L'infirmière Magazine n° 406 du 01/07/2019

 

IDE EN RÉANIMATION

CARRIÈRE

PARCOURS

HÉLOÏSE RAMBERT  

En réanimation, les IDE ont un rôle crucial dans la relation avec le patient et ses proches et doivent allier technicité et réactivité. La fonction, souvent exercée par de jeunes infirmières en alternance jour-nuit et chargée émotionnellement, peut être éprouvante psychologiquement.

Infirmière en réanimation, c’est vraiment un métier à part », annonce d’emblée Stéphanie Bonnel, cadre en réanimation durant quinze ans et maintenant membre paramédicale de la Société de réanimation de langue française (SRLF). Les IDE peuvent travailler dans des services de réanimation polyvalente ou spécialisée. Les patients pris en charge souffrent d’une ou plusieurs détresses vitales. Le rôle de l’IDE est de leur apporter des soins pour leur permettre de passer une phase aiguë, liée à la défaillance d’organes, jusqu’à leur stabilisation et leur sortie de réanimation.

HYPER-TECHNICITÉ ET POLYVALENCE

À l’hôpital, les infirmières en réanimation ont une identité très forte. « Ce qui rend la fonction si particulière, c’est la technicité des soins qui est associée. Et la très grande polyvalence demandée par la variété des pathologies (cérébrales, rénales, digestives…) rencontrées dans la pratique. » Les IDE de réanimation doivent connaître des techniques très différentes. « Nous devons maîtriser la ventilation mécanique, la manipulation des cathéters ou encore celle des perfusions », détaille Sarah Dupont, infirmière en réanimation en pédiatrie à l’hôpital Robert-Debré (Paris), après plusieurs années passées en réanimation adulte (lire p. 59). « La préparation des seringues de médicaments est aussi une de nos grandes responsabilités. Les injections les plus importantes sont celles de catécholamines, comme la noradrénaline ou l’adrénaline. »

L’IDE doit connaître le fonctionnement de nombreuses machines, détecter les anomalies d’une machine d’ECMO (extracorporeal membrane oxygenation) ou des respirateurs par exemple. La dialyse entre aussi dans leur champ de compétences. « En cas de défaillance rénale, il faut faire une dialyse en aigu, qui peut être branchée en continu, ajoute Stéphanie Bonnel. Elle est faite par l’intermédiaire d’un cathéter et non d’une fistule. Dans ce cas, le risque infectieux est plus important. La dialyse peut être compliquée, ce qui nécessite une présence infirmière importante. » En passant en pédiatrie, le travail de Sarah Dupont s’est encore complexifié. « La technicité est déjà décuplée à la base en réanimation, Mais, à mon sens, la pédiatrie exige un niveau de compétence et de rigueur encore supérieur », explique la jeune IDE. Les compétences acquises en réanimation ouvrent généralement ensuite la porte des autres services aux infirmières. « On dit souvent qu’après être passées en réanimation, elles sont capables de tout faire. On appelle même quelquefois les soignants de ces services des “super-héros”, rapporte Sabrine Berrada, psychologue du travail et des organisations à l’hôpital Foch, à Suresnes. Damien Titren, qui a travaillé huit ans en réanimation adulte au groupe hospitalier Croix-Saint-Simon, nuance un peu cette vision de son métier. « C’est vrai que l’on nous voit quelquefois comme des super-héros, estime-t-il. On est particulier et on a une habileté technique, c’est certain. Pour autant, ce n’est pas pour cela qu’on est meilleur. »

Les infirmières et les aides-soignantes font en premier lieu face aux soins urgents. « En général, les paramédicaux sont au chevet des patients et gèrent l’urgence, explique Sarah Dupont. Mais les médecins ne sont jamais loin et nous alertons tout de suite le reste de l’équipe. » Les paramédicaux ne sont pas seulement dans la réaction. « Tout peut aller très vite, mais nous ne vivons pas dans une série médicale américaine, s’amuse Damien Titren. Nous exerçons surtout une surveillance active du patient, en étant au maximum dans l’anticipation. Nous ne sommes pas toujours dans la correction d’une urgence vitale. »

UN LIEN PRIVILÉGIÉ AVEC LES PATIENTS

En réanimation, le nombre de patients par infirmière est plus réduit que dans les autres services. « La norme, c’est une infirmière pour 2,5 patients. Moins de patients à charge, c’est plus de temps de présence auprès d’eux », souligne Stéphanie Bonnel.

