Une importante réforme de la fonction publique est discutée au Sénat. Le gouvernement la présente comme un progrès, pour les fonctionnaires et les usagers, alors que les syndicats y voient un risque de rapprochement entre le fonctionnement des hôpitaux publics et celui des établissements privés. En tous les cas, l’hôpital sera fortement touché.
Une fonction publique plus attractive et plus réactive, des parcours professionnels plus diversifiés et une plus grande prise en considération de la qualité de vie au travail. » Qui pourrait être en désaccord avec l’exposé des motifs du projet de loi de transformation de la fonction publique présenté en février dernier par Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des comptes publics ? Pas les députés de la majorité, qui ont adopté le texte en première lecture fin mai. Du côté du Sénat, où il est discuté jusque fin juin et où le gouvernement n’a pas la majorité, les choses pourraient être plus compliquées. Et du côté des représentants des fonctionnaires, l’ambiance est plutôt à la franche hostilité.
De nombreuses dispositions du texte sont en effet de nature à inquiéter les membres des trois fonctions publiques (d’État, territoriale et hospitalière). C’est d’ailleurs ce qui a amené entre 110 000 (selon le ministère de l’Intérieur) et 250 000 (selon les syndicats) d’entre eux à battre le pavé dans toute la France, le 9 mai dernier, juste avant que les députés ne commencent à examiner le texte. « Le gouvernement pratique le double langage en prônant la modernisation de la fonction publique et le respect des agents publics, alors même qu’il ne revalorise pas leur rémunération, qu’il supprime des postes, engendrant une forte dégradation des conditions de travail, et veut affaiblir leurs droits et garanties », accusaient dans un communiqué commun les neuf orga- nisations syndicales qui appelaient à manifester ce jour-là(1).
Principal grief des représentants des fonctionnaires contre le projet de loi : la volonté gouvernementale de faciliter le recours aux contractuels dans la fonction publique. D’après l’exposé des motifs du projet d’Olivier Dussopt, l’objectif est on ne peut plus noble : il s’agit de « renforcer la qualité et la continuité des services publics dans les territoires », en offrant aux employeurs publics « la possibilité de recruter par voie de contrat sur les emplois de toute catégorie hiérarchique, et non plus seulement de catégorie A, lorsque la nature des fonctions ou les besoins du service le justifient ». Le texte du gouvernement cite comme exemples pouvant justifier le recours aux contractuels les situations où « l’emploi fait appel à des compétences techniques spécialisées ou nouvelles », ou celles où « la procédure de recrutement d’un titulaire s’est révélée infructueuse ».
Bien sûr, du côté des syndicats, on ne voit pas les choses de la même manière. « Dans la fonction publique hospitalière, nous sommes déjà en moyenne à 20 % de contractuels, et il y a des endroits où on est à 40 % », dénonce Bruno Lamy, infirmier et secrétaire général adjoint de la fédération Santé-sociaux de la CFDT. « Or, les contractuels en CDD de la fonction publique hospitalière sont les salariés les plus maltraités de France. » À l’appui de cette déclaration, Bruno Lamy explique que contrairement à un salarié en CDD du privé, un contractuel de la fonction publique hospitalière ne se voit par exemple pas obligatoirement proposer un CDI après le renouvellement de deux CDD. « Il s’agit de salariés en situation de précarité qui peuvent rester en CDD six, voire huit ans, ce qui leur cause de grandes difficultés pour accéder à des prêts ou à un logement par exemple », détaille le cédétiste.
Et il ne faudrait pas croire que ce discours est l’archétype d’une critique syndicale arc-boutée sur ses acquis sociaux. Carine Milcent, professeure associée en économie de la santé à la Paris School of Economics et chercheuse au CNRS, pointe elle aussi les désavantages du recours excessif aux contractuels, qui peut, selon elle, faire augmenter ce qu’elle appelle « les coûts de connaissance informelle ». Bien sûr, l’économiste reconnaît que les contractuels sont un bon moyen de faire face à des variations de l’activité. « Mais si vous faites appel à des contrats plus courts, vous perdez une partie de la connaissance du lieu, de tout ce qui peut être fait de façon non dite, une connaissance d’équipe, pointe-t-elle. Plus une structure est dépendante des informations informelles, plus le recours aux contrats courts complique les choses, et en milieu hospitalier, ce type d’information n’est pas négligeable. »
En dehors du recours accru aux contractuels, un autre aspect du projet de loi de réforme de la fonction publique est fortement critiqué: sa volonté de réformer et de simplifier le dialogue social en fusionnant le comité technique d’établissement (CTE) et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) au sein d’une instance unique dans chaque établissement : le comité social. L’exposé des motifs du projet de loi confère à cette nouvelle instance un « rôle stratégique en matière d’orientation des politiques de ressources humaines », et indique qu’un « haut niveau de prévention et de protection en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail » sera garanti malgré la suppression du CHSCT.
