Circonscrire les limites des « maladies chroniques » permet d’en mesurer l’importance épidémiologique et l’impact médico-économique. De cette définition dépendent aussi les réponses apportées à leur prise en charge.
Les maladies chroniques touchent entre 10 et 20 millions de Français. Une estimation, du simple au double, qui s’explique par l’absence de définition gravée dans le marbre. Chaque maladie chronique, quelle qu’elle soit, se caractérise par une cause primaire, un degré de sévérité ou de gravité, une évolution (poussée, rechute, aggravation) et une prise en charge particulière. C’est de ces différents points de vue que sa définition découle, selon qu’on regarde la maladie d’un œil médical, sous l’angle économique ou dans un contexte de santé publique.
Ainsi, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la maladie chronique comme une affection de longue durée (ALD) qui évolue lentement, définition peu ou prou semblable à celle des Centers for disease control (CDC) américains, qui y ajoutent la dimension non transmissible et généralement incurable de ces maladies. Mais ces définitions se basent surtout sur l’observation et le tableau clinique de la maladie (sur l’approche nosographique, comme l’explique la Haute Autorité de santé(1)), sans tenir compte des conséquences en santé publique. Or, le seul diagnostic d’une maladie peut être limitant et ne pas prendre en compte sa chronicité, d’autant qu’établir le caractère chronique d’une maladie peut prendre du temps.
De son côté, le ministère de la Santé définit la maladie chronique comme étant de longue durée, évolutive, avec un retentissement sur le quotidien, qui peut générer des incapacités, voire des complications graves. Cette définition s’approche de la classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF), qui insiste sur le retentissement dans la vie quotidienne des personnes atteintes, pouvant inclure la limitation fonctionnelle, la dépendance à un médicament, à un régime, à un appareillage ou une technologie médicale et à la nécessité de soins particuliers. Pour la HAS, la définition de la maladie chronique doit se faire selon les deux approches - diagnostic et conséquences - car elles sont complémentaires et englobent la complexité de ce qu’est vraiment une maladie chronique : une affection rarement guérissable qui nécessite des soins prolongés, souvent à vie, et qui peut entraîner des séquelles, source d’incapacité et de handicap. Cette définition inclut la notion de prise en charge dans la durée, avec des stratégies parfois complexes, nécessitant l’intervention de nombreux professionnels, dans le champ de la santé et dans l’action sociale. De son côté, le HCSP(2) ajoute la notion d’ancienneté pour définir la chronicité de la maladie, au minimum trois mois, ce qui implique la nécessité d’un diagnostic et d’un suivi.
Dans son plan 2007-2011 pour l’amélioration de la qualité de vie des patients atteints de maladies chroniques, le ministère donne la liste des maladies considérées comme telles : l’insuffisance rénale chronique, les bronchites chroniques, l’asthme, les maladies cardiovasculaires, le cancer (voir encadré p. 30), le diabète, la sclérose en plaques, mais aussi des maladies rares comme la mucoviscidose, la drépanocytose et les myopathies, et des maladies transmissibles persistantes (Sida ou hépatite C) et les troubles mentaux de longue durée (dépression, schizophrénie…). Depuis, d’autres pathologies se sont ajoutées, notamment la douleur chronique et les conséquences de certains actes chirurgicaux comme les stomies. On considère donc qu’une maladie chronique, quelle qu’elle soit, détériore la qualité de vie, et ce dès le plus jeune âge, et peut entraîner des difficultés dans la scolarité, la formation ou l’emploi. Cette définition, surtout basée sur le diagnostic et le suivi de la maladie, ne tient pas forcément compte de sa dimension médico-économique. Cette dernière est pourtant ce sur quoi l’Assurance maladie s’appuie pour la prise en charge des maladies chroniques, qu’elle classe en effet dans les ALD, qui touchent, selon ses estimations(3), 17 % des assurés, soit 10,7 millions de personnes. On est loin des 15 millions de personnes estimées par la Direction générale de la santé (DGS), voire des 28 millions cités par le HCSP, qui se base sur le nombre de personnes recevant un traitement périodique. L’impact est donc important puisque, selon ses estimations, les maladies chroniques pourraient toucher jusqu’à 47 % de la population française, induisant un coût colossal (lire p. 32). Mais certaines de ces maladies souffrent d’une reconnaissance aux contours flous. C’est le cas pour la fibromyalgie, par exemple (voir interview p. 31).
Peu étonnant, donc, que les maladies chroniques deviennent les causes dominantes et émergentes de mortalité dans le monde. Aujourd’hui, on ne meurt plus des maladies transmissibles, notamment grâce aux progrès de la médecine. En parallèle, le nombre des maladies chroniques explose. En 2008, le rapport maladies non transmissibles/maladies transmissibles était de 63/67 au niveau mondial ; les projections donnent un rapport de 82/12 à l’horizon 2030. Sur 57 millions de décès par an (chiffres 2008), 36 sont dus aux maladies chroniques, dont 17 aux maladies cardiovasculaires, 7,6 pour le cancer, 4,2 pour les maladies respiratoires, dont le nombre augmente, et 1,3 pour le diabète. Le sida, considéré par l’OMS comme une maladie infectieuse et donc transmissible, est devenu chronique dans les pays développés, et cause, en raison des pathologies liées à un système immunitaire déficient, environ un million de morts par an.
