La grève des urgences, portée par les paramédicaux, a pris de l’ampleur dans l’été. Le mouvement, très organisé, veut peser dans la réorganisation promise par Agnès Buzyn.
La grève dure. Elle peut continuer dix ans parce que nous n’avons rien obtenu et parce que nous sommes tous assignés », met en garde Maritxu, infirmière aux urgences du centre hospitalier du Pays basque. Au milieu de l’été, le ministère de la Santé a pris la mesure de la grève des urgences, débutée au printemps, et qui n’a cessé de prendre de l’ampleur. Le 14 août, il recensait 195 services en grève, soit environ un tiers des urgences des établissements publics. Un chiffre pas très éloigné du décompte du collectif Inter-urgences(1), qui anime la mobilisation : 217services d’urgence en grève le 19 août, estimait-il.
De Paris à Marseille, en passant par Lons-le-Saunier ou Bergerac, les patients trouvent les mêmes affiches, les mêmes slogans sur les murs des urgences des hôpitaux. Leurs revendications sont au nombre de trois : la création de 10 000 postes aux urgences, la réouverture de lits d’hospitalisation et l’octroi d’une prime de 300 €.
La ministre de la Santé a accédé en partie à ces demandes fin juin, en débloquant une enveloppe de 70 millions d’euros pour les urgences, dont 55 sont affectés au versement d’une prime de 100 € nets pour tous les personnels non médicaux des urgences. Les 15 millions restants ont permis de « renforcer le fonctionnement des urgences hospitalières », dans les « zones les plus en tension », assure le ministère. Par exemple, en Nouvelle-Aquitaine, l’agence régionale de santé a attribué un million d’euros à quatre établissements jugés prioritaires, ce qui a permis le financement de 22 postes de personnels paramédicaux : huit à Mont-de-Marsan, huit à Ruffec, cinq à Royan et un au centre hospitalier Sud-Gironde.
Ces promesses, assorties de solutions locales, ont convaincu 28 services de signer des protocoles de grève, selon le décompte du ministère de la Santé. Selon l’Agence de presse médicale (APM), la direction du CHUde Caen, dans le Calvados, s’est engagée à réaliser des travaux dans les urgences, pour améliorer l’organisation de la filière de soins et sécuriser les locaux. Une « étude sur la charge en soins » doit également être conduite « pour mieux adapter l’affectation des équipes aux moments de tension ». Les équipes paramédicales ont aussi été renforcées pour l’été et les prochains mois. Sept services de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) sont également sortis de la grève. Le directeur général, Martin Hirsch, est lui aussi allé au-delà des annonces nationales : il s’est engagé sur la création de 230 postes dans ses vingt-cinq services d’urgences, et sur une évolution des effectifs, à l’avenir, « proportionnellement à l’augmentation du nombre de passages ». Enfin, l’AP-HP a accordé une prime « d’insalubrité » de 56 € à ses urgentistes, en plus de la prime nationale de 100 €. « Mais les postes promis n’ont pas tous été pourvus, et les services réalisent qu’en sortant du mouvement, ils ne sont plus en posture de négociation. Certains pourraient revenir », assure Hugo Huon, le président du collectif Inter-urgences.
Mais dans le même temps, de nouveaux services sont entrés en grève, comme La Timone, l’un des deux services d’urgences de l’Assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM), le 15 août : « On a subi beaucoup d’agressions depuis le début de l’année, raconte Julien, infirmier. On s’est d’abord battu, localement, pour la sécurisation de nos locaux et le renfort des agents de sécurité. Puis on a rejoint le mouvement national, car la situation est la même partout. À Marseille, la fréquentation des urgences augmente de 12 à 13 % par an. Et on a les mêmes effectifs qu’en 2014, à l’ouverture, et moitié moins de brancards. » Même constat dans les Landes, aux urgences de Mont-de-Marsan, qui ont rejoint la grève le 28 juin : « Nous sommes dans un département rural, en désertification médicale, raconte l’infirmier Grégory. En 2014, on avait 30 000 passages aux urgences, aujourd’hui on en a 40 000, avec les mêmes effectifs. Dans le même temps, dans le reste de l’hôpital, il y a eu 1 000 hospitalisations en plus, et une trentaine de lits fermés. Soixante fermetures de lits sont prévues dans les trois prochaines années. » Selon Grégory, les postes créés ont permis que seuls « trois infirmiers manquent aux urgences mi-août, quand il en manquait 12, début juillet, sur 46 ». Ce n’est pas suffisant pour les grévistes.
