L'infirmière Magazine n° 405 du 01/06/2019

 

FORMATION

REVUE DE LA LITTÉRATURE

GWENAËLLE JACQ  

Infirmière
coordonnatrice
paramédicale
de la recherche,
direction des soins, centre
hospitalier de Versailles gjacq@ch-versailles.fr

Le recours aux catécholamines vasopressives en réanimation, essentiellement adrénaline et noradrénaline, est une étape indispensable à la prise en charge des différentes situations d’état de choc. Leur effet vasoconstricteur puissant, conjugué à un remplissage vasculaire adapté à la problématique rencontrée et aux conditions d’évaluation du monitoring, permet d’assurer une stabilité hémodynamique, condition indispensable à la perfusion des différents organes vitaux(1). Les modalités d’administration des catécholamines font habituellement appel à l’utilisation d’une voie veineuse centrale dès que celle-ci peut être posée. Cet acte médical est pourtant parfois associé à des complications pouvant mettre en jeu le pronostic vital et fonctionnel des patients. Ainsi, lors de la pose, sont décrits des complications mécaniques à type de pneumothorax, plaies vasculaires, embolies gazeuses ou encore échecs et malpositions. À court et moyen termes, on peut également observer des complications thrombotiques ou encore infectieuses(2). L’utilisation d’une voie veineuse périphérique serait une alternative séduisante mais qui expose, dans notre situation, au risque d’extravasation de l’agent thérapeutique, et dans une moindre mesure également, à un risque vasculaire et infectieux(3).

Cette revue de la littérature a donc pour but de recenser les complications locales à type d’extravasation associées à chacune de ces voies d’administration des catécholamines vasopressives chez les patients adultes de réanimation.

MÉTHODOLOGIE

La mise en forme de notre question a pu être formulée comme suit : « Chez les patients adultes de réanimation, l’administration de catécholamines vasopressives par voie veineuse périphérique, par comparaison à la voie veineuse centrale, est-elle associée à une augmentation du taux de complications à type d’extravasation ou lésions tissulaires ? »

Les mots clés en français initialement choisis pour cette recherche bibliographique étaient : « unité de soins intensifs », « réanimation », « voie veineuse centrale », « voie veineuse périphérique », « vasopresseurs », « catécholamines », et « complications ».

Le terme « catécholamines » n’a finalement pas été utilisé dans notre stratégie de recherche bibliographique car il entraînait dans notre cas une restriction trop importante des articles sélectionnés et une exclusion à tort d’articles potentiellement intéressants. En effet, une étape ultérieure de sélection des articles après lecture des titres et des résumés a permis de sélectionner ceux concernant des patients recevant des catécholamines.

→ La traduction en anglais de ces mots clés sélectionnés selon le thésaurus de référence Medical Subject Headings (MeSH terms) a été réalisée à partir du site HeTop (www.hetop.eu/hetop) et a été vérifiée par utilisation de l’interface MeSH (www.ncbi.nlm.nih.gov/mesh). Ainsi, après une traduction linguistique basique des mots clés français vers l’anglais, l’équation de recherche a été construite à l’aide de la fonction de recherche « advanced » du moteur de recherche Pubmed (www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/advanced) et en utilisant les opérateurs booléens (« AND », « OR »).

→ Nous avons ainsi abouti à l’équation de recherche suivante :

(« Intensive care units » [MeSH Terms]) AND (« Catheterization, central venous/adverse effects » [MeSH Terms]) AND (« Catheterization, Peripheral/adverse effects » [MeSH Terms])

Nous avons restreint notre recherche aux articles de langue française ou anglaise et exclu les cas rapportés et les séries de patients. Nos autres critères de sélection ont permis de retenir les articles s’intéressant à des populations de patients adultes, porteurs d’une voie périphérique ou centrale, hors PICC line ou Midline. Les cathéters de dialyse, chambres implantables et Swan-Ganz ont également été exclus de notre recherche car ils correspondaient à des modalités d’utilisation spécifique.

RÉSULTATS

Le diagramme de flux (figure 1) synthétise le processus de sélection des articles qui a été réalisé.