En France, parmi les 15 millions de personnes touchées par une maladie chronique (selon la DGS), la pathologie la plus fréquente est l’hypertension artérielle, qui concerne 36,5 % des hommes et un quart des femmes, soit plus de 12 millions de personnes(4). Suivent le diabète dont souffrent trois millions de Français puis, à égalité, les maladies cardiovasculaires (cardiopathies, AVC et insuffisance cardiaque), qui représentent 30 % des causes de décès (environ 150 000 décès par an) et les cancers (148 000 décès par an). Les maladies respiratoires, et notamment la BPCO(5), génèrent, elles, de 100 000 à 160 000 hospitalisations par an, avec une mortalité annuelle de 19 000 personnes, devant l’asthme, cause de 64 000 hospitalisations par an et 800 décès. Ces maladies sont à l’origine d’un grand nombre de décès - 40 millions dans le monde et entre 200 000 et 300 000 par an en France - et leur nombre progresse. En France, un indicateur de mesure du boom de ces maladies chroniques est observable avec les statistiques des ALD de l’Assurance maladie : sur la période 1990-2008, on constate une augmentation de 124 % des déclarations de maladie cardiovasculaire, + 102 % concernant le cancer et + 240 % pour le diabète ; sur l’ensemble des pathologies chroniques répertoriées (ALD 30), le nombre de nouveaux cas a doublé entre 1990 et 2008. On peut parler d’une véritable épidémie.
Les causes en sont multiples. Tout d’abord, le vieillissement de la population, qui fait émerger certaines maladies liées à l’âge et au dérèglement physiologique : maladies neuro-dégénératives, certains cancers, insuffisances cardiaques ou rénales, diabète, etc. Ces maladies chroniques sont également mieux soignées, ce qui augmente l’espérance de vie des patients touchés : l’épidémie apparente s’explique donc par l’accroissement de nouveaux cas qui s’ajoutent à ceux existant. Autre cause, de plus en plus problématique et prégnante : l’environnement. Une évidence quand on observe l’augmentation des maladies allergiques (comme l’asthme) ou auto-immunes (diabète de type 1), un problème qui va grandissant et devient préoccupant lorsqu’on y ajoute le dérèglement climatique et l’industrialisation de l’alimentation.
Un autre facteur intervient dans l’augmentation de ces maladies chroniques : les progrès de la médecine, ainsi que ses limites. On peut citer l’exemple du sida, devenu depuis 1996 une maladie chronique grâce aux trithérapies. On estime même qu’on guérit de certaines maladies chroniques sans guérir le patient, simplement en déplaçant la pathologie : ainsi, l’obésité, maladie métabolique, est remplacée par une maladie digestive, les patients apprenant à vivre avec un estomac modifié par chirurgie ; de la même manière, l’insuffisant cardiaque ou rénal ne souffre plus de sa pathologie, mais est contraint à un traitement immunosuppresseur à vie. Les succès de la médecine ont permis de ne plus mourir de ces maladies, mais n’offrent pas encore la possibilité d’en guérir.
En 2011, Margaret Chan, directrice de l’OMS, estimait que les maladies chroniques étaient l’un des défis du XXIe siècle, considérant qu’il « n’était pas exagéré de dire que pour certains pays, c’est une catastrophe imminente pour la société et l’économie ». En 2014, l’ONU a constaté que rien n’avait été mené pour combattre ces maladies alors que, dans le même temps, la lutte contre le sida (alors considéré comme une maladie infectieuse transmissible) avait gagné une bataille avec la chronicisation de la maladie jusqu’alors mortelle. Rien de semblable pour les maladies chroniques qui continuent de progresser. Désormais, l’OMS se fixe un objectif de réduction de 25 % de la mortalité par maladie chronique. De quoi arrêter la progression de l’épidémie ?
1 - HAS, « Annonce et accompagnement du diagnostic d’un patient ayant une maladie chronique », Guide parcours de santé, février 2014. À consulter sur : bit.ly/2IUC9ko
2 - Haut conseil de santé publique.
3 - À consulter sur : bit.ly/2ZR1QY4
4 - Santé publique France, Drees, « État de santé de la population en France », 2017. À consulter sur : bit.ly/2VMNRjL
5 - Broncho-pneumopathie chronique obstructive.
Longtemps vu et vécu comme une pathologie mortelle, le cancer endosse de plus en plus le statut de maladie chronique. Mais cette définition est à double tranchant. Si c’est une maladie chronique, c’est qu’on ne peut pas en guérir. Or, de plus en plus de malades du cancer atteignent la guérison.
A contrario, certains cancers restent agressifs et pas forcément considérés comme chroniques, comme c’est le cas pour celui du pancréas. Toujours est-il qu’en parlant de chronicité des cancers, on fait référence à certains cas où le diagnostic a pu être réalisé précocément, ce qui améliore la survie des malades et où de nombreux traitements sont possibles. Ces cancers sont de mieux en mieux maîtrisés et surveillés. C'est le cas, par exemple, de celui du sein, de la prostate et du poumon. Un nouveau paradigme est en marche : à défaut de guérir d’un cancer, la révolution thérapeutique, avec les progrès dans le domaine de la chirurgie, de la chimiothérapie (plus supportable) auxquelles s’ajoutent les thérapies ciblées et l’hormonothérapie, permet aujourd’hui d’endiguer et de contrôler la maladie. Une évolution à rapprocher du sida, qui a bénéficié de l’apport des trithérapies et qui est passé du statut de maladie mortelle à celui de maladie chronique.