019

 

PRISE EN CHARGE

DOSSIER

Le nombre de maladies chroniques est en constante augmentation et, avec lui, le coût de leur prise en charge. Mais l’aspect économique cache une réalité encore plus forte : l’impact sociétal de la maladie. Un défi pour les années futures.

Les maladies chroniques ont un retentissement sociétal important par les complications, voire les incapacités, qu’elles génèrent chez les patients qui en sont atteints. En dehors du coût économique de la prise en charge au niveau primaire (voir encadré ci-dessous), chaque maladie chronique entraîne une remise en cause du malade sur son avenir. Elle cause en effet une « limitation fonctionnelle des activités ou de la participation sociale, une dépendance vis-à-vis d’un traitement, d’un régime, d’une assistance et la nécessité de s’inscrire dans un parcours médico-social », explique Patricia Courtial(1).

En France, le poids des maladies chroniques est tel que 75 % des plus de 65 ans en souffrent : avec l’augmentation de l’espérance de vie, le nombre de personnes âgées atteintes de maladies chroniques est en perpétuelle hausse, aggravant la dépendance. Le patient doit en outre faire face à un nouveau parcours jusque-là inconnu, celui de la reconnaissance de sa maladie, par le diagnostic tout d’abord, puis aux yeux des autorités sanitaires, par le classement ALD (affection de longue durée), ce qui implique des tâches administratives et un risque d’instabilité financière (difficultés à obtenir des crédits) et sociale : une étude(2) de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) parue en 2006 montre, par exemple, qu’un quart des patients atteints de cancer ont subi une baisse de revenus deux ans après le diagnostic.

Lourdes conséquences

Cet état de santé fragilisé induit une altération des conditions de vie au travail pouvant aboutir à la perte d’un emploi, les patients ne sachant pas toujours comment se comporter face aux collègues ou à la hiérarchie, et ce, d’autant que la maladie chronique n’est pas forcément visible. Il reste néanmoins difficile d’évaluer le coût réel des maladies chroniques sur l’entreprise. La perte de compétences ou de productivité, l’absentéisme et l’inaptitude sont autant de facteurs ayant un retentissement économique. Selon Patricia Courtial, plusieurs études indiqueraient que le coût global s’élèverait à 45 milliards d’euros pour le secteur privé, voire 60 milliards si on y ajoute les coûts indirects, prenant en compte notamment le maintien du salaire, le remplacement et les dysfonctionnements que cela peut occasionner. Sans compter le licenciement qui sonne généralement le glas du travail pour le malade chronique et représente un surcoût pour l’entreprise.

Les difficultés rencontrées, cette altération des conditions de vie au travail et dans le quotidien, peuvent avoir des retentissements sur la santé psychique du patient. On sait que chez les personnes souffrant de maladie chronique, le taux de dépression est très supérieur à celui de la population générale(3). La dépression alourdit alors la charge de la maladie chronique et les symptômes physiques. La déficience fonctionnelle s’installe, comme un cercle vicieux, avec pour conséquence une réduction de l’espérance de vie, notamment à cause des décès prématurés par suicide. S’ajoutent à cela les maladies liées au vieillissement - l’évolution des chiffres montrant que les maladies chroniques sont intimement liées à celles liées à l’âge - et l’on retrouve une progression des chiffres des ALD, qui ont plus que doublé en une trentaine d’années.

Pas que les médicaments

La prévalence (progression des cas existants) a tout de même été plus rapide que l’incidence (nouveaux cas), signe que le progrès des traitements est là pour endiguer la crise. Mais, prévient André Cicolella(4), toxicologue et président du Réseau environnement santé (RES), si le coût continue d’augmenter, il faut que les autorités sanitaires envisagent de traiter le problème autrement que sous le seul angle de la maîtrise médicalisée, insistant sur l’importance de la santé environnementale dans la prise en charge du problème. Il cite notamment une étude du Lancet(5) sur la pollution et la santé, qui estime qu’elle causerait neuf millions de décès prématurés par an dans le monde, soit trois fois plus que le sida, la tuberculose et le paludisme réunis.