« Le gouvernement copie ce qui s’est passé dans le privé », s’insurge Bruno Lamy. Or, pour lui, le bientôt défunt CHSCT est « le lieu fondamental pour défendre des conditions de travail à l’hôpital, qui sont justement en train de subir une forte dégradation ». Pour le militant, loin d’améliorer le dialogue social, cette disposition risque au contraire de le dégrader, notamment car elle éloignera les fonctionnaires de leurs représentants syndicaux. « On nous dit qu’il faut économiser du temps et des moyens syndicaux, mais nous pensons que c’est dangereux et qu’on risque de perdre notre mission de proximité avec les salariés qui est au cœur du syndicalisme », assure-t-il.
Un argumentaire qui, là aussi, pourrait paraître comme défendant avant tout les intérêts des représentants syndicaux. Sauf que Carine Milcent non plus ne voit pas dans la fusion CTE-CHSCT la solution aux problèmes hospitaliers. « Est-ce que réduire le nombre de réunions permet vraiment de réduire l’opposition entre un personnel soignant qui se plaint d’être de moins en moins nombreux pour gérer des patients qui le sont de plus en plus, et des équipes administratives qui grossissent ? », demande l’économiste, dubitative.
Le projet de loi présente, en plus des dispositions déjà exposées, de nombreuses autres mesures, notamment en ce qui concerne les postes de direction (voir encadré). Il entend également favoriser la mobilité des salariés entre le secteur public et le privé, avec un accompagnement renforcé des fonctionnaires qui souhaitent quitter leur emploi via des dispositifs de formation. Il vise par ailleurs à renforcer l’égalité homme-femme, avec notamment la non-application du jour de carence pour les congés maladie liés à la grossesse ou encore le maintien des droits à l’avancement en cas de congé parental ou de disponibilité de droit pour élever un enfant. Après son passage à la chambre haute, s’il est (comme c’est très probable) modifié par les sénateurs, le texte définitif sera fixé par une commission mixte paritaire pour une adoption que le gouvernement souhaite voir intervenir début juillet.
En définitive, le projet de loi de transformation de la fonction publique risque de transformer les établissements en profondeur. Mais pour Carine Milcent, la véritable question est en effet de savoir où va l’hôpital public, et si rapprocher son mode de gestion de celui des hôpitaux privés, comme le gouvernement est en train de le faire, est la bonne solution.
Or, la réponse dépend selon elle des types d’établissements, ce que ne permet pas de faire la réforme de la fonction publique. Et pour Bruno Lamy, le texte est avant tout une « occasion manquée ». « Les thématiques abordées sont intéressantes, mais l’angle adopté est toujours le même, regrette-t-il. On est dans une vision budgétaire qui en arrive à nier les besoins réels. » Ce n’est donc pas dans ce texte que l’hôpital trouvera la solution à ses difficultés.
1 - CFDT, CFTC, CFE-CGC, CGT, FAFP, FO, FSU, Solidaires et Unsa.
Si le projet de loi de réforme de la fonction publique inquiète les représentants des soignants, il ne rassure pas non plus ceux des directeurs d’hôpitaux. C’est ce que montre une lettre ouverte que Jérémie Sécher, le président du Syndicat des managers publics de santé (SMPS), a envoyée mi-juin 2019 à ses adhérents. Le président du SMPS s’inscrit notamment en faux contre le recours aux contractuels, qui devrait aussi toucher les postes de direction. Pour lui, « la possibilité de nommer, sur les plus hauts postes hospitaliers, des contractuels, issus ou non de la fonction publique », ne ferait qu’entretenir le désordre, « alors même que la confusion la plus totale règne actuellement sur les nominations et promotions de cadres de direction ».
À l’heure où nous mettons sous presse, les sénateurs de la commission des lois ont remanié le projet de loi. Ils ont notamment souhaité :
- généraliser aux trois fonctions publiques (FP) la garantie selon laquelle l’emploi public ne peut être réservé à un contractuel en cas de vacance de la FP, et étendre aux agents contractuels l’exigence de casier judiciaire vierge ;
- limiter, pour la seule fonction publique hospitalière, le droit à une indemnité de précarité aux agents recrutés à titre permanent sur des emplois permanents.
La commission a, en outre, étendu le congé de proche aidant aux agents publics.