INTERVIEW : Erlinda PALAGANAS, Présidente de l’association des infirmières philippines
DOSSIER
Les Philippines sont le premier pays exportateur d’infirmières au monde. Très compétitives sur le marché mondial du travail, les IDE quittent le pays en masse pour soigner les populations des pays les plus développés. Ce qui crée un déséquilibre estime Erlinda Palaganas.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quelle est la réalité de la migration des infirmières philippines ?
ERLINDA PALAGANAS : Elles fournissent de la main-d’œuvre pour des pays comme les États-Unis ou le Royaume-Uni. Ici, elles n’ont qu’un rêve : partir. Chaque année, des milliers d’IDE (19 000, NDLR) partent exercer à l’étranger. Les États-Unis restent le rêve de toute infirmière philippine. Mais à cause de certaines restrictions mises en place par la nouvelle administration américaine, les choses sont devenues plus dures. Elles ont plus de mal à obtenir un visa de travail, et même un visa d’immigration. Et à en croire les IDE expatriées, le climat de discrimination à leur égard devient plus pesant. Elles se demandent pourquoi attendre que les portes s’ouvrent et se dirigent de plus en plus vers d’autres pays.
Notamment vers le Moyen-Orient ou au Royaume-Uni. Ou ailleurs en Europe, comme en Allemagne, en Finlande, en Norvège ou encore en Espagne. Elles sont d’autant mieux accueillies qu’elles parlent la langue du pays. Le Canada et l’Australie sont aussi une de leurs destinations favorites, mais elles doivent retourner à l’école pour y exercer. Mais elles cherchent à partir à tout prix, quitte à exercer comme aide-soignante à l’étranger ou n’importe quel autre métier moins qualifié.
L’I.M. : Pourquoi vouloir partir à tout prix ?
E. P. : Parce que les salaires du personnel infirmier sont très bas aux Philippines, ils ne permettent pas de vivre décemment. Et, au-delà des conditions financières misérables, il ne fait pas bon être infirmière aux Philippines. Les conditions de travail sont très difficiles : les établissements de santé manquent cruellement de moyens matériels et les rapports humains avec la hiérarchie sont souvent mauvais. Elles sont fréquemment harcelées sur leur lieu de travail et ne peuvent pas s’exprimer librement. Parmi celles qui ne partent pas, beaucoup changent de métier. Nous avons assez d’infirmières en nombre car nous en formons beaucoup, mais elles se détournent des soins infirmiers. Nous faisons face à une sorte de pénurie artificielle.
L’I.M. : Est-ce qu’elles reviennent après leur expérience à l’étranger ?
E. P. : Non. Souvent, elles partent pour toute leur vie professionnelle. Elles rentrent quelquefois au pays au moment de leur retraite.
L’I.M. : Pourquoi les infirmières philippines sont-elles aussi demandées sur le marché mondial du travail ?
E. P. : Notre système de formation des infirmières est calqué sur le système américain. Il est complètement « occidentalisé ». Et notre gouvernement est très strict sur la mise en œuvre du programme de formation. Nous avons façonné un système pensé pour répondre à des situations cliniques en dehors de nos frontières et pas vraiment à nos besoins - même si, bien sûr, les infirmières philippines sont capables de prendre en charge les Philippins. Quand elles partent, elles sont opérationnelles pour un poste à l’étranger. Et bien sûr, elles ont un gros avantage linguistique sur leurs consœurs des autres pays asiatiques, puisqu’elles ont une très bonne maîtrise de l’anglais. Tout cela fait d’elles des valeurs sûres.
L’I.M. : Que pensez-vous de cette “fuite” de vos IDE à l’étranger ?
E. P. : À mon sens, la politique menée est problématique car elle n’est pas équitable. Ce n’est pas éthique que des pays riches prennent des IDE dans mon pays alors que celui-ci, justement, ne peut pas prendre soin de la santé de sa population. J’aimerais qu’il y ait un véritable accord bilatéral. Nous perdons de la main-d’œuvre, et pas n’importe laquelle. Dans les faits, les grandes puissances nous enlèvent les meilleures de nos IDE, les plus qualifiées. J’aimerais qu’on pousse le gouvernement à tout mettre en œuvre pour aider les IDE qui restent et sont laissées pour compte. Le gouvernement essaie d’augmenter les salaires, mais ce n’est pas assez. Si on leur donnait le bon salaire, le bon environnement de travail, elles reviendraient dans les hôpitaux ou dans les écoles d’infirmière. Mais c’est comme ça aux Philippines : on exporte tout, en particulier les gens. Ils envoient ensuite des fonds au pays, et nous survivons grâce à cela.