L'infirmière Magazine n° 406 du 01/07/2019

 

HÔPITAL SAINTE-PÉRINE

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

HÉLÈNE COLAU  

Une unité de soins prolongés et complexes (USPC) vient d’ouvrir au sein de l’établissement Sainte-Périne (AP-HP). Il entend offrir un vrai cadre de vie à des personnes encore jeunes, nécessitant des soins importants mais dont l’état est stabilisé.

Une musique aux rythmes latins envahit la grande salle percée d’une large baie vitrée. Trois patients, dans leurs fauteuils, bougent doucement les bras en cadence : ils attaquent leur journée avec une séance d’éveil musculaire… qui tient plus du cours de zumba que de la gym douce pour seniors. Bienvenue à la toute nouvelle unité de soins prolongés et complexes (USPC) de l’hôpital Sainte-Périne (AP-HP). Une structure novatrice, ouverte le 8 janvier 2019, qui accueille des patients nécessitant des soins techniques lourds et une surveillance infirmière rapprochée mais qui souhaitent par-dessus tout continuer à vivre, au-delà de la maladie. En effet, ces personnes - handicapées motrices à la suite d’un accident ou d’un AVC, ou encore atteintes d’une sclérose latérale amyotrophique - sont parfois jeunes et, même si des évolutions restent possibles, elles doivent envisager un très long séjour hospitalier. C’est un véritable projet de vie, avec des activités et une vie sociale, que l’unité doit donc leur permettre d’élaborer. « Il y avait un vrai besoin : certains patients restaient en réa alors qu’ils n’avaient plus rien à y faire en termes de soins… et surtout de cadre de vie », explique Bruno Le Dastumer, le chef du service. « S’ils ont besoin d’une présence médicale rapprochée, en fait, ils sont dans un état stabilisé, confirme Clémence Lefèvre, l’une des médecins du service. Jusque-là, il n’existait pas de lieu de vie adapté pour eux. »

Une équipe soudée

À la fenêtre de sa chambre, d’une vingtaine de mètres carrés, Ouria a fait sécher un bouquet de roses, envoyé par sa sœur pour son anniversaire. Au mur, un papillon en mosaïque, réalisé en atelier d’ergothérapie. Juste en dessous, son semainier est couvert de petits papiers colorés : orthophonie, kiné, animation… Un planning bien chargé. « Ça permet de passer le temps agréablement, sourit cette fe mme au brushing impeccable et aux ongles manucurés. Dans mon hôpital précédent, il n’y avait que des personnes âgées. Ici, j’ai un voisin de mon âge avec qui je fais plein de choses, comme des courses en fauteuil : on va bientôt courir contre Garches ! »

Dans le couloir voisin, une aide-soignante shoote dans un ballon ; un patient en fauteuil l’intercepte de la main. Un peu plus loin, un binôme aide-soignante/kinésithérapeute procède au lever et à la mise en fauteuil d’un patient. « Dans les autres services, les rééducateurs sont bien séparés des soignants, sourit Flor Sanchis Pitarch, la kiné. Jamais vous ne verrez un kiné aider pour la douche ! Mais ici, on est une vraie équipe : c’est ça qui fait de l’unité ce qu’elle est. »

Une ambiance familiale essentielle aux yeux de la cadre, Chrystelle Croitor, qui a sélectionné chacun de ses collaborateurs dans cette perspective. « C’était un vrai défi de mettre en place le maillage permettant d’insérer la rééducation dans un milieu soignant, explique-t-elle. Ici, le temps de rééducation est relativement court, car les patients sont très fatigables. C’est pourquoi il fallait que nous soyons soudés : nous menons une belle collaboration. »

« Adéquation avec les valeurs soignantes »

C’est lors de leur formation que les soignantes ont co mmencé à se serrer les coudes : chacune a passé une semaine en i mmersion dans le service de soins de rééducation post-réanimation de Garches (Hauts-de-Seine). Puis, le fait de participer à l’ouverture d’une unité a aidé à la naissance d’un esprit d’équipe. « On n’a pas à se couler dans un moule, puisque tout est nouveau, apprécie Aurélie Drieux, infirmière. On a créé le projet de soins, nos fiches de transmissions… »

