L'infirmière Magazine n° 405 du 01/06/2019

 

TÉLÉMÉDECINE

EN PRATIQUE

NOUVELLES TECHNOLOGIES

MARIE-CAPUCINE DISS  

Mise en place pour pallier les déserts médicaux, la télémédecine permet de rééquilibrer les inégalités territoriales de santé et vise à améliorer le parcours de santé des patients. Voilà qui pourrait grandement faire évoluer le rôle infirmier. Illustrations sur le terrain.

Inaugurée en 2009 par la loi Hôpital, patients, santé et territoires (voir encadré p. 41), la télémédecine donne l’opportunité de suivre à distance des patients souffrant de maladie chronique. Les agences régionales de santé (ARS) se montrent très attentives aux perspectives offertes par les technologies d’information et de communication. Ainsi, depuis 2011 en Auvergne, un dispositif financé par l’ARS permet d’améliorer le pronostic vital et la qualité de vie de patients insuffisants cardiaques après un épisode aigu. La cellule Cardi-Auvergne, composée d’un médecin et trois IDE, assure la surveillance de ces patients et la coordination avec les professionnels et établissements membres du CGE (1). Chaque matin, les 740 patients intégrés dans le dispositif se pèsent, à leur domicile, sur une balance connectée. Le poids enregistré s’ajoute aux autres éléments de leur dossier informatisé : résultats des analyses biologiques, données cliniques fournies par les IDE de proximité… Des alertes automatisées parviennent tous les jours à la cellule de coordination, où elles sont traitées dans un délai maximal de trois heures. Les infirmières de la cellule effectuent un premier tri et appellent le patient, son aidant ou l’IDE assurant son suivi à domicile, pour obtenir des informations complémentaires. La responsable médicale de CardiAuvergne, Marie-Claire Boiteux, entre en contact avec le cardiologue pour fixer une consultation anticipée si un patient présente des signes de déstabilisation. Si ceux-ci s’avèrent plus sévères, une réhospitalisation est organisée. « Les liens que nous avons avec les différents hôpitaux de la région fluidifient l’admission du patient, explique-t-elle. Il ne passe pas par les urgences et une hospitalisation anticipée lui permettra d’éviter des complications. »

Vers l’autonomie par l’ETP

Parallèlement à leur surveillance quotidienne, les infirmières de CardiAuvergne accompagnent les patients et les éduquent à leur propre surveillance. « Quand il y a une prise de poids, nous les interrogeons pour essayer de comprendre avec eux ce qui s’est passé, explique Françoise Cadiou, IDE. Pour la prévention, il faut trouver le moment opportun, faire passer le bon message et le répéter. Il y a des personnes qui étaient au départ assez passives et qui, au fil de nos échanges, ont bien compris les enjeux de leur maladie. Elles vont ensuite faire leurs courses en réfléchissant à ce qu’elles achètent, en lisant les étiquettes, en composant des menus… »

L’éducation peut se faire auprès des proches, quand ce sont eux qui s’occupent de l’administration des médicaments ou de la préparation des repas. Peu à peu, patients et aidants deviennent autonomes face à la maladie, reconnaissent les signes d’alerte et gèrent leur traitement et leur régime alimentaire. Quand l’état clinique du patient se stabilise, il est prêt à quitter le réseau, ce qui représente pour lui une étape difficile. « De l’autre côté de la balance connectée se trouvent des personnes qui le connaissent, qui connaissent son dossier et qui le surveillent, décrypte Marie-Claire Boiteux. Il a des interlocuteurs qui peuvent agir, le conseiller. Cela le sécurise et lui apporte également une motivation pour suivre son régime alimentaire. » Pour Françoise Cadiou, le lien thérapeutique induit par la télésurveillance apporte également des satisfactions d’un nouvel ordre. « Je suis passée du curatif au préventif secondaire, c’est un vrai rôle infirmier, même sans gestes techniques. C’est important de transmettre des connaissances pour que les personnes deviennent actrices de leur santé. »

Le travail des Idel valorisé

Les 2 111 infirmières libérales de la région qui participent au dispositif sont des partenaires privilégiées pour les IDE de CardiAuvergne. Leurs échanges sont fréquents, par voie téléphonique ou numérique. Observatrices du quotidien, elles transmettent à la cellule de coordination les données biologiques des patients et peuvent y intégrer leurs observations. Elles alertent l’équipe en cas de signes cliniques suspects et prolongent au domicile l’éducation du patient à la surveillance et à la prise en charge de sa maladie.