L’impact économique et sociétal peuvent donc être réduits par une politique ambitieuse de santé environnementale et d’ETP du patient, ce qui représente un coût pour la société moins élevé. L’Inserm a d’ailleurs publié récemment une expertise collective(6) faisant le lien entre activité physique, prévention et traitement des maladies chroniques. Il cite un rapport de l’OMS qui indique qu’un large pourcentage de maladies chroniques est accessible à la prévention par des actions sur quatre facteurs de risque principaux : tabagisme, inactivité physique, consommation d’alcool et mauvaise alimentation.

Concernant l’activité physique, l’Inserm recommande de la prescrire pour toutes les maladies chroniques et de l’intégrer au parcours de soins. C’est déjà le cas pour les patients fibromyalgiques qui bénéficient d’un accompagnement thérapeutique avec une rééducation à l’effort. Pour de nombreuses maladies chroniques, le sport apporte des bénéfices sans qu’il y ait un coût aussi élevé qu’avec les thérapies médicamenteuses.

Un accompagnement pour réduire l’impact

Autre composante à surveiller pour mesurer l’impact économique de la maladie chronique : l’observance du patient, dont on sait qu’elle est variable selon les pathologies. Une étude menée il y a deux ans par le cabinet américain Quintiles IMS montre qu’elle est de 30 % pour l’asthme contre 80 % pour l’hypertension artérielle. Cette inobservance, variable selon les pathologies, s’explique par la difficulté à suivre un rythme imposé par la maladie - l’observance s’améliore alors avec le temps - mais aussi par le refus d’accepter de vivre avec une maladie chronique, le traitement rappelant au malade son statut.

Pourtant, ce défaut d’observance a un coût estimé à neuf milliards d’euros d’après une étude de ce même cabinet en 2014. L’observance est d’autant plus correcte que le patient est suivi régulièrement par son médecin et qu’il fréquente les mêmes professionnels de santé. D’où l’importance d’un suivi et d’une prise en charge globale pour une meilleure gestion de l’impact des maladies chroniques. Cette transition épidémiologique qui se noue depuis une vingtaine d’années entre le passage des maladies aiguës infectieuses qu’on ne savait pas combattre aux maladies chroniques évolutives, implique un changement qualitatif et quantitatif des soins, une prise en charge globale du patient, non plus seulement d’un point de vue médical. Car la maladie chronique n’est plus seulement une maladie du dérèglement d’un organe, mais bel et bien un déséquilibre somatique et psychologique de l’individu qui conduit celui-ci vers un nouvel itinéraire de vie, avec un impact socio-économique fort, qui représente un coût pour la société. Les bouleversements observés induisent donc une approche nouvelle incluant à la fois les dimensions clinique, psychologique et sociale pour accompagner au mieux les malades et préserver un modèle de protection.

1- Patricia Courtial, « La maladie chronique à l’épreuve de l’entreprise : une réalité et un enjeu pour demain », Regards, janvier 2017, (n° 51), pp. 181-189.

2- Drees, « Situation professionnelle et difficultés économiques des patients atteints d’un cancer deux ans après diagnostic », mai 2006.

3- National Institute of mental health, « Chronic illness and mental health ». À consulter sur : bit.ly/2XkiKwl

4- André Cicolella, Toxique planète, le scandale invisible des maladies chroniques, Anthropocène, Seuil, 2013.

5- « Commission on pollution and health », The Lancet, octobre 2017.

À consulter sur : bit.ly/2Iwkq1D

6 - Inserm, « Activité physique. Prévention et traitement des maladies chroniques », janvier 2019.

À consulter sur : bit.ly/2OU0l6B

ESTIMATIONS

Une facture vouée à être salée

Pas moins de 47 000 milliards de dollars. Ce chiffre, annoncé par le Forum économique mondial en 2011, estime ce que représenterait le coût économique des maladies chroniques ces vingt prochaines années au niveau mondial(1), soit 2 350 milliards de dollars par an. En France, les affections de longue durée (ALD) génèrent une facture annuelle moyenne de 6 300 € par patient en ALD (contre 1 800 pour les sans-ALD). Si on élargit ces chiffres à la consommation de soins de manière chronique, avec ou sans reconnaissance en ALD, le coût s’élève à 94,5 milliards d’euros, ce qui représente 61,6 % de la dépense annuelle de l’Assurance maladie selon la Cour des comptes.

1 - World economic forum, Harvard school of public health, « The global economic burden of non-communicable diseases », septembre 2011.

À lire sur : bit.ly/1iDEfzz