De prime abord, la fiche de poste pouvait faire peur, avec de nombreux soins techniques à effectuer (beaucoup de patients ayant des trachéotomies)(1), mais toutes s’accordent à dire que la mayonnaise a pris. « Avec une infirmière pour douze patients, on a le temps de prendre en compte les souhaits du patient et on peut vraiment travailler en adéquation avec nos valeurs soignantes », assure Justine Germe, IDE. « D’ailleurs, ici, il n’y a pas de souffrance ni d’arrêts de travail, contrairement à nombre d’autres services », souligne sa collègue Isabelle Daugan. Des conditions à la mesure de l’investissement demandé. Exercer dans ce service demande de grandes facultés d’adaptation pour répondre aux besoins spécifiques des patients. Pour cela, les soignantes bénéficient de formations théoriques et pratiques pour chaque pathologie. C’est, selon elles, une source d’enrichissement tant personnel que professionnel, car elles développent des compétences.

Autre particularité très appréciée : le travail est toujours effectué en binôme avec une aide-soignante. « Le travail avec d’autres professionnels de santé nous permet aussi d’enrichir notre pratique, reprend Isabelle Daugan. L’orthophoniste nous forme par exemple aux troubles de la déglutition. Nous en avions une connaissance théorique, mais là, on est dans la pratique ! » Les bonnes conditions de travail des soignants leur permettent avant tout de créer une relation de soins de qualité. « C’est rare de voir des gens aussi disponibles, confirme Jacques, qui actionne le pédalier de son vélo avec les bras au son de I Want to break free, de Queen. Rien à voir avec l’hôpital où j’étais avant ! J’aimerais reprendre le vélo un jour et bien que je sache qu’il faut y aller doucement, les activités qu’on me propose ici me redonnent le moral… Même s’il n’est pas toujours au beau fixe. »

Des activités pour s’épanouir

Laisser sortir ses émotions, voilà le but de l’atelier de peinture en cours dans la salle d’activité, dirigé par l’ergothérapeute et la psychomotricienne. « Il n’y a pas trop de soleil, là ? » s’inquiète Thierry, qui a réussi à peindre un paysage chatoyant, les bras soutenus par des poulies. « On va en parler tout à l’heure. » Cette activité permet en effet, via l’art, de se détendre et de mettre en couleurs ses émotions. « On passe par le corps pour interroger les ressentis et montrer aux patients ce qu’ils peuvent faire avec leurs capacités restantes, explique Zeyneb Bekhaled, la psychomotricienne. Car ici, il y a des projets de vie qui continuent. Et nous avons des retours plutôt positifs sur l’échelle de la qualité de vie, ce qui peut paraître étonnant : ce ne sont pas toujours les patients les plus dépendants les plus malheureux. » Brice Simon, enseignant en activité physique adaptée, installe de petites cibles en papier dans la salle d’activités. En ce début d’après-midi, la compétition de sarbacane va bientôt s’ouvrir. « C’est important de proposer des activités amusantes pour que les patients ne se lassent pas, explique-t-il. Des choses qui les changent du milieu hospitalier : j’envisage même de les emmener à Roland-Garros, qui n’est pas loin. » En plus de ses activités classiques d’entretien physique, Brice Simon organise régulièrement des loisirs plus ludiques, comme la boccia, un jeu de boules d’origine gréco-romaine. « C’est sympa quand les familles viennent, elles sont demandeuses d’activités à faire ensemble. »

L’heure des visites, qui s’étend de midi à 20 h, vient justement de commencer. Des parents, des conjoints, des frères et sœurs circulent librement dans l’unité. Dans le salon des familles, une pièce où elles peuvent se retrouver autour d’une petite table, un homme fait ses mots croisés. Dans une chambre, Nadine allume une liseuse pour son époux, Thierry. « Ici, on peut jouer, on écoute de la musique, souffle sa fille Clara, 20 ans. Il y a de l’ambiance, ça fait moins peur que les autres hôpitaux. » « J’ai une vraie proximité avec l’équipe soignante, que je sollicite très naturellement, renchérit Nadine. Ils ont aussi de gentilles attentions. Comme quand j’ai voulu célébrer nos quinze ans de mariage : les animateurs ont décoré la salle pour nous avec des ballons. »