Cette façon de travailler façonne la relation infirmière-patient. « On connaît très bien nos patients, il y a un lien qui se crée », constate Damien Titren. Le patient est particulièrement en demande de soutien et d’attention. « Même s’il est conscient et coopérant, il est plus angoissé », explique Stéphanie Bonnel. En cause, les lourdes pathologies prises en charge mais aussi l’environnement de la réanimation, bruyant et anxiogène - les respirateurs, les scopes, les pousse-seringues électriques, etc., qui sont tous munis d’alarmes, réglées par les IDE pour alerter efficacement.

La relation avec les familles est aussi beaucoup plus intense que dans les autre services. « Aujourd’hui, dans la très grande majorité des services de réanimation, les visites peuvent se faire vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il y a constamment des familles », indique Stéphanie Bonnel. La communication avec les proches est assurée en partie par l’infirmière. « Nous jouons un rôle de tampon entre l’équipe médicale et les familles, auprès desquelles nous nous assurons que les choses ont bien été comprises », explique Damien Titren.

UN COLLECTIF SOLIDE

La charge de soins et la charge émotionnelle sont fortes. Pour que les soignants puissent les supporter, une large place est accordée au collectif. « Je n’ai jamais vu un collectif aussi fort qu’en réanimation. Et pourtant, j’ai travaillé avec beaucoup de services », témoigne Sabrine Berrada. En pratique, des binômes infirmière-aide-soignante sont constitués. « C’est très spécifique à la réanimation, pointe Stéphanie Bonnel. Dans les autres services, il y a souvent seulement une à deux aides-soignantes par étage, et le binôme ne peut pas se faire d’un point de vue organisationnel. Ici, il se fait par nécessité. » Des tâches comme les pansements ou la toilette des patient intubés-ventilés se font bien plus facilement à deux. « L’infirmier doit être de tous les soins, explique Sarah Dupont. Comme il y a beaucoup de dispositifs autour du patients, nous avons besoin d’aide. L’un tient le matériel, pendant que l’autre s’occupe du patient. » Ce travail d’équipe bénéficie également aux aides-soignantes. « Elles développent, elles aussi, des compétences qu’elles n’acquièrent pas dans d’autres services », ajoute l’infirmière. Le binôme se doit de très bien fonctionner. « La personne avec qui on travaille est très importante. Si ça ne marche pas, ça peut tout changer », affirme Damien Titren.

Le travail en équipe ne se justifie pas uniquement pour des raisons pratiques, mais aussi en raison de la charge psychologique propre à la réanimation. « Il est fondamental de communiquer dans l’équipe, notamment par rapport aux limitations thérapeutiques. Il faut absolument systématiser les temps de réunion, pour que les informations puissent circuler », assure Sarah Dupont. Les collègues sont un soutien précieux. « On se trouve forcément obligé de partager son ressenti, à un moment donné, ou de passer la main à un collègue, par exemple quand on a affaire à une famille compliquée », estime l’infirmière.

