Pour les plaies, moins c’est mieux - L'Infirmière Magazine n° 406 du 01/07/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 406 du 01/07/2019

 

ÉCO-CONCEPTION DES SOINS

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

ISABEL SOUBELET  

Au CH de Cannes (06), un protocole pour les plaies a permis aux IDE de se recentrer sur leur rôle infirmier et de développer un travail d’équipe, dans le cadre d’une démarche plus globale d’éco-conception des soins.

Tout a commencé en 2008, avec la réécriture du protocole des pansements de plaies chroniques. Menée avec les services de chirurgie, la réflexion s’est poursuivie sur l’évolution des protocoles et la fréquence de réfection des pansements. La démarche visait à favoriser la cicatrisation physiologique en s’appuyant sur deux fondamentaux : éviter le recours systématique aux antiseptiques et ne pas trop “toucher” au pansement. Les évolutions ont été plus ou moins rapides selon les services. En 2016, le service d’orthopédie – qui compte désormais une cadre, neuf infirmières et autant d’aides-soignantes – a affiché une belle avancée en passant à l’utilisation du sérum physiologique sur une plaie simple. « Nous avons démontré que les plaies ne montraient pas de complications, se souvient Caroline Kittel, cadre de santé dans le service de chirurgie orthopédique et traumatologie. C’est la force de la preuve qui a permis de faire bouger les lignes, de sortir de ses habitudes et de sa zone de confort. » Une fois lancée, puis validée par l’équipe d’hygiène, cette avancée a été officialisée par l’institution en 2018. Pour autant, cette mise en place ne s’est pas faite sans réticences. Les infirmières étaient dubitatives quant à la non-utilisation des antiseptiques ou quant à la réduction de la fréquence de réfection des pansements. « En tant qu’infirmière, j’étais formatée à regarder, à bien désinfecter une plaie et à refaire le pansement en permanence, explique Daniela Cracel, IDE dans ce service depuis quatre ans. Laisser les antiseptiques de côté, je voyais cela d’un mauvais œil. Or, sans antiseptique, la plaie se répare seule. Mais c’est un long chemin à parcourir, il faut se remettre en question et se questionner sur ses pratiques. »

Un rééquilibrage de la hiérarchie

Au-delà de la modification de la pratique professionnelle qu’implique un nouveau protocole, ce sont l’organisation du travail et la répartition des tâches qui ont été bouleversées. « Au départ, nous étions dans un processus avec, d’un côté, l’infirmière qui réalisait une tâche et suivait un protocole, et de l’autre, un chirurgien qui décidait de ce qu’il allait faire, souligne Caroline Kittel. Grâce à l’éco-conception des soins, nous sommes revenus sur une décision commune paramédicale et médicale. La pyramide de la hiérarchie a changé. Nous avons rééquilibré les choses. Les médecins et les chirurgiens, associés depuis le début, écoutent désormais beaucoup plus les infirmières. » C’est maintenant un travail d’équipe qui prime.

Concrètement, comment cela se passe-t-il ? Quand elle arrive auprès du patient, l’infirmière est seule. C’est elle qui regarde le pansement, vérifie les éventuels écoulements et évalue la plaie. Si elle a un doute, elle peut demander une deuxième opinion à une collègue ou à la cadre de santé. « C’est un travail d’équipe qui me permet de réaliser la communication, l’évaluation, la transmission et le suivi de la plaie du patient, poursuit Caroline Kittel. Je me recentre sur mon rôle infirmier en étant la première professionnelle face à la plaie. Je retrouve plaisir à faire un pansement, je n’agis plus de manière mécanique. Je suis autonome et je peux être amenée à travailler en direct avec le chirurgien. C’est nouveau. Et quelque part, c’est une belle reconnaissance de mon métier. »

Formation et transmission

Au démarrage, les IDE ont reçu une formation par des référents plaie au cours de laquelle de nombreuses questions ont été soulevées afin de pouvoir répondre au plus grand nombre de situations, comme par exemple : qu’est-ce qu’une peau saine ? y a-t-il obligation de regarder la plaie tous les jours ? « Dans le passé, il nous arrivait de regarder la plaie tous les jours ou tous les trois jours, à J1, J3, J6, explique Caroline Kittel. Puis nous sommes passés à J3 pour le redon, J8 pour le contrôle, et J15 pour l’ablation des fils. Par ailleurs, il fallait toujours que le patient quitte l’établissement avec un pansement propre, or c’est la plaie qui est au centre de l’intérêt. Elle doit se refaire sans intervention trop fréquente de notre part. » Aujourd’hui, l’infirmière qui arrive dans le service de chirurgie orthopédique est accompagnée durant dix jours par une collègue plus ancienne, pour questionner sa pratique et sa vision du travail en équipe. Ainsi, tous les professionnels du soin adhérent à la démarche.