Proximité avec les familles

Étant donné la durée des séjours, les soignants mettent en effet un point d’honneur à connaître les familles, avec qui une réunion est organisée chaque mois pour faire le point. « On rencontre certaines personnes tous les soirs, ce qui permet de désamorcer leurs doutes et leurs appréhensions, explique Sandra Babillon, infirmière. Ils savent vraiment qui est qui et ce qu’on apporte à leur proche. Ainsi, une maman hésitait à partir trois jours en Normandie en laissant son fils : on l’a rassurée, elle est partie sereine. Elle nous a dit que ça n’aurait pas été possible ailleurs. » Un peu plus loin, Mohammed, respirateur sur le nez, “discute” en vidéo avec sa maman grâce au portable que lui brandit sa sœur. Sur les murs, de nombreuses photos montrent sa famille en visite : entre ses sœurs, son épouse et ses trois fils, il ne passe jamais une journée seul. « C’est bien ici, même si la chambre est un peu petite pour nous tous », explique Yamina, l’une des visiteuses du jour. Dans les couloirs, le son des téléviseurs se mêle à ceux des radios dans une joyeuse cacophonie. « C’est eux qui sont demandeurs, souligne Aurélie Drieux. Mais il y a beaucoup de franchise entre nous : si le bruit dérange quelqu’un, on le respectera. »

Pour les infirmières, les soins techniques passés, c’est un peu plus calme. L’équipe de l’après-midi en profite pour faire son travail sur ordinateur. Une aide-soignante prend le temps de faire un Scrabble avec un patient. Chrystelle Croitor, elle, est appelée pour un entretien de pré-admission, lors duquel elle doit expliquer le projet de l’unité à une famille. Quelques minutes plus tard, elle est de retour, rayonnante. « Le jeune homme est arrivé en marchant ! Finalement, il est en train de récupérer : il va aller ailleurs. Tant mieux ! » Même si, ici plus qu’ailleurs, des liens solides se forment entre patients et soignants, un retour à la maison, la vraie, reste toujours une bonne nouvelle.

1- Les soins techniques sont essentiellement : ventilation artificielle par canule de trachéotomie ou masque, ventilation invasive et non invasive, changements de canule de trachéotomie et soins de canule, nutrition entérale sur gastrostomie, collaboration pour les injections de toxines botuliques, aspirations bronchiques, gaz du sang artériel et capillaire, aide pour les fibroscopies en salle…

SOINS PROLONGÉS ET COMPLEXES

Un modèle à reproduire

→ Quatre unités de soins prolongés et complexes (USPC) de ce genre sont en cours de constitution en Île-de-France, celle de Sainte-Périne étant le projet le plus avancé. Ouverte après un appel d’offres de l’agence régionale de santé, elle compte déjà douze lits et douze autres doivent ouvrir début octobre. Ils ne sont pas encore tous occupés, car le forfait hôtelier – environ 3 000 € par mois – reste à la charge des patients, « ce qui pose des difficultés pour les admissions », admet Bruno Le Dastumer, chef du service.

Pour les patients de plus de 65 ans, c’est comme en Ehpad. Si vous avez moins de 65ans, soit vous faites une demande d’aide sociale, soit vous avez un reste à charge.

→ L’équipe soignante, coordonnée par la cadre Chrystelle Croitor, s’étoffera au fur et à mesure des arrivées pour compter, à terme, une infirmière pour douze patients, ainsi que six aides-soignantes le matin, quatre l’après-midi et deux la nuit.

Côté médical, deux médecins à mi-temps travaillent avec le chef de service. L’USPC bénéficie aussi d’un orthophoniste, un ergothérapeute, trois kinés, une psychomotricienne, un enseignant en activité physique adaptée, trois animateurs, un psychologue, une assistante sociale et une personne de ménage.