Et sur le terrain, les promesses se concrétisent plus ou moins vite. Selon les établissements, la prime a été versée à tout ou partie du personnel des urgences. À Valence (Drôme), par exemple, « la direction a décrété que tous ceux qui sont en formation aux gestes et soins d’urgence ne recevraient pas la prime, parce qu’ils ne sont pas à temps complet aux urgences, raconte Virginie Turrel. Tous ont donc abandonné leur formation, qui est pourtant obligatoire. » Aux urgences de La Timone, à Marseille, la prime n’a pas été versée « aux agents administratifs et aux agents des services hospitaliers ». Le ministère de la Santé assure pourtant que tous les personnels non médicaux, « soignants ou non : infirmiers, aides-soignants, brancardiers, agents administratifs… », doivent recevoir cette prime depuis le 1er juillet.
Sur les renforts d’effectifs, les services d’urgence sont tout aussi diversement traités. Dans le Jura, à Lons-le-Saunier, les soignants ont été réquisitionnés par la police fin mai, pour assurer la continuité des soins, alors que 70 % des paramédicaux des urgences et huit médecins sur quinze étaient en arrêt maladie. La situation s’est un peu stabilisée depuis, mais la grève n’a abouti « à rien », affirme Swan Meynier, infirmier. « Nous avons eu des renforts d’intérimaires dans l’été. Et nos heures supplémentaires nous ont été payées, au tarif normal, à hauteur de quinze heures par mois. C’est loin de nous satisfaire. »
La demande de réouverture de lits d’hospitalisation, sans lesquels les patients stagnent aux urgences sur des brancards, n’a elle pas été entendue par le ministère. À Lons-le-Saunier, par exemple, « la direction a fermé l’unité d’hospitalisation de courte durée des urgences, officiellement pour nous soulager, poursuit Swan Meynier. Mais dans le reste de l’hôpital, 50 lits ont été fermés. Donc les patients continuent à être hospitalisés chez nous, dans les couloirs. » Un seul hôpital voit les moyens affluer, d’une manière « grotesque », estime l’IDE Maritxu, car pour une durée limitée : celle du G7 qui est organisé à Biarritz, les 24 et 25 août. « Des scopes tombent du ciel, des renforts d’effectifs arrivent, pour dix jours. Mais quand on demande une infirmière en plus, on a l’impression de demander la lune. Faute d’effectifs, on se concentre sur les patients prioritaires, et on en vient à oublier les autres, les personnes qui attendent pendant des heures sur des brancards collés les uns aux autres, qui ont besoin de soins de confort, d’un bassin et d’un peu d’intimité. C’est terrible pour nous, ce sentiment de travailler d’une manière dégueulasse. »
Cet été de mobilisation permet aux paramédicaux d’arriver en force à la table des négociations. D’autant plus qu’ils se sont organisés pour durer. Le collectif Inter-urgences, animé par des paramédicaux non syndiqués, s’est constitué en association début juillet. Le collectif est en train de faire remonter du terrain ses revendications, qui seront synthétisées dans un livre blanc et présentées le 2 septembre au député Thomas Mesnier et au Pr Pierre Carli. Ces derniers ont été chargés par la ministre de la Santé d’une mission sur la réorganisation des urgences, qui doit rendre ses conclusions fin novembre et servir de base à la construction d’un « nouveau modèle des services d’urgence », assure le ministère. Le lundi 26 août au matin, Agnès Buzyn a par exemple annoncé « un chamboulement des organisations », pour éviter que des Français viennent aux urgences « alors qu’ils pourraient être vus par un médecin généraliste ». Elle a aussi évoqué la création d’un « numéro unique » pour rediriger les patients vers d’autres structures de soins.
« La ministre cherche à faire glisser le débat sur la régulation de l’accès aux urgences, c’est de la théorisation, s’agace Christophe Le Tallec, aide-soignant au CHU de Nantes et vice-président du collectif Inter- urgences. Le flux augmente en permanence, en raison de la désertification médicale. La situation ne peut qu’empirer. Les mesures prises, par exemple pour une meilleure collaboration entre la ville et l’hôpital, auront des effets, peut-être, mais dans des années. En attendant, il faut augmenter les moyens des urgences, du service public hospitalier. Nous sommes un mouvement constructif, nous voulons sécuriser le système de santé, le rendre pérenne. »
1- L’association Inter-urgences, qui fédère les services en grève, a une page Facebook (www.facebook.com/InterUrg), et son propre site (www.interurgences.fr).