Annie Carassou-Maillan, cadre de santé, hygiéniste, au service de prévention des infections associées aux soins et à l’hygiène des locaux, et très impliquée dans le projet depuis le départ, estime que « le protocole de soins est vivant. Et s’il est vivant, il est connu. Celui dont on ne parle pas, c’est celui que l’on ne regarde pas ! L’origine de cette démarche, c’est bien un questionnement de terrain, celui de l’équipe d’orthopédie sur ses pratiques. Ce que j’ai constaté, c’est leur capacité à réfléchir sur leurs propres pratiques et ce, de manière collégiale. Cela fait lien dans l’équipe et sens autour du soin. »

Du bonus pour les patients

Côté patient, les bénéfices sont bien là. Il peut se doucher dès l’ablation du redon alors qu’avant, il prenait sa première douche lors de l’ablation des agrafes. « Je suis aussi là pour le mettre en confiance, le rassurer et lui préciser que l’hydrocolloïde en place tient huit jours », ajoute Daniela Cracel. Au-delà de la réduction des conso mmables et des déchets, cette organisation dégage du temps de soin et permet notamment à l’infirmière de pouvoir davantage discuter avec le patient. Dans le cas présent, la démarche a même été pensée au-delà de l’hôpital. « Nous avons réalisé tout un travail sur le post-opératoire et les soins de suite et de réadaptation (SSR), explique Annie Carassou-Maillan. Le patient est considéré dans sa globalité. Nous avons mis en place une communication avec les cadres de SSR et les médecins afin de faire le relai. Ainsi, dans le dossier de sortie, nous indiquons le protocole de plaies, les dates, le numéro de l’IDE et une fiche de liaison pour les Idel. » En effet, s’il est facile d’échanger et d’accompagner les équipes dans le service au sein du CH, cela devient plus compliqué pour les professionnels situés à l’extérieur, et nota mment pour les infirmières libérales. « Les IDE ont accompagné les soignants à l’extérieur », estime Caroline Kittel.

Prendre son temps

Le CH de Cannes mène depuis longtemps des actions en matière de développement durable (voir encadré). Pour Nathalie Ronzière, directrice adjointe de l’établissement, « dans une démarche d’éco-conception des soins, on place le développement durable au cœur du métier de l’hôpital qui est de soigner ». Éco-concevoir un soin, c’est faire autrement. Et cela demande du temps. « Il faut prendre le temps de se réinterroger sur ses pratiques, poursuit-elle. Il faut prendre le temps de la déconstruction des pratiques en cours, de leur évaluation, de l’apprentissage et de la réappropriation d’une nouvelle pratique. Pour l’établissement, cela aboutit à une réduction de l’utilisation des ressources, une préservation du temps infirmier qui doit être réinvesti sur le temps passé avec le patient, et une responsabilisation du patient – la personne peut s’auto-évaluer – dans le cadre d’une dynamique éducative. Cela fait du patient un partenaire de soins, et non pas seulement quelqu’un qui va subir. Il devient co-acteur et partenaire des soins qui le concernent. »

Un programme ambitieux qui devrait devenir une habitude dans le contexte actuel sans jamais oublier l’impact pour le patient des pratiques suivies en termes de bénéfice-risque.

DÉVELOPPEMENT DURABLE

Dans l’ADN de l’établissement

Le CH de Cannes (hôpital de Cannes Simone-Veil) a intégré le développement durable dès 2008.

→ Le premier projet (2008-2013) était axé sur l’environnement, avec des objectifs fixés par la direction et des actions formalisées par l’encadrement sur les achats responsables, l’énergie et la gestion des déchets.

→ Le deuxième projet (2014-2018) était davantage centré sur le pilier social avec un travail sur le maintien dans l’emploi, le handicap et, à titre d’exemple, la mise en place de séances gratuites d’ostéopathie pour les salariés.

→ Le troisième plan (2019-2021), lui, sera l’émanation des projets de terrain des équipes en place. « Depuis 2008, nous avons formé plus de 100 personnes au développement durable, et aujourd’hui, les équipes sont prêtes et mures pour avancer elles-mêmes », précise la directrice adjointe. Si ce plan est en cours de finalisation, deux projets sont déjà annoncés : la mise en place d’un réel tri au bloc opératoire et la création d’une maternité éco-responsable.