CRISE DES URGENCES
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François Danet, médecin psychiatre, enseignant à l’École des psychologues praticiens, travaille depuis quinze ans sur l’histoire des urgences. Il décrypte la crise actuelle.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment les urgences en sont-elles arrivées à cette situation de crise aiguë ?
FRANÇOIS DANET : Les services d’urgences sont créés dans les années 1960, pour accueillir les ur-gences vitales. Mais à partir des années 1970 et 1980, le flux de patients grossit, en raison du développement des maladies chroniques et de l’effritement de la permanence de soins en ville. Commencent alors à affluer toutes les situations hétérogènes que les médecins spécialistes en ville rejettent. Ces patients trouvent aux urgences une médecine polyvalente.
Il n’y a pas eu de réflexion sur la segmentation du système de santé en spécialité. La réorganisation sanitaire, qui a débuté en 1982, a supprimé sans cesse des lits, engorgeant un peu plus les urgences. En raison de la désorganisation de la médecine de ville, le flux de patients devient incontrôlable. Ce système ne peut pas tenir éternellement.
L’I.M. : Les urgences ne sont donc plus dévolues aux urgences vitales ?
F. D. : Arrivent aux urgences seu lement 2 % d’urgences vitales. En viron 40 % sont des situations médicales calibrées. Le reste relève de situations hétérogènes, difficiles à classer : le grand âge, les tentatives de suicide, les ivresses aiguës, les personnes victimes ou auteures de violences, les décompensations psychiatriques, la détresse sociale, etc. Sans oublier tous les événements imprévus : catastrophes climatiques, attentats. Les urgences sont aussi à l’interface entre la ville et l’hôpital. Pour toutes ces raisons, les urgences se posent des questions médicales, mais aussi d’organisation du système de soins. Elles sont aussi face à des questions sociétales, par exemple le sort des personnes âgées ou des exclus.
L’I. M. : Le mouvement de grève aux urgences est à l’initiative de paramédicaux, regroupés dans le collectif Inter-Urgences. Comment l’expliquer ?
F. D. : Les médecins urgentistes ont gagné en reconnaissance ces quinze dernières années : alors qu’ils étaient auparavant vacataires, sous-payés et déconsidérés, ils ont accédé à des statuts de praticiens hospitaliers, de chefs de pôle, parfois de présidents de commission médicale d’établissement, en raison de leurs compétences organisationnelles, de leur fonctionnement plus démocratique. Aux urgences, on se tutoie, on pousse les brancards ensemble. Mais les médecins n’ont pas vu que les paramédicaux se prenaient de plein fouet l’hétérogénéité des situations. C’est compliqué, quand on est un aide-soignant de 22 ans, de contenir un patient psychotique, sans formation. La formation infirmière est elle aussi calibrée sur les spécialités médicales. Mais aux urgences, on fait un peu tout. À l’accueil, elles font un travail de tri, qui est une forme de compétence médicale. Elles pratiquent de la petite chirurgie, s’occupent des personnes âgées. Toutes ces responsabilités sont difficiles à assumer, cela crée de l’inconfort, de la pénibilité, pour un salaire très faible.