INTERVIEW : Carole robert, Fibromyalgique et présidente de l’association Fibromyalgie France
DOSSIER
La fibromyalgie est une pathologie chronique dont la douleur et la fatigue sont les principaux symptômes. Sa prise en charge est d’autant plus difficile qu’elle n’est pas totalement reconnue comme maladie chronique.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Où en est la reconnaissance de la fibromyalgie comme maladie chronique ?
CAROLE ROBERT : La fibromyalgie est reconnue comme maladie chronique depuis 1992 par l’OMS sous un code précis, qui définit la réalité de la maladie. En France, l’Académie de médecine a publié, dès 2007, un rapport avec des recommandations qui signent les prémices de cette reconnaissance. A suivi un rapport d’orientation de la HAS, en 2010, qui dresse un état des lieux de la maladie et permet de dessiner les contours de sa réalité. Depuis, nous attendons une expertise de l’Inserm, toujours en cours car de nombreuses publications ont récemment vu le jour. La perception de la maladie a évolué : il y a moins de fibro-sceptiques, on parle beaucoup plus de la maladie dans les congrès ou les médias. J’interviens aussi en faculté de médecine pour parler de la maladie auprès des étudiants. Au niveau de l’Assurance maladie, la fibromyalgie est inscrite sur la liste des ALD31, qui regroupent des affections hors-liste graves et invalidantes, dont on peut prévoir que le traitement durera plus de six mois et qu’il sera coûteux ; c’est souvent le cas de la fibromyalgie. A contrario, les ALD sont accordées lors de soins financièrement lourds. Or, bien souvent, les soins soulageant la fibromyalgie, comme la balnéothérapie, la kinésithérapie ou les cures thermales, ne sont pas considérés par les CPAM comme des frais lourds, ce qui complique le parcours des patients.
L’I. M. : La douleur chronique touche aussi des patients qui ne sont pas fibromyalgiques : elle est difficilement reconnue en tant que maladie chronique. Pourtant, au niveau européen, on parle de 20 % de la population qui souffrirait de douleurs chroniques dont 12 millions en France. Quand parle-t-on de douleur chronique ? Quel processus mène à la chronicisation de la douleur ?
C. R. : Ce qui définit une douleur chronique, c’est qu’elle dure plus de trois mois(1). La chronicisation de la douleur est un processus lent que le cerveau finit par enregistrer comme tel pour ne plus le lâcher. Il est alors nécessaire d’effectuer une rééducation qui passe aussi par le cerveau. Pour éviter cette chronicisation, il est indispensable de traiter la douleur dès que possible, par voie médicamenteuse mais aussi par le biais de la rééducation physique : pratiquer une activité physique permettrait de re-programmer le cerveau par rapport à la perception qu’il a de la douleur. Ce volet thérapeutique par l’activité physique fait partie de l’ETP des malades et fait partie intégrante du processus de prise en charge des douloureux chroniques.
L’I. M. : Quel est l’impact de cette chronicisation sur le plan économique et sociétal ?
C. R. : Même si la douleur chronique n’est pas reconnue en termes d’ALD, on imagine aisément l’impact qu’elle peut avoir en termes d’absentéisme voire de perte d’emploi : une étude(2) a estimé que 88 millions de journées sont impactées par la douleur et génèrent, pour 48 millions d’entre elles, de l’absentéisme, c’est énorme ! Au niveau sociétal, l’impact de la douleur est également important avec un enfermement, un isolement des malades et une qualité de vie au travail inexistante. Les malades souffrent aussi d’un manque de considération de leur état, avec d’une part le corps médical mis en échec face à la douleur des patients, et d’autre part, le regard des autres qui ne comprennent pas toujours la réalité de cette douleur. Il n’est donc pas rare que cette douleur chronique s’accompagne de dépression.
L’I. M. : La perception de la réalité de la fibromyalgie a évolué. Qu’attendez-vous aujourd’hui en termes de reconnaissance ?
C. R. : Outre le rapport d’expertise de l’Inserm, je place beaucoup d’espoir dans la reconnaissance biologique de la maladie, c’est-à-dire dans le fait qu’on puisse un jour trouver un marqueur de la maladie. Je n’accepte pas de mourir sans savoir ce que j’ai. Deux pistes prometteuses émergent dans le domaine de la fibromyalgie : celle de l’inflammation du cerveau, qui serait visible avec un examen d’IRM(3) et qui pourrait expliquer les symptômes ressentis, et celle d’un marqueur sanguin(4), visible dans une simple prise de sang. L’une et l’autre piste permettraient enfin de diagnostiquer plus facilement la maladie, évitant ainsi une errance thérapeutique de nombreuses années.
1 - Selon la Société française de traitement et d’étude de la douleur (SFTED), dans son livre blanc de 2017, qui relativise cependant cette posture.
2 - Il s’agit de l’étude NHWS réalisée en France en 2010.
3 - Albrecht et al. « Brain glial activation in fibromyalgia - A multi-site positron emission tomography investigation », Brain, behaviour and immunity, janvier 2019, vol. 75, pp. 72-83.
4 - Hackshaw et al. « Metabolic finger-printing for diagnosis of fibromyalgia and other rheumatologic disorders », Journal of biological chemistry, février 2019, vol. 294 (7), pp. 2 555-2 568.