GARE À L’ÉPUISEMENT PSYCHOLOGIQUE

Dans leur grande majorité, les services de réanimation travaillent en alternance jour-nuit. Une organisation du travail qui implique souvent les plus jeunes et produit un turn over particulièrement rapide. « La plupart du temps, les infirmières partent rapidement de réanimation pour aller travailler dans d’autres services. Elles tiennent en moyenne trois ans », explique Stéphanie Bonnel. L’ancienne cadre de santé regrette la situation mais la comprend parfaitement. « C’est dommage de les voir partir parce qu’elles ont acquis une expérience solide et sont devenues indispensables dans l’équipe. Mais elles arrivent à un âge où elles ont envie de fonder une famille. L’alternance jour-nuit est très fatigante et peu compatible avec le fait d’avoir des enfants. »

La fatigue est accentuée par la pression constante et l’absence de droit à l’erreur. Le risque d’erreur est pourtant très élevé car les IDE sont souvent interrompues dans leurs tâches. Le “cocktail” charge de travail et charge émotionnelle peut conduire au burn out. « Le risque majeur est clairement le syndrome d’épuisement psychologique », assure Sabrine Berrada. La présence d’un psychologue est indispensable dans ces services. « Ce risque est multifactoriel. Il y a bien sûr un facteur individuel, lié à la personnalité. On dit que le burn out est la maladie du battant. Les gens très investis dans leur travail sont particulièrement à risque », poursuit la psychologue du travail. La gravité des cas pris en charge fragilise également les soignants. Même si les nouveaux venus dans les services de réanimation ont souvent bien intégré que les décès de patients y sont très fréquents, ils doivent “encaisser” cette réalité. « Un tiers des patients décèdent », précise Sabrine Berrada. Le risque de transfert est réel. « Le soin mobilise les affects des soignants. Les cas qu’ils prennent en charge peuvent faire écho à un vécu ou une situation personnelle, explique la psychologue. Les soignants en réanimation sont souvent jeunes. Lorsqu’ils reçoivent des patients jeunes, il y a un risque d’identification. Ils peuvent se mettre à la place du patient, lui attribuer certains traits d’eux-mêmes. Ce mécanisme de défense est une “fusion” entre le soignant et le soigné. Le soignant devient incapable de garder une juste distance », continue-t-elle.

Les soignants ont un grand besoin de donner du sens à leur travail. « Dans ces services, les professionnels doivent créer des choses pour les patients, pour les familles. C’est très important. Ils ne peuvent pas être uniquement dans l’exécution de tâches. Sinon, soit ils partent, soit ils font un syndrome d’épuisement professionnel. »

Quand elles choisissent de quitter la réanimation pour un autre service, les infirmières optent souvent pour une spécialisation en anesthésie (Iade), accessible sur concours. C’est le choix qu’a fait Damien Titren, même s’il n’a jamais vraiment souffert psychologiquement de son travail. « J’ai obtenu le concours et je suis en formation depuis deux ans. Je n’envisageais pas de faire de la réanimation jusqu’à la retraite. L’anesthésie est une évolution logique pour nous, car nous connaissons la technique qui entoure les personnes en sortie de bloc. Nous maîtrisons très bien la ventilation et nous avons l’habitude de travailler avec des médecins anesthésistes », estime l’infirmier.

UNE FORMATION “SUR LE TAS”

Durant leurs études, les élèves IDE ont une formation très incomplète à la réanimation en Ifsi. À leur arrivée dans les services, une période d’intégration de huit semaines est recommandée par la SRLF. Dans la pratique, cette période est souvent réduite à quatre ou six semaines. Durant son intégration, la jeune diplômée est doublée dans son travail par une infirmière plus expérimentée. Elle commence par prendre en charge un seul patient, puis sa charge de travail “monte en puissance” et la technicité augmente progressivement. Son évolution est suivie grâce à une grille d’acquisition de compétences. À l’issue de sa période de formation, sa capacité à exercer en réanimation est évaluée. « L’infirmière ou la cadre, sur avis des infirmières, peuvent mettre fin à cette période d’essai, si elles estiment que ce n’est pas le moment pour la jeune de prendre un poste en réanimation », explique Stéphanie Bonnel.