Ainsi, seuls deux articles répondaient à nos critères d’éligibilité. Le premier était une étude observationnelle rétrospective portant sur 202 patients recevant des vasopresseurs par voie veineuse périphérique. La prévalence rapportée d’extravasation était de 4 % sur la population étudiée. Les concentrations rapportées de catécholamines étaient de 16, 32, et 64 µg/ml ou de 16 µg/ml, pour la noradrénaline et pour l’adrénaline, respectivement. Le délai médian de perfusion avant apparition d’une extravasation était de vingt et une heures [écart interquartile 12-30] (4).

Le second était une étude observationnelle prospective portant sur 734 patients, dont 506 recevaient de la noradrénaline par voie veineuse périphérique. Parmi ces derniers, 19 patients présentaient des complications, soit 2 % de la population considérée, correspondant principalement à une extravasion sans lésion tissulaire associée. Il est important de noter que, dans cette étude, un protocole précisait des critères stricts d’accès, d’utilisation et de surveillance de la voie veineuse périphérique, comme par exemple une concentration standardisée de noradrénaline à 32 ou 64 µg/ml (5).

DISCUSSION

Le recours aux vasopresseurs (principalement la noradrénaline et l’adrénaline) est une stratégie thérapeutique primordiale dans la prise en charge du patient en état d’instabilité hémodynamique. À l’heure actuelle, bien qu’il n’existe pas de recommandations formalisées, son administration en débit continu est préconisée par voie veineuse centrale. Toutefois, la mise en place de cette dernière peut être retardée pour diverses raisons et ainsi différer l’administration des vasopresseurs, élément rapporté dans la littérature comme associé à risque accru de mortalité(6). L’utilisation de la voie veineuse périphérique dans cette indication est considérée comme peu fiable, et certainement découragée en raison de lésions tissulaires décrites dans de nombreux cas rapportés ou série de cas.

Dans une revue systématique s’intéressant à un spectre plus large de traitements vasoactifs (incluant dopamine, éphédrine, vasopressine, terlipressine et phenylephrine) et une stratégie de revue incluant essentiellement des cas rapportés (80 des 85 articles retenus), Loubani and al. rapportaient 325 lésions tissulaires locales ou extravasations chez 270 patients dont 318 sur voie veineuse périphérique et sept sur voie veineuse centrale. Les auteurs identifiaient un délai moyen d’extravasation et d’apparition de lésions tissulaires après trente-six heures et cinquante-six heures de perfusion, respectivement. Les zones distales (veine saphène, main, avant-bras, pied essentiellement) déjà hypoperfusées en rapport avec le choc sous-jacent, étaient concernées dans 85,3 % des cas. Les auteurs concluaient toutefois à un niveau de preuve insuffisant ne permettant pas une évaluation fiable du rapport bénéfice/risque de l’utilisation de la voie veineuse périphérique dans cette stratégie(7).

En réanimation, l’essai contrôlé randomisé de Ricard et al., impliquant 266 patients recevant un traitement par voie veineuse centrale ou périphérique, est particulièrement intéressant puisque les auteurs s’intéressaient à l’ensemble des complications associées à l’utilisation des cathéters (locales, traumatiques, infectieuses). Les auteurs excluaient l’administration de vasopresseurs par voie veineuse périphérique au-delà de 2 mg/h, et ne rapportaient pas spécifiquement les complications à type d’extravasation après usage des catécholamines, ne permettant pas de retenir cet article dans la présente revue systématique. On note cependant dans cet essai 19 cas (7 %) d’extravasations dans le groupe voie veineuse périphérique versus deux cas seulement dans le groupe voie veineuse centrale (8). Ainsi, alors que des données spécifiques liées à l’administration des vasopresseurs n’étaient pas rapportées (nature, concentration minimale ou maximale, durée d’administration), une correspondance associée à cet article(9) nous apprend qu’aucun patient ne présentait de complication tissulaire.