Pour Philippe Rey, vice-président de l’URPS (2) infirmiers Auvergne-Rhône-Alpes, « ce dispositif crée du lien avec les médecins généralistes et spécialistes pour assurer une surveillance continue. Cela valorise aussi les actes infirmiers au domicile du patient : les données télétransmises par les Idel sont directement exploitées. Auparavant, leur travail n’était pas utilisé de manière efficiente. » Pour l’infirmier libéral, cette mise en lien entre professionnels de santé offre des possibilités similaires à celles de la séance hebdomadaire de surveillance clinique IDE. « Il est important que l’Idel soit considérée comme la coordinatrice des patients lourds et chroniques, ou en perte de mobilité, à leur domicile. Le contact humain qu’elle entretient avec eux est le complément indispensable du recours aux nouveaux outils. »

Une appli contre les addictions

Parfois, l’initiative vient de l’hôpital. C’est le cas de l’application Phœnix, conçue par l’équipe du service d’addictologie Moreau de Tours, de l’hôpital Sainte-Anne à Paris, en collaboration avec des techniciens du web. Les patients souhaitant arrêter ou diminuer leur consommation de substances psycho-actives sont régulièrement confrontés au craving, une envie irrépressible de consommer qui représente un risque majeur de perte de contrôle et de rechute. « Nos patients nous faisaient savoir qu’il leur était difficile de se rappeler les stratégies que l’on avait élaborées ensemble en consultation, lorsqu’ils se retrouvaient seuls chez eux, à deux heures du matin, en situation de craving », résume Chloé Lucet, psychiatre du service.

Par le biais d’une association mettant en lien professionnels de la santé et du web, un prototype d’application a été élaboré, qui a ensuite pris forme avec l’aide d’étudiants en design et développement web. L’appli a enfin été testée par les patients et améliorée en fonction de leurs remarques. Lors de ses consultations infirmières, Julie Dupouy la présente aux patients qui le désirent. Elle travaille avec eux sur leurs motivations et les événements de leur vie qui peuvent leur faire plaisir et leur permettre de lutter contre l’envie de consommer. Ces données sont entrées dans l’application au côté d’informations sur leur mode de consommation. Quand le patient est seul et face à un épisode de craving, il peut ouvrir l’application, qui lui demande alors de répondre à un bref questionnaire. En fonction du contexte environnemental et émotionnel ainsi renseigné, l’algorithme de Phœnix lui fournit la stratégie la plus à même de fonctionner. À l’issue de l’épisode de craving, qui dure entre vingt et trente minutes, l’application demande au patient s’il a ou non consommé, ce qui alimente son historique et permet ensuite à Phœnix d’améliorer la pertinence de ses suggestions.

Un espace est aussi prévu pour l’expression libre du patient. Ses remarques sont ensuite lues en consultation avec les membres de l’équipe, qui disposent de profils soignants sécurisés. Ce mode de communication et d’échange d’informations permet, selon Julie Dupouy, d’« améliorer l’alliance thérapeutique. Le patient peut écrire des choses qu’il nous livrerait moins facilement à l’oral. Ils nous en dit aussi plus sur sa consommation effective. » Le patient peut se sentir plus accompagné, « comme s’il avait une infirmière dans sa poche, qui lui suggère des stratégies quand ça ne va pas trop », s’amuse la soignante. L’évolution des motivations ou des stratégies, discutées avec les professionnels de l’unité, est intégrée dans l’application au fil des consultations. Des données fournies par l’application permettent aux patients d’être parfaitement au fait de la durée de leur abstinence et d’en tirer fierté, ou de connaître avec exactitude l’argent qu’ils ont ainsi économisé.

Ce dispositif fait l’objet d’un programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP), coordonné par Julie Dupouy, qui débutera en septembre prochain. La recherche, menée en collaboration avec trois autres centres hospitaliers, permettra de valider scientifiquement l’efficacité de l’application, tout en apportant de nouvelles données sur le craving.

De nombreux services de psychiatrie sont intéressés par l’utilisation de Phœnix mais cela nécessiterait de faire appel à un e-hébergement assurant la sécurité des données de santé, solution pour le moment inenvisageable, car trop onéreuse. « Nous sommes depuis le début dans un projet collaboratif, fondé sur le bénévolat, et c’est toute sa richesse, explique Chloé Lucet. Si l’on doit à présent créer une start-up et faire de l’argent, on entre dans une logique complètement différente. » Des questionnements qui illustrent les futurs enjeux de la e-médecine.

1- Groupement de coordination sanitaire.

2- Union régionale des professionnels de santé.

CHRONOLOGIE

Des évolutions juridiques

→ 21 juillet 2009 : l’article 78 de la loi HPST (hôpital, patients, santé et territoires) définit pour la première fois la télémédecine.

→ 19 octobre 2010 : le décret n° 2010-1229 définit les cinq actes de télémédecine : télé-expertise, téléconsultation, télé-assistance télésurveillance, et régulation, ainsi que leur mise en œuvre.

→ 23 décembre 2013 : la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2014 instaure dans son article 36 le principe des expérimentations de télémédecine avec son programme Étapes (Expérimentations de télémédecine pour l’amélioration des parcours en santé).

→ 27 juin 2017 : parution au Journal officiel d’une nouvelle lettre clé revalorisant la surveillance clinique infirmière des Idel : AMI 5,8, après l’hospitalisation d’un patient pour épisode de décompensation d’une insuffisance cardiaque ou d’exacerbation d’une BPCO (bronchopneumopathie chronique obstructive).

→ 30 décembre 2017 : la LFSS pour 2018 reconduit dans son article 54 le programme Étapes pour quatre ans. Cinq pathologies sont concernées : l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance rénale, l’insuffisance respiratoire, le diabète et les prothèses cardiaques implantables.