« Je n’y croyais pas au début, mais je m’en suis aperçue en les côtoyant : il y a un “profil réanimation”, assure Sabrine Berrada. La culture de ces services est fondée sur l’audace, l’endurance et la maîtrise. Les infirmièresdoivent aller au-devant des réanimateurs pour savoir ce qui se fait actuellement, au-devant de nouvelles publications », continue-elle. Si Damien Titren estime que « tout le monde peut le faire », il concède que certaines qualités sont requises. « Il faut avoir de bonnes capacités d’analyse, savoir réagir et prendre des initiatives pour ne pas appeler les médecins inutilement. »

Au-delà de ces quelques semaines de formation, il est fortement recommandé aux infirmières de continuer à se former. « À Foch, un programme de formation continue est proposé, sur la base de trois journées dans l’année. Ces journées sont pensées pour coller au plus près de la pratique quotidienne des infirmières », rapporte Stéphanie Bonnel. Point limitant de cette formation : elle n’offre pas de communication avec des professionnels extérieurs. « C’est pour cette raison que la formation Fier a été créée (voir encadré ci-contre) sur une idée de plusieurs membres de la SRLF. »

POUR ALLER PLUS LOIN

Textes officiels

→ Recommandations éditées par la SRLF (Société de réanimation de langue française), avec notamment un référentiel de compétence pour les infirmières de réanimation et un livret d’adaptation à l’emploi.

www.srlf.org/metier-dide-reanimation

Ouvrages

→ Réa : l’infirmière en réanimation, Thierry Lherm, Olga Saez, Alain Tenaillon, Éd. Lamarre, 2009, 2e édition.

→ L’infirmier en réanimation, Yazid Rouichi, Christophe Prudhomme, Éd. Maloine, 2019, 6e édition.

ÉVOLUTION

La réa, toujours pas une spécialité

→ Les infirmières en réanimation aimeraient que leur métier soit reconnu comme une spécialité de l’exercice infirmier.

La question est sur la table depuis des années mais les IDE n’ont pas obtenu gain de cause.

Les infirmières qui travaillent dans ces services ne bénéficient d’aucun statut particulier.

Le décret qui réglemente la profession d’infirmière en réanimation est le même que celui qui réglemente la profession d’IDE en général.

Seule différence notable, mais souvent vue comme dérisoire par les professionnelles : les infirmières en réanimation reçoivent une prime de soins intensifs, variable en fonction des établissements.

FORMATION

Se perfectionner en ligne

→ La Société de réanimation de langue française (SRLF) propose, depuis de nombreuses années, des formations destinées aux paramédicaux désireux d’approfondir leurs connaissances et/ou de s’initier à la recherche. Depuis avril 2018, la SRLF propose une nouvelle offre de formation (Formation des infirmières en réanimation, Fier) pour faciliter l’acquisition des connaissances théoriques et uniformiser les compétences à acquérir pour une IDE qui prend un poste en réanimation. La formation se fait en ligne. « Nous avons opté pour le e-learning, parce qu’il est difficile de détacher les gens, explique Stéphanie Bonnel. Les infirmiers se forment sur leur temps personnel. »

→ La formation Fier est composée dans un premier temps de modules, regroupant les bases théoriques et les activités spécifiques nécessaires à la prise en charge d’un patient de réanimation. Les cours sont élaborés par des binômes médicaux et paramédicaux et ont une durée de vingt à trente minutes.

Cet enseignement en ligne à un rythme de trois cours par semaine pendant douze à quatorze semaines se termine par une journée de validation présentielle. L’inscription à la formation est gratuite pour les membres paramédicaux de la SRLF.

→ Des formations universitaires existent comme le DIU soins infirmiers en réanimation de l’université de Tourset à l’université de Lille, le diplôme universitaire infirmier de réanimation à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.

Des organismes de formation proposent aussi des modules ciblés sur certaines compétences.

Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de la SRLF : www.srlf.org/paramed-et-biomed/formation-infirmiers-reanimation-fier