Ainsi, les études observationnelles sélectionnées pour notre revue permettent de rapporter spécifiquement la prévalence des complications à type d’extravasation associée à l’administration des drogues vasopressives par voie veineuse périphérique, variant de 2 à 4 %, sans qu’aucun évènement grave ait été rapporté (nécrose ou gangrène cutanée). Il est important de noter que ces études font état d’utilisation de protocoles stricts (veines de gros calibres avec repérage échographique, membres supérieurs exclusivement sauf mains et zone antécubitale, une surveillance rapprochée de la voie d’administration de la noradrénaline…) règlementant les modalités d’utilisation des catécholamines vasopressives par voie veineuse périphérique, pouvant ainsi expliquer ce faible taux de complication. Inversement, les complications liées à la pose et à l’utilisation d’une voie veineuse centrale sont, quant à elles, bien décrites et à mettre en balance dans le choix du dispositif d’administration de ces traitements.

CONCLUSION

Le faible taux de complication à type d’extravasation ou lésions tissulaires rapporté associé à l’utilisation de la voie périphérique suggère que cette voie peut être une alternative séduisante pour l’administration des catécholamines vasopressives chez les patients adultes. Néanmoins, les lésions tissulaires graves liées à l’administration des vasopresseurs, telles que la nécrose ou la gangrène, sont une réalité mais restent probablement rares.

Ainsi, l’administration protocolisée de vasopresseurs par voie veineuse périphérique peut être une solution acceptable et peut constituer une opportunité d’éviter des délais prolongés d’initiation des vasopresseurs chez les patients en état de choc.

Le niveau de preuve soutenant ces conclusions est cependant extrêmement faible et seul un essai randomisé contrôlé s’intéressant spécifiquement à cette condition d’utilisation des amines vasopressives permettrait de répondre rigoureusement à cette question importante.

Bibliographie

  • 1. Antonelli M., Levy M., Andrews P. J., Chastre J., Hudson L. D., Manthous C., et al., « Hemodynamic monitoring in shock and implications for management », International consensus conference, Paris, France, 27-28 avril 2006. Intensive care medicine, avril 2007, 33(4) : 575-590.
  • 2. McGee D. C., Gould M. K., « Preventing complications of central venous catheterization », The New England Journal of medicine, 20 mars 2003, 348(12) : 1 123-1 133.
  • 3. Webster J., Osborne S., Rickard C. M., Marsh N., « Clinically-indicated replacement versus routine replacement of peripheral venous catheters », The Cochrane database of systematic reviews, 23 janvier 2019, 1 : CD007798.
  • 4. Lewis T., Merchan C., Altshuler D., Papadopoulos J., « Safety of the peripheral administration of vasopressor agents », Journal of intensive care medicine, janvier 2019, 34(1) : 26-33.
  • 5. Cardenas-Garcia J., Schaub K.F., Belchikov Y.G., Narasimhan M., Koenig S.J., Mayo P.H., « Safety of peripheral intravenous administration of vasoactive medication », Journal of hospital medicine, septembre 2015 ; 10(9) : 581-585.
  • 6. Beck V., Chateau D., Bryson G.L., Pisipati A., Zanotti S., Parrillo J.E., et al., « Timing of vasopressor initiation and mortality in septic shock : a cohort study », Critical care, mai 2014, 12 ; 18(3) : R 97.
  • 7. Loubani O.M., Green RS., « A systematic review of extravasation and local tissue injury from administration of vasopressors through peripheral intravenous catheters and central venous catheters », Journal of critical care, juin 2015, 30(3) : 653 e9-17. >
  • 8. Ricard J.D., Salomon L., Boyer A., Thiery G., Meybeck A., Roy C., et al., « Central or peripheral catheters for initial venous access of ICU patients : a randomized controlled trial », Critical care medicine, septembre 2013, 41(9) : 2 108-2 115.
  • 9. https://emcrit.org/ emcrit/peripheral-vaso-pressors-extravasation/

L’auteure déclare ne pas avoir de liens d’intérêts

COORDINATION :

VALÉRIE BERGER

IDE, Ph. D., cadre supérieure de santé, coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR.

valerie.berger@chu-bordeaux.fr

EMMANUELLE CARTRON

IDE, Ph. Ds., coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Nantes, membre de la CNCPR.

emmanuelle.cartron@chu-nantes.fr

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EN PARTENARIAT AVEC : LA COMMISSION NATIONALE DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE